A. Charme

De la mer arrivait au galop une chape de nuages chargés d’électricité.
Lisette était nue, endormie sur le sable et Ronan, les lèvres posées sur sa tempe, murmura : - L’orage arrive, réveille-toi.
Ils enroulèrent autour de leurs corps les étoffes qui avaient servi à se sécher après le bain et escaladèrent les rochers jusqu’au sommet de la falaise; puis ils coururent, main dans la main, dans le pré salé pour se réfugier dans la petite chapelle en bois car les premières gouttes de pluie commençaient à tomber.
Un éclair déchira brusquement le ciel assombri, et un coup de tonnerre claqua violemment. Par la fenêtre restée ouverte, Lisette et Ronan regardaient les trombes d’eau s’abattre sur les touffes de bruyère et de salicorne. Ronan s’assit sur le rebord, laissant pendre ses jambes et Lisette enlaçait sa taille par derrière, le front posé sur son dos. L’orage fut bref, déjà le soleil cherchait une place entre les nuages.
Lisette fit pivoter Ronan vers elle et l’embrassa tendrement. Ils se retrouvèrent rapidement allongés sur le plancher, au milieu des étoffes et de leurs vêtements éparpillés.

Lisette repensait à ce moment heureux, assise sur le muret du cimetière à l’ombre du lilas dont les fleurs l’entêtaient. Dans sa robe blanche, les bras croisés sur sa poitrine, elle s’enlaçait elle-même, comme pour retrouver le souvenir de ses bras à lui, puis elle posa son menton dans sa main et resta ainsi, perdue dans ses pensées confuses.

Le petit portail en fer du cimetière grinça et un inconnu s’approcha d’une tombe. Il se recueillit quelques instants puis s’assit à même le sol et sortit une flute de sa besace. Il joua alors un air si joli que des larmes coulèrent sur la joue de Lisette.
La musique, mêlée au parfum des lilas la bouleversait.
L’étranger avait de la peine, sa musique le disait. Lisette pensa qu’il partageait ainsi avec elle son propre chagrin comme pour l’alléger.

Elle resta assise sur le muret aussi longtemps qu’il joua et il joua jusqu’à la tombée du soir. Elle ne pensait plus à rien, elle se laissait porter par l’envoutante mélodie.

Lorsque le ciel s’obscurcit sans lune et que le soir devint nuit, la musique de la flute cessa. L’homme l’avait rangée dans sa besace et s’était relevé. Lisette descendit du mur. Sur ce, l’étranger se fondit dans l’obscurité.