A. Mind the gap*
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Charlotte
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Amanda
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Kaléïdoplumes 4 :: Archives 2019/2023 :: Espace Ecriture et Photo :: Ecriture et Photo sur consigne :: Consignes 628
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A. Mind the gap*
]’étais partie comme jeune-fille au pair dans une famille anglaise à Londres. Les Smith habitaient l’appartement bourgeois d’un immeuble cossu de la cité de Westminster. J’avais la charge de leurs trois enfants. Lorsque les époux partaient travailler, selon la saison, j’allais promener leur progéniture au parc, le plus jeune dans sa poussette et les deux plus grands donnant des miettes de pain aux canards ou fonçant dans les allées avec leurs trottinettes.
Lorsque madame rentrait, elle me donnait quartier libre. La plupart du temps j’allais rejoindre des amis dans un pub. Je prenais alors le métro à la station Embankment et descendais trois arrêts plus loin. Nous avions l’habitude de nous retrouver pour discuter, rire et écouter de la musique autour d’un verre.
Dans le métro, je revoyais souvent les mêmes visages qui me devinrent peu à peu familiers. J’avais remarqué en particulier une dame âgée assise sur un banc, toujours au même endroit à mon retour. C’était une dame élégante aux cheveux blancs impeccablement coiffés. Elle portait un joli manteau beige et un collier de perles. Lorsque je descendais de la rame, elle se levait, s’avançait vers la portière qui s’ouvrait et attendait immobile, les yeux fermés. Jamais elle n’entrait dans la voiture. On entendait alors le message d’avertissement - Mind the gap ! - et un sourire illuminait son visage. Puis elle se dirigeait vers l’escalier et ressortait du métro. Ce comportement étrange m’intriguait. Etait-elle dérangée ?
Un jour, elle trébucha sur une marche et je la rattrapai in-extrémis. Comme elle semblait fatiguée, je lui proposai de la raccompagner chez elle. Elle accepta volontiers et me proposa un thé dans son charmant petit salon aux rideaux fleuris et aux fauteuils de velours rose. Elle me le servit dans un ravissant service de porcelaine fine aussi fleuri que ses rideaux. Cette dominante de couleur donnait à son salon un air de bonbonnière. Elle paraissait si enjouée de bavarder avec moi que je supposais qu’elle recevait peu de monde et qu’elle devait se sentir bien seule. Je lui proposai alors de lui rendre visite de temps en temps et elle accepta avec grand plaisir. Ce rituel du thé chez ma nouvelle amie Margaret devint une douce habitude pour elle comme pour moi. Ce n’était pas vraiment l’aventure mais cela convenait au manque de chaleur que je ressentais chez les Smith.
Lorsque je descendais du métro, je la croisais souvent plantée devant l’ouverture des portes. Elle me faisait un grand sourire, je lui prenais le bras et nous rentrions ensemble.
Or, un jour, je la retrouvai en larmes sur le quai. Elle sanglotait et ne cessait de dire - Ils ont changé sa voix, ils ont changé sa voix -
Devant notre tasse fumante, Margaret me raconta alors son histoire. Elle avait eu un mari, Oswald, qui avait une voix magnifique. Il chantait comme basse dans une chorale. Sa voix était si singulière que la Northern Line fit appel à lui pour enregistrer l’avertissement - Mind the gap -. Depuis des années, Oswald rythmait l’ouverture des portes et la descente des voyageurs dans le métro de Londres.
Malheureusement, il tomba malade et mourut. Margaret perdit son seul et unique amour. Sa mort laissa un grand vide dans son coeur. Il ne lui restait de lui que quelques photographies et cette voix enregistrée dans le métro où, chaque fois qu’elle entendait - Mind the gap - elle avait l’impression qu’il était là près d’elle. C’est ainsi qu’elle avait pris pour habitude ce rendez-vous avec lui depuis des années. Mais, le progrès n’a pas que des avantages. Ce jour-là, la voix d’Oswald avait été remplacée par un son électronique sans âme. Margaret eut le sentiment de perdre son époux pour la deuxième fois.
Devant le désarroi de ma vieille amie je ne savais que faire. Coute que coute, je voulais lui rendre sa bonne humeur. J’entrepris alors de l’accompagner à la direction de la compagnie afin d’essayer d’obtenir l’enregistrement de la voix d’Oswald. L’histoire de Margaret émut tellement les employés qu’ils lui offrirent la copie de la précieuse bande et la remirent en service à Embankment, la station la plus proche de chez elle.
C’est pourquoi, depuis ce jour, si vous prenez le métro à Londres et descendez à la station Embankment, vous entendrez la voix d’Oswald et repenserez à cette belle histoire d’amour. Peut-être apercevrez-vous Margaret debout sur le quai, les yeux fermés et le sourire aux lèvres
.Lorsque madame rentrait, elle me donnait quartier libre. La plupart du temps j’allais rejoindre des amis dans un pub. Je prenais alors le métro à la station Embankment et descendais trois arrêts plus loin. Nous avions l’habitude de nous retrouver pour discuter, rire et écouter de la musique autour d’un verre.
