A - Sans identité
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Zephyrine
Cassy
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A - Sans identité
À partir de 8 heures du soir, les ombres envahissent la maison. Je les observe, recroquevillé dans mon lit, et j’attends. J’attends que le bruit de ses pas résonnent dans les escaliers puis dans le couloir.
À 8h30 j’entends la porte d’entrée s’ouvrir. Je compte les secondes qui me séparent du silence total. Elle reste sur le seuil quelques secondes, tendant l’oreille, écoutant sans doute le souffle de ma respiration régulière, me croyant endormi. Ensuite elle referme la porte et le bruit de la clé dans la serrure sonne pour moi l’heure de tous les possibles.
Après son départ, je laisse passer plusieurs minutes, de peur qu’elle ne revienne, ayant oublié son parapluie ou son téléphone. Mais elle ne revient jamais, elle est précise dans tous ses gestes, telle une automate. Psychorigide, rien ne lui échappe. Chez elle tout est calculé, millimétré, chronométré.
Lorsque je me sens vraiment seul, protégé par la nuit tombante, je me glisse hors de ma chambre et je file dans la sienne. Mère est partie faire son service de nuit à l’hôpital des enfants. « Des enfants sages » me dit-elle au souper chaque soir.
« Je pars à l’hôpital des enfants sages m’occuper de mes petits anges. Je serai là avant demain, avant ton réveil, sois raisonnable ! »
Ici il n’y a pas d’enfant sage, il n’y a qu’un gosse déraisonnable. Chez elle il n’y a pas d’ange puisque dans sa maison se cache un démon qui porte mon nom.
Dans ses tiroirs je cherche au hasard le nécessaire, dans son placard à chaussures, je trouve le complément.
Et c’est dans la salle de bain, sous la lumière blafarde du plafonnier que je deviens celle que je suis depuis toujours au fond de moi.
Je coupe les liens de ce que mon sexe, ce morceau de peau qui pend entre mes jambes, veut faire de moi. Un à un j’oublie mon genre, mon prénom, mes trois poils sous le menton.
En quelques coups de crayon, je dessine le contour de mes lèvres et je colore mes yeux. J’habille mon corps longiligne d’une robe noire cintrée à bretelles de dentelle, je souligne ma taille fine d’une ceinture rouge sang et je chausse ses talons hauts.
Alors seulement je m’autorise à observer le reflet que me renvoie le miroir. Et devant cette image, je me sens enfin moi. De Marin, je deviens Marine, d’adolescent mal dans ma peau je deviens cette jeune fille presque jolie, sensible et écorchée de tous les maux que la nature veut me faire porter.
Demain j’aurais 14 ans et là ce soir, devant mon reflet dans le miroir je crie ma douleur et je supplie la nature de me donner ce qui m’a été refusé à ma naissance. J’attends la rondeur de ces seins qui ne pousseront pas. J’attends ce sang qui ne viendra pas, j’attends un signe venant de celle qui m’a donné la vie : la reconnaissance de cette erreur de la nature qui fait de moi ce que je ne suis pas.
Sans ce « e » au bout de mon prénom, je ne suis qu’un pantin désarticulé, un genre sans identité, une fille dans le corps d’un garçon.
À 8h30 j’entends la porte d’entrée s’ouvrir. Je compte les secondes qui me séparent du silence total. Elle reste sur le seuil quelques secondes, tendant l’oreille, écoutant sans doute le souffle de ma respiration régulière, me croyant endormi. Ensuite elle referme la porte et le bruit de la clé dans la serrure sonne pour moi l’heure de tous les possibles.
Après son départ, je laisse passer plusieurs minutes, de peur qu’elle ne revienne, ayant oublié son parapluie ou son téléphone. Mais elle ne revient jamais, elle est précise dans tous ses gestes, telle une automate. Psychorigide, rien ne lui échappe. Chez elle tout est calculé, millimétré, chronométré.
Lorsque je me sens vraiment seul, protégé par la nuit tombante, je me glisse hors de ma chambre et je file dans la sienne. Mère est partie faire son service de nuit à l’hôpital des enfants. « Des enfants sages » me dit-elle au souper chaque soir.
« Je pars à l’hôpital des enfants sages m’occuper de mes petits anges. Je serai là avant demain, avant ton réveil, sois raisonnable ! »
Ici il n’y a pas d’enfant sage, il n’y a qu’un gosse déraisonnable. Chez elle il n’y a pas d’ange puisque dans sa maison se cache un démon qui porte mon nom.
Dans ses tiroirs je cherche au hasard le nécessaire, dans son placard à chaussures, je trouve le complément.
Et c’est dans la salle de bain, sous la lumière blafarde du plafonnier que je deviens celle que je suis depuis toujours au fond de moi.
Je coupe les liens de ce que mon sexe, ce morceau de peau qui pend entre mes jambes, veut faire de moi. Un à un j’oublie mon genre, mon prénom, mes trois poils sous le menton.
En quelques coups de crayon, je dessine le contour de mes lèvres et je colore mes yeux. J’habille mon corps longiligne d’une robe noire cintrée à bretelles de dentelle, je souligne ma taille fine d’une ceinture rouge sang et je chausse ses talons hauts.
Alors seulement je m’autorise à observer le reflet que me renvoie le miroir. Et devant cette image, je me sens enfin moi. De Marin, je deviens Marine, d’adolescent mal dans ma peau je deviens cette jeune fille presque jolie, sensible et écorchée de tous les maux que la nature veut me faire porter.
Demain j’aurais 14 ans et là ce soir, devant mon reflet dans le miroir je crie ma douleur et je supplie la nature de me donner ce qui m’a été refusé à ma naissance. J’attends la rondeur de ces seins qui ne pousseront pas. J’attends ce sang qui ne viendra pas, j’attends un signe venant de celle qui m’a donné la vie : la reconnaissance de cette erreur de la nature qui fait de moi ce que je ne suis pas.
Sans ce « e » au bout de mon prénom, je ne suis qu’un pantin désarticulé, un genre sans identité, une fille dans le corps d’un garçon.
Cassy- Admin
- Humeur : Emotionnellement vivante
Re: A - Sans identité
Texte très fort.! Comme tu ecris bien!
Tu te mets dans la peau de cet ado or c'est très difficile....Tout cela avec pudeur.
J'ai eu le coeur gros tout au long de la lecture, tu crées une ambiance très lourde , j'ai beaucoup aimé,!
Tu te mets dans la peau de cet ado or c'est très difficile....Tout cela avec pudeur.
J'ai eu le coeur gros tout au long de la lecture, tu crées une ambiance très lourde , j'ai beaucoup aimé,!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A - Sans identité
il est magnifique ton texte Cassy!
et très poignant
Combien de jeunes de 14ans et plus vivent ce drame?
(j'espère que tu es guérie?)
et très poignant
Combien de jeunes de 14ans et plus vivent ce drame?
(j'espère que tu es guérie?)
Coumarine
Re: A - Sans identité
Texte puissant et d une grande sensibilité sur le thème du trans genre , une lecture très plaisante
EVA AlixXXL- Humeur : Égale
Re: A - Sans identité
Un sujet grave et encore mal compris.
Tu décris parfaitement bien toute la détresse de ce jeune homme, Cassy.
Tu décris parfaitement bien toute la détresse de ce jeune homme, Cassy.
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Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.
(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
Re: A - Sans identité
Un très beau texte tout en sensibilité, une façon feutrée et empathique d'aborder la déchirure que vit cet adolescent. Très touché par ton texte.
Virgul- Humeur : Optimiste
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