A. Nuit de tempête

Cette année-là l’hiver fut particulièrement rude. La neige recouvrit les champs durant des semaines et le gel fendit les arbres autant que les pierres. Beaucoup de paysans moururent de froid et leur corps furent mangés par les loup affamés sortis des bois. Nous vîmes même des oiseaux se dévorer entre eux. Il n’y eut pas de récoltes et les paysans durent se nourrir de leurs maigres réserves qui vinrent rapidement à manquer.

Hippolyte n’aurait jamais pensé en arriver là. Même si elle ne vivait pas dans l’opulence, sa famille avait toujours mangé à sa faim. Un soir, dans son lit, il entendit son fils ainé affamé pleurer car il était assez grand pour comprendre qu’ils étaient maintenant dans la misère. Hippolyte n’en dormit pas de la nuit. Il pensa à ses frères aussi démunis que lui qui n’hésitaient pas, à la moindre tempête, à se rendre sur le rivage à l’affut du moindre infortuné bateau qui aurait fait naufrage et se serait échoué sur le sable. Ils leur arrivait parfois de rentrer avec quelques provisions retrouvées dans les cales. Hippolyte n’aimait pas ces pratiques qu’il trouvait malhonnêtes mais ses frères répliquaient que ces denrées seraient de toute manière perdues et finiraient par nourrir les poissons. Ils ajoutèrent qu’il leur arrivait parfois de trouver dans les épaves des rescapés qui seraient morts sans leur aide. Mais le bruit courait que certains villageois n’hésitaient pas à tuer les survivants qui tentaient de défendre leur marchandise. Il refusait de se joindre à cette ruée de pilleurs.

Ce soir là, une forte tempête agitait l’océan, soulevant des vagues à plus d’une dizaine de mètres. Les frères d’Hippolyte insistèrent pour qu’il vienne avec eux sur la plage. Hippolyte hésita puis repensa aux pleurs de son fils et finit par accepter.

La nuit était glacée. Ils avançaient sur le sable gelé dans la pénombre. D’autres villageois étaient venus aussi. Il en vit un groupe qui faisait avancer une vache, portant à ses cornes un fanal.

- Pensent-ils ramener les victuailles sur le dos de la vache ? demanda Hippolyte à ses frères.

- Non, répondirent-ils gênés, ils pensent qu’un navire au loin prendra cette lumière pour un bateau car la vache avance en ondulant dans le sable comme le ferait un bateau sur l’eau et, croyant être en mer, qu’il finira par s’échouer sur la terre.

- Mais ce sont des assassins ! s’écria Hippolyte se précipitant pour ôter le fanal accroché aux cornes de la vache. Aussitôt, les villageois se ruèrent sur lui pour l’immobiliser. Le pauvre homme se débattait tant qu’il le pouvait. Il comprenant maintenant pourquoi la plupart des habitants de la commune s’était opposé à la construction d’un phare sur cette côte. Ces naufrages étaient une bonne aubaine pour eux. Ses frères accoururent à son secours et cela déclencha une bagarre générale. Les coups de poings devinrent de plus en plus violents, certains sortirent même des couteaux de leurs poches et la bataille devint une véritable scène de guerre. Heureusement, les garde-côtes alertés par les hurlements apparurent avec leurs fusils. Les bandits détalèrent comme des lapins mais il était difficile de courir dans les dunes tant la nuit était noire. Ils se couchèrent alors derrière les genêts pour se cacher. Lorsqu’un garde trébuchait malencontreusement sur un corps allongé et s’aplatissait sur lui, la capture du malfaiteur était alors faite. La traque venait de commencer.

@ Automne : oui la faim mais pas seulement. En lisant la consigne j'ai pensé à un livre que j'ai lu il y a très longtemps :"L'auberge de la Jamaïque" de Daphné du Maurier où il est question de ces naufrageurs qui dépouillaient les navires échoués de leur victuailles et des cargaisons précieuses. Je me suis documenté sur internet pour écrire ce texte et j'ai découvert qu'ils étaient capables de couper le doigt d'une victime pour lui voler une bague