A - Imagination fertile ?

Heure dite d’été ou d’hiver, pas de changement : pour bénéficier du lever du jour, je serais debout alors que le soleil en est encore à l’Est éclairant des  contrées inconnues.

Fidèle compagnon, campé à mes côtés, certain de son bon droit, il attendrait sa part de tartine, sa lichette de beurre avant de se rendormir du sommeil du juste. Puis il grimperait à l’étage sûr que la maîtresse des lieux va enfin émerger d’une nuit entrecoupée d’insomnies. Il ne porterait pas de jugement sur l’un et l’autre parce que cette approche différente du petit matin convient à sa vie de chien …

Selon la saison, la bonne température ambiante diffusée par cette merveille du progrès, compatible avec la transition écologique, le poêle  à granulés  rythmerait le silence d’un ronronnement de vieille machine à coudre.

Puis il y  aurait, assourdi par l’épaisseur des murs et l’isolation phonique, le bruit des rares voitures de voisins  partant  au travail.  Peut-être, entendrait-on quelques meuglements quand, cycle de vie bovine aidant, un veau  retiré à sa mère provoque ses appels désespérés.

Et le chat qui ne sait sur quel pied danser … Malin comme un singe, il aurait vite repéré la parure de bois  amovible  de la porte vitrée qui, maniée d’une patte habile,  manifeste le désir alterné du félin de venir casser une petite croûte  et  retourner dans les parages veiller  à la circulation des mulots sortis sans autorisation dérogatoire et méritant la peine capitale néanmoins précédée de quelques acrobaties involontaires imposées par le matou justicier.

Il y  aurait le labyrinthe à parcourir dans cette vieille bâtisse d’avant la Révolution aménagée au début du 21ème siècle. Émaillée  d’escaliers artisanaux, cette demeure comporterait des coins et recoins innombrables encombrés  d’objets que d’aucuns assortiraient du vocable d’hétéroclites.

Tout comme le mobilier qui ne pourrait se prévaloir de la griffe d’ébénistes réputés. Cependant, le maître de céans pour la plupart de ces meubles, pourrait  conter l’histoire. Parce qu’en fait, elle serait étroitement liée à ses origines, au vécu de ses ascendants …  Comme cette pendule qui égrène le temps depuis plus d’un siècle mais qui a ses exigences ou plutôt son rituel. Tournant la petite manivelle qui remonte le mécanisme chaque dimanche matin, j’aurais une pensée pour le père à qui incombait cette charge hebdomadaire, et avant lui, sa mère qui avait acheté d’occasion  cette pièce maîtresse du temps de plusieurs générations.

Voilà donc  résumé ce que serait l’espace idéal vu de l’intérieur de la demeure. Et l’extérieur ? Il y  aurait une cour entourée d’une clôture bois surmontant un mur de pierres du pays et un portail d’accès qui, lui aussi, rythme les saisons :  sous les pluies incessantes de l’hiver, le bois gonfle rendant l’ouverture difficile et bruyante. La cour aurait sa partie gazonnée, l’autre étant  castinée  favorisant les jeux du chien qui est aux anges quand ses maîtres daignent lui consacrer quelques instants. Il y  aurait un mûrier-platane à l’ombre protectrice pour déjeuners ou dîners, voire apéritifs conviviaux.

La cour ne saurait suffire à combler l’envie d’espace d’un couple aux origines paysannes non reniées : il faudrait un jardinet pour fleurs et arbustes surmonté d’une rocaille pour végétaux s’en accommodant, voire un figuier susceptible de donner des figues pour la confiture ou noyées dans l’eau de vie de prune.  Eau-de-vie, cela va de soie, confectionnée à partir des prunes du verger quand passerait le bouilleur de crû ambulant.

A quoi bon demeurer à la campagne, nanti d’une surface suffisante avec  terre généreuse à souhait si   les loisirs n’étaient  emplis  d’occupations débouchant sur verger et potager ?  Sans oublier la gent volaillère exigeant un espace suffisant  pour mener à bien ses ébats et fournir œufs et bonne chère aux  heureux propriétaires.

En cette région aux confins de l’Occitanie et Aquitaine dite Nouvelle, pruniers, pommiers, cerisiers, vigne s’accommoderaient  du voisinage  du noyer et même du fraisier. Celui-ci  a donné naissance à  la Fête de la Fraise se perpétuant encore  tout comme les  Fêtes de la noix et de la châtaigne ou peut-être de la Pomme qu’il faudra imaginer  dans une Association baptisée « Qualité de Vie »…

Peut-être conviendrait-il de  s’inspirer de La Fontaine, maître à penser :
« Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse. »

Non sans sueur et jurons assortis pour qualifier les pierres que le Seigneur a semé à profusion dans cette terre de causse quercynois ;  autant d’obstacles pour trous adéquats et différents selon le genre d’arbre à planter, corvée agrémentée du caquetage des poules ravies  des vocalises du coq, maître chanteur émérite.

Et, si d’aventure, dans les parages, il y  avait un sieur qui put entretenir la conversation en occitan, le retour à la langue natale serait le comble de la félicité …

Progressant dans les ans  qui ne seraient plus affublés de la  valeur de temps travaillé, au fil des saisons, j’observerais  les pousses des uns et des autres. Le cèdre dominateur, au beau milieu du parc, serait visible depuis la route qui conduit au hameau.

Routes ? Point trop n’en faut pour satisfaire la vingtaine de maisons  dans un rayon de 100 mètres autour  d’un espace qui n’a d’idéal  que la conception que s’en fait le rêveur en quête d’absolu.

Absolu qu’on pourrait qualifier de parfait et achevé dans sa totalité ? Mais alors, l’ennui m’attendrait au coin  du chemin ?

Non ! Mon espace idéal, je ne sais si je l’ai rêvé un jour.  Si rêve il y   eût, l’imagination eut-elle été assez fertile pour concevoir un espace qu’on façonnerait à son goût ?

Non … Tel qu’il est mon espace empli d’arbres offerts ou acquis au gré  des balades, il me plaît parce qu’où se pose mon regard, je vois un mur, un plafond,  une porte, une  fenêtre sur lesquels s’est exercée la « patte gauche » d’un novice en bricolage. Et cerise sur le gâteau – avant celles que  promettent les cerisiers en fleur-  il y a l’écriture,  violon d’Ingres pour les périodes de désœuvrement.

Alors, je me plonge dans les mots …