A - Cette année-là

Daboum Lun 7 Déc 2020 - 22:13

M^elle Irmine et son Julot, devant le Bar Aimé, avec Aristide et sa Fifi attablés à droite de la porte, dans la vieille ville d’Albi, dans les années vingt, juste avant la Grande Crise et surtout, juste avant le drame.

Le patron du bar, Aimé, a pris la photo avec l'appareil à soufflet qu’il avait rapporté de la guerre, en échange de son pied droit. Il avait appris la photographie dans les tranchées, et après sa blessure, dans les services des informations de l’armée.

Ça devait être juste avant midi, parce qu’Aristide a déjà fini sa première topette. Son chien, ici sa chienne, c’était toujours Fifi, quelle que soit la race ou le sexe de l’animal. Il en a eu au moins quatre, des Fifi. Tous les jours, sauf le dimanche – visite à maman riche veuve-providence oblige, Aristide arrivait vers 11 heures, en terrasse sauf en hiver, et, comme par magie, le pot de vin et le verre arrivaient. Souvent, le contenu changeait, au gré des livraisons d’Aimé. Tantôt du Gaillac rive droite, du rive gauche, du rouge, du blanc, plus rarement du rosé ou du mousseux, réservés pour ces dames.

Avec le temps, Aimé lui avait ouvert sa table au déjeuner et Aristide mangeait chez lui. Pour digérer le repas, un alcool blanc local qui trouait l’estomac accompagnait le jus de chaussette. Après, en lieu et place de sieste, Aristide faisait le tour du quartier avec Fifi et revenait pour se désaltérer avec un nouveau pot de vin. Par-dessus tout, il préférait le Gaillac Primeur. Depuis tant d’années, il avait dilué sa raison entre Gaillac et Rabastens, s’enivrant de tous les crus de l’appellation.

M^elle Irmine, couturière de formation, raccommodait les vêtements qu’on lui apportait et déchirait les mariages en offrant assez ostensiblement ses charmes à certains messieurs. Julot lui laissait le fruit de son travail à l’aiguille et s’emparait des rétributions laissées par ces messieurs. Il les jouait dans un tripot semi-clandestin hors les murs.

Petit à petit, Aristide s’était entiché d’Irmine et Julot ne voyait pas ça d’un très bon œil, vu qu’Aristide avait proposé le mariage et allait ainsi tarir une bonne source de revenus. Irmine faisait mine de ne rien voir, rien savoir, et aguichait Aristide dans le dos de Julot. Un jour, après un sourire de trop, Julot s’est attaqué à Aristide, qui s’est trop bien défendu et a défoncé le crâne du maquereau avec la bouteille, heureusement vide.

Aristide a été condamné à vie et est mort au bagne, Irmine a quitté la ville pour Toulouse, on ne l’a plus jamais revue à Albi. Aimé a recueilli Fifi.
Voilà, vous savez tout.

alainx Mar 8 Déc 2020 - 18:09

Les vins de Gaillac, rocailleux comme la voix d'Aristide et son accent unique en son genre. On aurait dû se douter qu'il allait se passer un truc pas clair vu la manière dont il déshabillait Irmine à chaque fois qu'il la regardait.
Quelqu'un avait même prévenu la maréchaussée qui avait d'autres chats à fouetter en ces périodes troublées.
Aujourd'hui on dirait que c'est une bavure policière par défaut. Mais là, le maréchal des logis fut promu.
Quelle histoire tout de même !

bravo

Myrte Mer 9 Déc 2020 - 11:14

En voilà un croustillant fait divers des années vingt bien raconté. Moi j'avais de la sympathie pour cet Aristide et sa Fifi... dommage qu'il ait fini ainsi!

automne Mer 9 Déc 2020 - 14:27

Un vrai polar , quelle imagination !
bravo

**Admin** Mer 9 Déc 2020 - 15:03

Triste fin pour Aristide et sa dulcinée qui finira sa vie on ne sait comment suée

Même réflexion que pour Zephyrine, les vêtements font penser à une époque moins vieille que les années 20. Mais le texte pourrait être Tout à fait transposé 20 ans plus tard.
En ce qui concerne le Gaillac, lorsque j’étais étudiante je passais tous mes automnes à ... Gaillac pour vendanger du ... Gaillac évidemment , alors il a forcément un goût de nostalgie pour moi ce vin cool

Amanda Mer 9 Déc 2020 - 16:21

Je n'y connais rien en vins, tu as l'air experte.
Avec précision tu traces le portrait de chacun, même le chien, avec une pointe d'humour.
Humour assez féroce quand tu parles d'échanger son pied contre un appareil à soufflets !
En somme un fait divers de l'époque bien réaliste et tragique.
Ici aussi on pourrait te demander d'en écrire davantage, un bon, gros roman noir truffé de bons mots. Ca te dit ?

Zephyrine Mer 9 Déc 2020 - 16:31

Humour grinçant, j'ai goûté les vins que tu cites, je suis presque d'accord avec toi. bier

Charlotte Jeu 10 Déc 2020 - 17:52

Ah oui c'est qu'on ne s'embêtait pas au bar aimé en ce temps là. un vrai roman policier très bien construit.

silhène Jeu 10 Déc 2020 - 19:08

Ils ont l'air tous l'air bien sages tes personnages sur la photo, insoupçonnables...
Une ambiance qui me fait penser aux Maigret , et un texte qui se déguste comme du Gaillac Perlé (mon préféré Contents

)

Martine27 Sam 12 Déc 2020 - 11:40

Pauvre Aristide, voilà une peine bien rude ! Tes personnages sont hauts en couleur c'est le moins que l'on puisse dire. Mais ouf Fifi a trouvé une autre famille !

Daboum Sam 12 Déc 2020 - 11:46

Oui, c'est le principal, Fifi a un foyer. Le reste n'est qu'humaineries...

Virgul Lun 14 Déc 2020 - 15:48

J'aime aussi le ton de ton texte: "une topette", "elle raccommodait les vêtements et déchirait les mariages ... ", qui donne à ton texte une allure enjouée et bon enfant, et qui rend aussi la violence moins dramatique. J'ai bien aimé.

Mimi la Sardine Mar 15 Déc 2020 - 8:59

Chez nous, Fifi c'était le chat ...
On a l'impression d'y être!
Tiens, ça m'a donné envie de m'attabler au Bar Aimé pour déguster un verre de Gaillac!
Il faudra attendre quelques semaines pour ça ...

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