A. Diapositives de vacances
+3
Zephyrine
Amanda
alainx
7 participants
Kaléïdoplumes 4 :: Archives 2019/2023 :: Espace Ecriture et Photo :: Ecriture et Photo sur consigne :: Consignes 562
Page 1 sur 1
A. Diapositives de vacances
Les souvenirs d'enfance s'estompent aux marches de la vie. Parfois on entrevoit des scènes au coin d'un rêve. Il aura fallu que j'aille rechercher ces vieilles diapositives de vacances anciennes, que je les fasse revivre sur cet écran blanc perlé qui exhala cette odeur médicamenteuse à mesure que je le déroulai pour l'accrocher sur sa perche à moitié rouillée. Je disposais encore du vieux projecteur à fondus-enchaînés aux ventilateurs poussifs et bruyants.
J'avais mis les diapos un peu dans le désordre et lors d'un fondu-enchaîné, je vis apparaître cette photo de nos enfances que mon père avait prise à notre insu alors que nous jouions à feuille-pierre-ciseaux. Ma sœur et moi. En ce temps-là nous étions proches et complices. C'était « avant ».
Je suis resté longtemps devant cette « troisième image », superposition des deux autres. Les larmes me sont montées. Je me suis empressé de les refouler le plus loin possible, sans vraiment y parvenir. C'était le temps de l'innocence. Lequel d'entre nous aurait imaginé ce qui se passa par la suite. On sait bien qu'aucune vie n'est épargnée par les épreuves. Mais c'est plus tard qu'on l'apprend, lorsqu'on a grandi, lorsque les premières déceptions sont apparues, lorsque papa ne fut plus un dieu, et que maman cessa d'être une princesse.
Les dieux sont immortels, les princesses éternelles. J'aimais les contes et légendes. Dans le rayonnage au-dessus de mon lit j'en avais toute une collection : « contes et légendes d'Alsace » on commençait par la lettre A et ensuite chaque ouvrage déclinait les régions et provinces de France. Tout était merveilleux, même s'il y avait des épisodes quelque peu tragiques, tout se terminait toujours « bien ». Ainsi en serait-il de ma vie, j'en avais la certitude.
L'enfance est parfois très trompeuse.
Lorsque c'est arrivé, les jeux enfantins disparurent en un instant. Plus personne n'entendit des rires dans les ruelles, pas plus que dans la maison familiale.
— Maintenant tu es grand ! Prononça mon oncle, le frère de papa, d'une voix ferme et tendre à la fois, comme si cette déclaration était destinée à me donner la force de poursuivre une vie qui avait tout perdu.
Le projecteur de diapositives à fondus-enchaînés s'éteignit dans un claquement. Un court-circuit avait fait exploser les grosses ampoules lumineuses. Le verre épais destiné à protéger les diapositives de la chaleur émise par les lampes en fut même fendu. Je me suis retrouvé dans le noir.
Ce noir qu'il m'avait fallu traverser pendant des années. Cette nuit qui m'envahissait encore l'âme bien trop souvent. J'ai allumé le petit lampadaire du salon qui me sembla émettre une lumière blafarde. J'ai rangé tout le matériel, avec des gestes lents, une pesanteur dans les bras, une tête lourde, et beaucoup de regrets d'avoir ressorti ces vieilles diapos.
Le lendemain il a fallu reprendre l'ordinaire. Le banal ordinaire. Les gestes répétitifs de celui qui n'a plus d'autre choix que de reproduire et reproduire encore.
Mais quand même. Cette réapparition de ma sœur, cette évocation des parents, leur absence désormais à tous les trois. Je pensais que peut-être je leur devais quelque chose, moi, le survivant. Alors je leur ai fait cette promesse, qui s'envolera vers ces lieux inconnus ou personne n'ira peut-être jamais, mais dont on parle parfois :
Un jour, je jouerais mieux; un jour j'apprendrais à rire
J'avais mis les diapos un peu dans le désordre et lors d'un fondu-enchaîné, je vis apparaître cette photo de nos enfances que mon père avait prise à notre insu alors que nous jouions à feuille-pierre-ciseaux. Ma sœur et moi. En ce temps-là nous étions proches et complices. C'était « avant ».
Je suis resté longtemps devant cette « troisième image », superposition des deux autres. Les larmes me sont montées. Je me suis empressé de les refouler le plus loin possible, sans vraiment y parvenir. C'était le temps de l'innocence. Lequel d'entre nous aurait imaginé ce qui se passa par la suite. On sait bien qu'aucune vie n'est épargnée par les épreuves. Mais c'est plus tard qu'on l'apprend, lorsqu'on a grandi, lorsque les premières déceptions sont apparues, lorsque papa ne fut plus un dieu, et que maman cessa d'être une princesse.
