A. Mariette

L’histoire de leur vie commence le jour de l’arrivée de mon père. Il est vrai qu'il était parti depuis bien des années. Quelque mois après qu'il eut engrossé Mariette, la bonne. Comme il se doit c'était la faute de cette fille de mauvaise vie qu'on avait chassée après l'accouchement, tout en gardant le bébé, un garçon. Dès qu'il aurait quatre ou cinq ans il pourrait aider à la ferme. Ça justifiait bien de le nourrir jusque-là.

Mon père a été accueilli comme si de rien n'était. Il serait parti la veille, c'était la même chose. Il a repris sa place à table dans la grande salle commune, portant toujours son béret. La nouveauté c'est la moustache, preuve qu'il n'est pas parti hier. Pour ma part, j'ai aussitôt repris ma place du côté des femmes.

Mon père n'aura aucun regard pour son fils bâtard, attablé à sa gauche. Il n'a d'yeux que pour sa femme, se demandant si elle a pardonné. Comme d'habitude, elle ne dit rien. Et d'ailleurs, elle ne dira rien, jamais.

Quant à ma sœur, elle regarde la soupière. Toujours tout pour le ventre celle-là. Pour ce qui est de la vieille, ma grand-mère, elle dévore son fils des yeux. Il peut faire pis que pendre, c'est même pardonné avant d'avoir été accompli. Il paraît que lorsqu'il était jeune, elle disait aux fermières alentours : « ce soir mon coq sort, rentrez vos poules !… » J'en viens à me demander combien je peux avoir de demi-frères et de demi-sœurs.

C'est au milieu du repas que commença le nouvel épisode de leur vie.
On tambourina à la porte. Mon père grommela :
— Qui c'est qui ose venir frapper au milieu du repas !

Évidemment personne ne dit rien, gardant le nez dans son assiette. On tambourina de plus belle et même la porte trembla. Alors ma grand-mère se leva, et de son pas un peu chancelant se dirigea vers la porte pour ouvrir.
Devant elle, une femme plutôt belle, qu'elle reconnut aussitôt : Mariette !

Celle-ci entra comme une tornade, et se dirigea tout droit vers le bâtard.
— Je viens chercher mon fils !

Oui, c'est vraiment là que l'histoire de leur vie a commencé.
Enfin, je devrais plutôt dire le commencement des emmerdements...