A- Envers et contre moi

Je viens de sonner chez moi et c'est un inconnu qui a répondu. Je suis là, sur le seuil de cette porte, dégoulinante sous la pluie d’automne. Je reviens après des mois d’absence et je suis tétanisée devant cet homme que je ne reconnais plus.
Trois petits mois. Que représentent trois petits mois dans une vie? Un grain de sable. Un grain de sable qui suffit à gripper la machine.
Je refoule mes larmes. Je me sens vaciller de tout mon corps. Je voudrais hurler, frapper, puis fuir sans plus jamais me retourner.
Pourtant je ne bouge pas. Je dois trouver la force d’entrer dans cette maison qui fut la mienne. Je dois pénétrer dans cette maison qui est là mienne, pour quelques semaines encore et me mettre à la tâche.
Je ne vais pas le regarder, au risque de me jeter à ses pieds et le supplier de tout effacer. Oublier cet été maudit, repartir à zéro parce que moi je peux encore nous porter loin et que je n’ai pas pour habitude d’abandonner aussi vite.

Mais devant moi se dresse un étranger, un homme qui n’a plus rien à voir avec celui que j’ai aimé durant de longues années. Je ne retrouve dans son regard que de l’indifférence, dans ses gestes qui m’invitent à entrer que  de la condescendance teintée de culpabilité. Je suis celle que l’on quitte, encore et toujours celle que l’on abandonne sur le bord de la route comme un chien fidèle dont on ne veut plus.

Je passe de pièce en pièce, je vide les armoires et les placards de mes trésors, ici quelques vêtements, là mes livres. Ailleurs des photos, des souvenirs, des bouts de vie. A l’étage, dans le jardin, des pans entiers de bonheur qui se disloquent entre mes mains avant que je n’ai pu les emprisonner dans des cartons.

Dehors le vent glacial fait grincer la balançoire d’enfant restée désespérément vide.
Le chien, tout à l’heure si heureux de me retrouver, laisse maintenant aller son museau sur mes joues humides de chagrin. Il a compris que lorsque je franchirai à nouveau cette porte, ce sera pour ne plus jamais revenir.

Ce chagrin j’imagine que je vais en crever. Et pourtant il faudra bien que j’y survive, envers et contre moi.