Les dieux sont immortels, les princesses éternelles. J'aimais les contes et légendes. Dans le rayonnage au-dessus de mon lit j'en avais toute une collection : « contes et légendes d'Alsace » on commençait par la lettre A et ensuite chaque ouvrage déclinait les régions et provinces de France. Tout était merveilleux, même s'il y avait des épisodes quelque peu tragiques, tout se terminait toujours « bien ». Ainsi en serait-il de ma vie, j'en avais la certitude.
L'enfance est parfois très trompeuse.
Lorsque c'est arrivé, les jeux enfantins disparurent en un instant. Plus personne n'entendit des rires dans les ruelles, pas plus que dans la maison familiale.
— Maintenant tu es grand ! Prononça mon oncle, le frère de papa, d'une voix ferme et tendre à la fois, comme si cette déclaration était destinée à me donner la force de poursuivre une vie qui avait tout perdu.
Le projecteur de diapositives à fondus-enchaînés s'éteignit dans un claquement. Un court-circuit avait fait exploser les grosses ampoules lumineuses. Le verre épais destiné à protéger les diapositives de la chaleur émise par les lampes en fut même fendu. Je me suis retrouvé dans le noir.
Ce noir qu'il m'avait fallu traverser pendant des années. Cette nuit qui m'envahissait encore l'âme bien trop souvent. J'ai allumé le petit lampadaire du salon qui me sembla émettre une lumière blafarde. J'ai rangé tout le matériel, avec des gestes lents, une pesanteur dans les bras, une tête lourde, et beaucoup de regrets d'avoir ressorti ces vieilles diapos.
Le lendemain il a fallu reprendre l'ordinaire. Le banal ordinaire. Les gestes répétitifs de celui qui n'a plus d'autre choix que de reproduire et reproduire encore.
Mais quand même. Cette réapparition de ma sœur, cette évocation des parents, leur absence désormais à tous les trois. Je pensais que peut-être je leur devais quelque chose, moi, le survivant. Alors je leur ai fait cette promesse, qui s'envolera vers ces lieux inconnus ou personne n'ira peut-être jamais, mais dont on parle parfois :
Un jour, je jouerais mieux; un jour j'apprendrais à rire
_________________
"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Diapositives de vacances
J'ai savouré tant de belles phrases dans ton texte comme :
" Les souvenirs d'enfance s'estompent aux marches de la vie"
"
Mais c'est plus tard qu'on l'apprend, lorsqu'on a grandi, lorsque les premières déceptions sont apparues, lorsque papa ne fut plus un dieu, et que maman cessa d'être une princesse."
"Les dieux sont immortels, les princesses éternelles. "
"L'enfance est parfois très trompeuse."
Sans compter la finale et la chute :"Alors je leur ai fait cette promesse, qui s'envolera vers ces lieux inconnus ou personne n'ira peut-être jamais, mais dont on parle parfois "
Un texte mélancolique qui se termine cependant sur une note d'espoir. Et c'est là que ça fait du bien !
" Les souvenirs d'enfance s'estompent aux marches de la vie"
"
Mais c'est plus tard qu'on l'apprend, lorsqu'on a grandi, lorsque les premières déceptions sont apparues, lorsque papa ne fut plus un dieu, et que maman cessa d'être une princesse."
"Les dieux sont immortels, les princesses éternelles. "
"L'enfance est parfois très trompeuse."
Sans compter la finale et la chute :"Alors je leur ai fait cette promesse, qui s'envolera vers ces lieux inconnus ou personne n'ira peut-être jamais, mais dont on parle parfois "
Un texte mélancolique qui se termine cependant sur une note d'espoir. Et c'est là que ça fait du bien !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. Diapositives de vacances
Il est triste ton texte, il est très bien écrit.
Les diapositives, les films super8, les photos en noir et blanc me rendent souvent très émue. ..
Ne devrait on pas se retenir de dire " C'était le bon temps!"
Les diapositives, les films super8, les photos en noir et blanc me rendent souvent très émue. ..
Ne devrait on pas se retenir de dire " C'était le bon temps!"
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
RE A / Diapositives de vacances
C'est toujours douloureux de revoir des visages de proches disparus mais c'est ce qui nous permet de ne jamais les oublier .
Bravo pour ce beau texte.
Bravo pour ce beau texte.
automne- Humeur : égale
Re: A. Diapositives de vacances
Le vieux projecteur de diapositives, c'est toute une époque. Tu le décris parfaitement avec beaucoup d'émotion. C'est un beau texte sur la nostalgie et la désillusion.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Diapositives de vacances
Beau récit sur la nostalgie que l'on croise au détour d'une vieille photo ou d'un film super 8
_________________
Martine27
Martine27- Humeur : Carpe diem ou Souris quand même
Re: A. Diapositives de vacances
Je relève les mêmes passages que ceux choisis par Amanda. Douleur et peine sont traités avec beaucoup de délicatesse, comme devient lisse la peau d'une cicatrice.
Virgul- Humeur : Optimiste
Kaléïdoplumes 4 :: Archives 2019/2023 :: Espace Ecriture et Photo :: Ecriture et Photo sur consigne :: Consignes 562
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|