A - Ainsi va la vie

Au moment de l'impact provoqué par les images  de la petite lucarne, les hôtes du petit restaurant, clients très occasionnels lors d’une journée exceptionnelle  - épreuves du certificat d’études primaires – ignoraient qu’ils avaient devant leurs yeux effarés une formidable évolution du 20ème siècle : la télévision.

C’était le 1er juin 1960. Dans la commune éloignée de quelques kilomètres, le téléphone n’existait encore que sous forme de  4 ou 5 cabines publiques   disséminées dans les hameaux. On s’y rendait  pour quérir le médecin ou le vétérinaire. Les évènements familiaux pouvaient être communiqués par le télégramme apporté à domicile par un habitant du bourg spécifiquement désigné.

Les informations étaient véhiculées par les postes de radio ; quelques foyers étaient abonnées à un  journal quotidien   ou hebdomadaire. Et bien sûr, il y  avait le passage  du facteur qui distribuait les nouvelles,  des lettres écrites par des membres de la famille comme par exemple, le fils envoyé en Algérie pacifier les indigènes, la fille partie à Paris gagner sa vie …

Et puis, en parallèle avec la désertification rurale, la télé et le téléphone se sont installés dans les foyers, portant la bonne parole. A propos de parole,  le patois langue commune très usitée dans les conversations, le long des chemins, à la foire, le soir à la veillée, dans les repas de battage, le patois a été relégué au fond des mémoires. Fini le temps où d’une colline à l’autre, on s’interpellait :

- La Maria, ça va pas bien …
- Ah, peut-être qu’elle est morte ?

Bien entendu, la dite Maria,  demeurant à mi-chemin entre les deux interlocuteurs, gardait le silence comme il convient pour une défunte.

Aujourd’hui,  l’information se déplace à la vitesse du son : ne voit-on pas les incendies australiens comme si on y  était ? La télévision  est suppléée par l’écran de l’ordinateur, le smartphone. Ils vous disent tout sur tout le monde, y compris d’ailleurs sur vous-même, ce qui me rassure grandement pour le cas où ma mémoire se ferait la malle. D’un clic sur mon Iphone, Google Maps me ramènera à la maison.

Par Amazon et Drive interposés, plus besoin d’aller à la foire  pour acheter une chemise d’hiver ou des chaussettes ou encore  « l’épicerie » de la semaine et à fortiori pour connaître le cours du veau de lait ou des noix sèches. Internet vous dit tout ce que vous avez besoin de savoir. Oui, singulière évolution dont on peut mesurer l’impact sur les relations humaines au regard des souvenirs que j’ai de ce début des années 60 …

Faut-il le déplorer ou se dire «  Ainsi va la vie » ?

D’autres relations se tissent aujourd’hui à distance, par exemple avec les réseaux sociaux et l’écriture sur des forums du Web et la communication s’en trouve enrichie. Quoiqu’on peut parfois s’interroger  avec  la pauvreté des messages postés et commentés ou encore ce que disent les médias passées maîtresses dans l’art de véhiculer selon un vieux slogan devenu un film «  La voix de son maître ».

Quant à dire que demain, c’est le trou noir, je ne saurais avoir d’avis tranché car le WEB ne fait qu’ajouter à la confusion de ce que je croyais en connaître.

En revanche , j’aime ce qui est  dit des élites :  https://www.atlantico.fr/decryptage/3570532/trou-noir-societal

« C’est le «riénisme» à son apogée. Ne comprenant «rien», car ne saisissant pas la «correspondance» dont il a été question. Correspondance mystique et spirituelle, confortée par les réseaux sociaux. Cette « noosphère » dont parlait, prophétiquement, Teilhard de Chardin. Correspondance rappelant qu’il n’y a pas de pensée personnelle. Car toute pensée vient, toujours, de fort loin. Ainsi que le rappelait Auguste Comte : « les morts gouvernent les vivants ». C’est cela le  sens commun, reprenant, actuellement, force et vigueur. » 

Incontestablement  à une date que j’espère la plus lointaine, j’en conclue :
"Après, c'est le trou noir".