A. Le portail

alainx Mar 7 Juil 2020 - 10:42

Le portail

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Assis en tailleur sur le trottoir d’en face, j'observe le flux incessant de la vague des automobiles, suivi du reflux de cette marée de ferrailles automobiles. Elles passent sous mes yeux au rythme des balises de signalisation et de leur changement de couleur du vert à l'orange, de l'orange au rouge, et ainsi de suite.

Depuis combien d'années en était-il ainsi ? De jour comme de nuit ? Par vents et marées ? Par beau temps ou sous la pluie ?

Impossible de le dire. Même si je viens m'asseoir régulièrement avec l'espérance au cœur.

Sur le trottoir d'en face trône une bâtisse énorme, en briques, dont la construction remonte au siècle précédent si ce n'est plus loin dans le temps et l'espace.

J'attends. Presque chaque jour j'attends.

La porte métallique, en fer forgé recèle quelques arabesques symétriques tout en donnant l'impression qu'elles ne le sont pas vraiment. On perçoit une recherche de rondeurs en même temps qu'une rigueur carrément rectangulaire.

Cela fait longtemps que j'ai envie de franchir cette porte, lourde à pousser. Qui a-t-il donc à découvrir dans ce bâtiment étrange ?

Je viens chaque matin depuis des semaines, peut-être même des mois. Avec l'âge, ma mémoire se fait de plus en plus gruyère. Si bien que je finis par me demander quelle peut être la raison de cette régularité de mes visites. Je me lève tôt puis me rends à pied devant l'immeuble imposant. Parfois je dirige mon regard vers le ciel pour en apercevoir le sommet qui semble se perdre dans les nuages. Je pense à ces beffrois, érigés comme des phallus pour montrer qu'on est les plus forts. Je reste là de longues heures. Je pourrais occuper mes journées à des activités plus intéressantes aux yeux de ceux qui pensent qu'il faut faire les choses et ensuite en faire d'autres, sans cesse. Pour eux il est nécessaire d'occuper la journée, se fatiguer jusqu'au soir et rentrer dormir, afin que le lendemain, frais et dispos, on puisse continuer à faire systématiquement la même chose, en attendant le jour où la mort viendra.

Cependant je sais que mon destin me prépare à autre chose. C'est une connaissance intuitive. Il faut toujours faire confiance à ce qu'on ignore, surtout lorsqu'on a la certitude d'un devenir hors du commun.

Vendredi, jour du poisson, en fin de matinée, la lourde porte métallique, dont les vitres font quelque peu miroirs, ne refléta plus la laideur qui s'étale dans mon dos sur le trottoir d'en face. Je me suis habitué à cette laideur. C'est pourquoi ma surprise est grande de voir apparaître la mer au soleil couchant. C'est totalement irrationnel, puisque nous sommes en fin de matinée. Ce n'est pas l'heure où le soleil peut décider de se coucher.

Pourtant, il ne peut s'agir d'une hallucination. La mer est calme, mais on voit des vaguelettes trembler. D'abord j'ai cru le phénomène causé par les trépidations des voitures sur la rue pavée. Les bagnoles font certainement remuer la vitre de l'immense porte d'entrée, ce qui donne l'illusion de vaguelettes en mouvement.

Mais non, l'explication est mauvaise. C'est l'océan, tout simplement, l'océan qui vient se prélasser au bord d'une immense plage, immense comme le bâtiment qui l'abrite.

Je devrais être étonné, mais soyons clairs, chacun sait qu'il existe des villes en bord de mer. Mon étonnement est donc vain.

Alors je me lève, assez difficilement, comme chaque fois que je quitte la position en tailleur, laquelle génère des crampes parfois pénibles. Une fois debout, bien qu'un peu encore engourdi, je traverse la rue sans me soucier des voitures qui me klaxonnent car le feu est vert pour eux. Je suis bien décidé à ouvrir la lourde porte de fer et à plonger dans l'océan.

Lorsque j'ai raconté toute l'histoire au chirurgien, dans ma chambre d'hôpital, après les heures qu'il passa à réparer mes multiples fractures à la suite de m'être fait renverser et projeté à plusieurs mètres par une bagnole, alors que je traversais la rue vers la porte métallique. Je lui apprends comment j'ai vu l'océan derrière la porte et le rythme des vagues qui déferlent. Il m’indique que tout cela est parfaitement normal. Neuf fois sur dix ce genre de perceptions hallucinatoires surgissent après une anesthésie générale particulièrement longue.

automne Mar 7 Juil 2020 - 14:28

Très mauvaise idée de traverser la rue imprudemment !
bravo

Zephyrine Mar 7 Juil 2020 - 16:10

Voilà un texte mystérieux où les hallucinations se mêlent aux reflets qu'on peut apercevoir dans une vitre...
Où s' arrête la réalité? Où commence la fiction?
Il es vrai qu'après une anesthésie. ...

Daboum Mar 7 Juil 2020 - 19:49

Hello alainx
j'adore le "carrément rectangulaire". Et toute l'histoire d'ailleurs. La chute (c'est le cas de le dire) est surprenante. bravo

L'idée que la mer habite dans une grande bâtisse fermée, au-delà d'une porte à miroirs, me réconcilierait presque avec l'eau. Merci de toutes ces images.

Amanda Jeu 9 Juil 2020 - 21:54

Je penche pour les effets de l'anesthésie ayant vécu ce phénomène après l'opération du coeur de ma moitié. Tout le monde pensait qu'il avait perdu la tête quand il racontait ce qu'il avait vécu

Nch

Martine27 Dim 12 Juil 2020 - 11:09

Très intrigante cette histoire et c'est presque dommage de n'y voir que le résultat de l'anesthésie, après tout s'il a traversé si imprudemment c'est bien parce qu'il y avait quelque chose à voir.

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