Dans le métro, je revoyais souvent les mêmes visages qui me devinrent peu à peu familiers. J’avais remarqué en particulier une dame âgée assise sur un banc, toujours au même endroit à mon retour. C’était une dame élégante aux cheveux blancs impeccablement coiffés. Elle portait un joli manteau beige et un collier de perles. Lorsque je descendais de la rame, elle se levait, s’avançait vers la portière qui s’ouvrait et attendait immobile, les yeux fermés. Jamais elle n’entrait dans la voiture. On entendait alors le message d’avertissement - Mind the gap ! - et un sourire illuminait son visage. Puis elle se dirigeait vers l’escalier et ressortait du métro. Ce comportement étrange m’intriguait. Etait-elle dérangée ?
Un jour, elle trébucha sur une marche et je la rattrapai in-extrémis. Comme elle semblait fatiguée, je lui proposai de la raccompagner chez elle. Elle accepta volontiers et me proposa un thé dans son charmant petit salon aux rideaux fleuris et aux fauteuils de velours rose. Elle me le servit dans un ravissant service de porcelaine fine aussi fleuri que ses rideaux. Cette dominante de couleur donnait à son salon un air de bonbonnière. Elle paraissait si enjouée de bavarder avec moi que je supposais qu’elle recevait peu de monde et qu’elle devait se sentir bien seule. Je lui proposai alors de lui rendre visite de temps en temps et elle accepta avec grand plaisir. Ce rituel du thé chez ma nouvelle amie Margaret devint une douce habitude pour elle comme pour moi. Ce n’était pas vraiment l’aventure mais cela convenait au manque de chaleur que je ressentais chez les Smith.
Lorsque je descendais du métro, je la croisais souvent plantée devant l’ouverture des portes. Elle me faisait un grand sourire, je lui prenais le bras et nous rentrions ensemble.
Or, un jour, je la retrouvai en larmes sur le quai. Elle sanglotait et ne cessait de dire - Ils ont changé sa voix, ils ont changé sa voix -
Devant notre tasse fumante, Margaret me raconta alors son histoire. Elle avait eu un mari, Oswald, qui avait une voix magnifique. Il chantait comme basse dans une chorale. Sa voix était si singulière que la Northern Line fit appel à lui pour enregistrer l’avertissement - Mind the gap -. Depuis des années, Oswald rythmait l’ouverture des portes et la descente des voyageurs dans le métro de Londres.
Malheureusement, il tomba malade et mourut. Margaret perdit son seul et unique amour. Sa mort laissa un grand vide dans son coeur. Il ne lui restait de lui que quelques photographies et cette voix enregistrée dans le métro où, chaque fois qu’elle entendait - Mind the gap - elle avait l’impression qu’il était là près d’elle. C’est ainsi qu’elle avait pris pour habitude ce rendez-vous avec lui depuis des années. Mais, le progrès n’a pas que des avantages. Ce jour-là, la voix d’Oswald avait été remplacée par un son électronique sans âme. Margaret eut le sentiment de perdre son époux pour la deuxième fois.
Devant le désarroi de ma vieille amie je ne savais que faire. Coute que coute, je voulais lui rendre sa bonne humeur. J’entrepris alors de l’accompagner à la direction de la compagnie afin d’essayer d’obtenir l’enregistrement de la voix d’Oswald. L’histoire de Margaret émut tellement les employés qu’ils lui offrirent la copie de la précieuse bande et la remirent en service à Embankment, la station la plus proche de chez elle.
C’est pourquoi, depuis ce jour, si vous prenez le métro à Londres et descendez à la station Embankment, vous entendrez la voix d’Oswald et repenserez à cette belle histoire d’amour. Peut-être apercevrez-vous Margaret debout sur le quai, les yeux fermés et le sourire aux lèvres
* Mind the gap : Attention à la marche
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Mind the gap*
Que voilà une bien jolie histoire, qui se termine bien, grâce à ton intervention !
Un texte original et bien tourné.
I just love it !
Un texte original et bien tourné.
I just love it !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. Mind the gap*
Je suis tombée par hasard sur ce fait divers qui m'a touchée et j'ai eu aussitôt envie d'écrire un texte, c'est pourquoi j'ai proposé cette consigne. J'ai vu ensuite qu'il avait été tourné un court-métrage qui le raconte.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Mind the gap*
Voilà une histoire singulière et prenante qui m'a beaucoup ému.
Il faut dire qu'elle est tellement bien racontée.
Tu as tout à fait de quoi en faire une nouvelle d'une dizaine de pages.
Bravo ! J'ai vraiment beaucoup aimé
Il faut dire qu'elle est tellement bien racontée.
Tu as tout à fait de quoi en faire une nouvelle d'une dizaine de pages.
Bravo ! J'ai vraiment beaucoup aimé
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"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Mind the gap*
Un fait divers très émouvant, Myrte!
Je l’ai lue plusieurs fois et je trouve que c’est là une histoire qui donne à réfléchir.
Tu racontes très bien ce que ressent cette dame et la fin surprenante de l’histoire m’à sidérée.
Merci pour ce beau récit !
Je l’ai lue plusieurs fois et je trouve que c’est là une histoire qui donne à réfléchir.
Tu racontes très bien ce que ressent cette dame et la fin surprenante de l’histoire m’à sidérée.
Merci pour ce beau récit !
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. Mind the gap*
Une très jolie histoire émouvante comme on les aime. Merci Myrte de nous l'avoir contée.
_________________
Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.
(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
Re: A. Mind the gap*
Une trés belle histoire bien émouvante et que tu racontes super bien et avec beaucoup de tendresse/empathie pour Margaret
J'ai beaucoup aimé
J'ai beaucoup aimé
Sherkane
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