A. Projets d'avenir

Plumentête Dim 21 Avr 2019 - 17:15

Bras dessus, bras dessous, nous marchons vers la fontaine, complices comme toujours, unis par les secrets d’enfance, par l’innocence perdue au même feu de joie, par les plans mirobolants échafaudés entre deux journées de labeurs ouvriers.

Chacun de nous s’est forgé un caractère chez son maître, toi chez le tanneur, moi chez le gantier, pas toujours facile les journées dans l’humidité, le froid et les odeurs pas toujours très alléchantes, surtout pour toi.

Bras dessus, bras dessous, un foulard bariolé autour du cou pour toi, dans les cheveux pour moi, nous devisons joyeusement marchant d’un pas alerte vers la fontaine. C’est que nous en avons des choses à nous raconter et le temps est compté, nous sommes attendus par nos familles, pas question de traîner en route.
Parce que si nous rentrons trop tard, on aura droit à un interrogatoire en règle et même peut-être aurais-je droit à une belle paire de gifles de ma mère et en bonne lavandière, elle a la main lourde. Eh oui, pas question de ternir ma réputation alors que je pourrais faire un bon mariage. Il parait que le fils du charron a des vues sur moi et qu’il ferait un bon parti. Oui mais moi, je n’ai pas envie d’épouser le fils du charron, il est lourdaud et ballot et je ne veux surtout pas qu’il pose ses grosses pattes sur moi !

D’ailleurs nous sommes bien d’accord tous les deux, pas question que ce benêt d’Alfred pose ses mains sur moi et pas question que tu poses les tiennes sur cette bécasse d’Angèle, toute fille du faïencier qu’elle soit, elle a de gros yeux comme les poissons qui nagent dans la rivière près de la fontaine et des cheveux blonds filasses. Tandis que moi, j’ai des yeux noisettes qui pétillent et des jolies boucles dorées qui entourent mon visage, alors tu ne perdras pas au change.

Ensemble nous ouvrirons notre petite boutique, je ferais de jolis gants avec les peaux que tu tanneras et nous les vendrons à cette bécasse d’Angèle, avec de si jolis accessoires, elle finira bien par trouver un prétendant.
D’ailleurs la gitane que j’ai vue hier soir me l’a confirmé, Angèle épousera un garçon de la ville d’à côté et toi tu n’as d’yeux que pour moi ! Pour la remercier de ses services, j’ai été obligé de prendre une bouteille de Côtes du Rhône dans la cave de mon père, mais la potion magique qu’elle m’a donnée valait bien de prendre ce risque.
Il faut que je te la fasse boire un jour où l’arc en ciel passe au-dessus de la fontaine, ça tombe bien, aujourd’hui était une journée de giboulées…

Je sens ton bras glisser autour de ma taille sitôt que nous atteignions le couvert des arbres, tu es encore plus empressé que d’habitude, j’en frémis de fierté. Tu me dis encore une fois que tu veux me marier, tu me décris une fois de plus notre future boutique, d’ailleurs tu sais qu’un atelier est à louer dans la rue principale de notre bourgade, il y a un petit logement à l’étage, je t’écoute et je ferme les yeux en pensant à cet avenir radieux. Par sécurité, je verse le contenu de ma fiole dans ta chopine, in faut mettre tous les atouts de notre côté pour que nos familles nous donnent leur consentement.
Tu veux venir faire ta demande à mon père ce dimanche, j’ai hâte mais aussi un peu peur. Et si ce jour-là, mon père refusait, nous serions obligés de nous enfuir…
Tu dis que rien ne peut nous séparer et que franchement toi aussi, tu es un beau parti, pourquoi mon père refuserait. Tes mains sur mes hanches et mes yeux dans les tiens, tout me parait évident.

Prestement nous quittons la fontaine pour rentrer au village, il va falloir se séparer, mais pour l’instant, profitons d’être bras dessus, bras dessous, gais comme deux moineaux sur la même branche.