A. La fête va être une réussite.

La fête va être une réussite.

De la mer arrivait au galop une chape de nuages chargés d'électricité. Si bien que l'on se demanda si la vedette « La Sirène Verte » allait arriver à temps pour accoster dans l'île privée  Enez an Hent Tenn (*), qui signifie Île du chemin difficile, avant que les orages ne se déclenchent. Beaucoup d'invités débarquèrent la veille avec tout le nécessaire pour les fêtes bacchanales auxquelles nous avions prévu d'ajouter cette année un sabbat des sorcières dignes de l'inquisition.
«  La Sirène Verte » amenait la troupe « Bacchus et diableries », spécialement embauchée.  L'organisateur avait promis d'extraordinaires  tableaux, fredaines, et bambochades dont nous nous souviendrions pendant des années…
J'estimais que l'argumentaire était  publicitaire. Hélas,  je n'imaginais pas l'ampleur de ce qui nous attendait, sinon il est certain que j'aurais tout annulé…

Les festivités commencèrent dans la bonne humeur, le vin coulait à flots, les hommes feignaient des fureurs torrides, exhibaient leurs attributs, les femmes faisaient semblant d'être terrifiées en offrant cependant leur nudité à qui désirait, en public ou se retirant sur la plage désertée. Il n'y avait personne d'autre que nous. C'était l'avantage d'avoir loué une île privée. Tout cela restait bon enfant et dans la limite de ce que l'on peut rencontrer dans les clubs échangistes de bon aloi.

Et puis, entra dans l'action la troupe « Bacchus et diableries ». Le responsable de la troupe m'avait montré la gravure d'une scène sensée me donner un aperçu du spectacle qu'ils allaient produire. Cela me semblait dans le goût acceptable par mes invités. On restait dans les limites d'une bienséance moderne et débridée. Quelle ne fut pas ma surprise cependant de voir le lieu de fête envahi par des monstres horribles. Cela n'avait plus rien à voir avec la gravure illustrative. La troupe était plus importante en nombre que je ne le croyais. Une véritable horde. Ils s'en prenaient à mes invités, les brutalisaient et même parfois assez violemment. Au début on a cru qu'ils faisaient semblant comme s'il s'agissait d'une attaque de flibustiers ou je-ne-sais-quoi du genre, car certains étaient armés d'épées et de couteaux.
J'ai pensé : bon, c'est un jeu, un peu brutal et imprévu, certes, mais comme on avait annoncé quelque chose d'un peu satanique… tout cela allait finir en franche rigolade j'en étais certaine.
Seulement voilà, j'ai réalisé que toute la troupe était droguée à mort et totalement hors contrôle. C'est lorsque j'ai vu du sang commencer à couler du corps de certains invités, les femmes dénudées surtout, que j'ai commencé à m'affoler à tenter d'intervenir. Alors un étranger m'a prise par les cheveux violemment en hurlant :
—   Ta gueule, la vieille !

La panique  était à présent générale. Chacun s'enfuyait, mais on ne pouvait aller bien loin tant l'île était petite… l'étranger me maintenait au sol par le poids de son corps. Il ricanait en voyant le spectacle horrible de la panique et des cris.
La soi-disant troupe de comédiens poursuivait mes invités sur la plage les  obligeants  se jeter à la mer, tandis que l'orage grondait de partout. La soirée d'été  qui devait être agréable distrayante se transformait  en nuit  de l'horreur.
C'est à ce moment-là que j'ai perdu connaissance.

Lorsque je suis revenue à moi, j'ai ressenti le froid et le sable humide dans mon dos à chaque mouvement des vagues. On ne distinguait quasiment rien dans cette terrible noirceur nocturne. Il n'y avait plus aucun bruit, aucun cri, aucun homme, aucune femme. Tout semblait  désertique. Je vivais un mauvais rêve. Il ne pouvait en être autrement. J'allais en sortir très vite. Encore quelques instants et je reprendrai l'intégralité de mes esprits.

Au-dessus de moi, j'ai vu cette tête diabolique de l'étranger, barbu, nez crochu et j'ai même aperçu des cornes au sommet de son crâne. Il a ricané.
— Alors ! La vieille ? Contente de sa petite fête ? On ne croyait pas que l'horrible peut surgir à tout instant, hein ? On se croit à l'abri, sur l'île déserte, et puis, tout à coup, tout bascule. Que ceci te serve de leçon, pauvre conne !
Sur ce, l'étranger se fondit dans l'obscurité.

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(*): Île privée du golfe du Morbihan