A. Grain de sable

Je suis las de ce soleil ardent qui me brûle la journée et du froid glacial la nuit. Je suis fatigué de cette immobilité à peine troublée par les pas d’un touareg ou par un léger souffle vaporeux qui m’entrainent le long de la dune. Mon chant plaintif et lancinant monte alors au ciel. Dieu des vents, Dieu Eolien, j’ai envie de voyage, de liberté, de découverte.

Quel est ce bruit au loin ? Le ciel s’obscurcit, le rugissement s’amplifie de plus en plus. Ça y est ! Je décolle ! Avec des milliers de frères me voilà pris dans la nasse de ce terrible sirocco tant craint des hommes et des bêtes.
Je file à toute allure, je vole, je tourbillonne, j’en perds la tête. Je ris aux éclats mais pas question de buller ! Garder le cap, aller de l’avant, ne pas se faire percuter par les autres. Rien ne nous arrête. Ni les arbrisseaux qu’on défeuille au passage, ni les tentes des hommes qu’on arrache au sol. Les oiseaux fuient devant nous à tire d’aile. Les humains se terrent comme ils peuvent. Gare aux retardataires et aux plus fragiles. Nous les englobons, les lacerons de nos cristaux aiguisés.

Le sirocco qui nous porte s’affaiblit puis tombe. Me voilà de nouveau sur le sol, hébété, groggy. Que ce fut beau et exaltant ! Une expérience qui m’insuffle une telle énergie que j’en redemande. J’ignore où nous avons atterri, quelle distance nous avons parcourue. Nous avons quitté notre dune pour en retrouver une autre mais je veux revivre cette sensation de liberté, cet envol.

C’est à présent un vent léger et doux qui nous enveloppe délicatement moi et mes frères et nous fait monter très haut dans le ciel. Nous naviguons tranquillement. Survolons l’eau que les hommes nomment la Méditerranée puis le continent qu’ils appellent Europe. Notre hôte nous parle de ses frères et sœurs : Foehn, Mistral, Burle, Bise, Autan, Tramontane, et tant d’autres !

Les hommes regardent stupéfaits leur ciel devenir jaune/orangé. La même couleur que les photos sépia de leurs arrière grands parents.  Des phrases parviennent jusqu’à nous : « C’est un vent de sable en provenance du Sahara ». Tout doucement nous nous déposons au sol. Certains de mes frères finissent dans ce que les humains appellent une casse auto. Ils se retrouvent sur de la ferraille, des pneus ou des chambres à air crevées.
J’ai de la chance. Une petite fille tend ses mains en coupe et me recueille au creux de ses paumes. Elle sourit, son visage est lumineux. Elle me souhaite la bienvenue et me dépose au milieu d’un parterre de violettes dont la fragrance m’envahit. Je sens que je vais être bien ici.

Magnifique texte d'actualité en plus, car nous avons connu ce phénomène il y a peu. Toute la poésie dans laquelle nagent les mots de la consigne nous emporte avec bonheur, Sherkane, tu nous livres là une très, très belle écriture !

Un magnifique texte Sherkane, qui m'a ramené des années en arrière en pleine tempête de sable...

Un texte qui nous fait voyager avec les aléas rencontrés mais une fin heureuse au milieu des fleurs .

comment ça! tu oublies le suroît?

en tout cas très beau texte, et un p'tit grain qui finit bien sa route. Au moins ce sirocco n'a pas bouché Suez.

Oui, une très belle écriture, Sherkane, beaucoup de poésie dans tes mots.

Merci à tous de vos commentaires

Très mignonne l'histoire de ce petit grain de sable qui vient s'échouer sous nos contrées.

Un grain de sable qui nous fait voyager dans ton imaginaire, très bien raconté. J'adore aussi le contraste entre le minuscule (grain) et la puissance des vents. Très bonne idée.