A - Mais ça , c’était Avant.

Je reviens de l’école. Je gambade joyeusement en avant . Je serre fort mes petits poings en remontant la rue Marbeuf, j’ai l’impression de déjà conduire le vélo que j’ai commandé pour mon anniversaire . Le Disney Store Élysée n’est plus très loin, je choisirai un gros Stitch en peluche .
Après ce sera le square puis on rentrera . Maman me régalera d’un gros gâteau au chocolat .
Le brusque tangage m’a obligé à rouvrir les yeux . Je suis sur les genoux de mon papa, j’ai mal au cœur. Je refuse de voir tout ça . Je referme mes yeux très très fort .je serre  les poings

J’avais un beau vélo. Mais ça c'était avant .
Je n’avais jamais l’estomac vide . Mais ça c'était avant
J’aimais les feux d’artifices . Mais ça c’était avant .
J’avais toujours de beaux manteaux.  mais ça c’était avant.

J’habitais un bel appartement. Mais ça c’était avant .
Avant qu’ils ne violent notre chez nous.

J’avais une maman qui souriait toujours . Mais ça c’était avant.
Avant que la milice jaune armée, ne lui fasse mal et que je l’entende hurler.

J’allais avoir 5 ans , j’étais un enfant. Mais ça c’était avant.
Avant de voir maman nue , qui bougeait plus , dans une flaque toute rouge qui coulait de sa tête

J’aimais me balader au square Marigny. Mais ça c'était avant .
Avant, que l’armée des gilets jaunes n’incendie aussi notre auto.
Avant , qu’on doive traverser Paris à pied jusqu'à la gare.

j'aimais bien faire du pédalo au Touquet chez mamie Berthe. mais ça c'était avant.
Avant qu’on soit obligé d’embarquer sur ce bateau ,rempli de gens serrés , qui sent pas bon.
Avant qu'on soit obligés de se sauver tous
Avant que le canot de sauvetage  ne bascule et me projette dans cette eau glacée.

La télévision disait qu’on vivait en paix.
Qu’il n’y avait aucun risque que la guerre ne sorte de Syrie, de Yougoslavie, bref de derrière l’écran télé.
Mais ça c’était avant .
Avant quand on aidait pas ces migrants , ces pestiférés qui faisaient tâche dans notre quotidien feutré.
Avant quand on fermait les yeux sur les bombes françaises qui tuaient des civils partout ailleurs.
Avant que des bombes , à leur tour , ne se retourne  ,ne tombent sur nous, sur Paris, sur mon pays .

Je m’appelle Louis, je suis un enfant de la paix, et moi aussi je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres.  Mais ça c’était avant.
Avant que ce photographe avide de scoop  ne me photographie, là, échoué sur la plage , la tête dans le ressac.
Avant que que ce type de photo gore ne fasse même plus réagir personne sur cette planète
Avant la guerre qui nous a rejoint aussi, nous qui nous pensions tellement différents d’eux .
Différents de tous ces migrants fuyant l'horreur venue les arracher aux jours heureux


(Texte inspiré de la consigne et venu sous ma plume en voyant la couverture de ce livre, où on voit un vieux monsieur à Alep, dans son appartement en ruines)

C était pour illustrer aussi le ca n ‘arrive pas qu’aux autres

Ouf, sacré coup de poing que tu nous balances là !