A. Nos habitudes
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Admin
Zephyrine
madeleinedeproust
Myrte
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Kaléïdoplumes 4 :: Archives 2019/2023 :: Espace Ecriture et Photo :: Ecriture et Photo sur consigne :: Consignes 599
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A. Nos habitudes
On s’habitue à tout, c’est ce qu’on dit.
J’étais habituée à vivre au milieu de cette palmeraie, loin du monde. Mon univers se limitait à la maison dans l’enceinte des Entrepôts frigorifiques de Marrakech. Maman s’occupait de la cuisine, du linge, du ménage, faisait de la couture et, après le repas de midi, s’octroyait ses « cinq minutes de fantaisie » pendant la sieste obligatoire avec la revue Historia. Papa rentrait le midi en bleu de travail. Le repas était toujours prêt et la famille s’installait autour de la table en formica jaune de la cuisine.
Pour mon premier jour d’école à cinq ans, c’est Hassan l’homme à tout faire, qui nous « lâchait » devant le portail de l’ancien camp militaire Mangin transformé en école primaire et sa fourgonnette disparaissait aussitôt.
Je ne sais pas trop pourquoi j’ai pleuré chaque jour aussi longtemps, pensant que jamais je ne m’habituerai à un monde sans maman. Pourtant j’aimais l’école, cette porte ouverte vers la découverte, l’apprentissage de la lecture et les camarades de classe. De retour chez nous, après le gouter, une tartine de pain à la confiture d’abricot et un verre d’eau à l’antésite, nous faisions nos devoirs sur la table de la cuisine.
Le vendredi était le jour de la semaine sans école, en réalité c’était le « dimanche » des musulmans mais ça faisait notre coupure hebdomadaire, et même si ça ne coupait pas vraiment la semaine en deux, on s’en contentait. Ce jour-là, nous vivions dehors, dans la grande cour désertée par les camions qui d’habitude livraient tout ce qui allait dans les chambres froides. Les quais de déchargement avec les palettes, les caisses en bois, les charriots, l’échelle fixée au mur pour grimper sur le toit, la boule de glace sur les tuyaux où nos langues restaient collées, devenaient, bien que formellement interdits, notre domaine d’exploration. Dans le champ du fond, notre champ des possibles, nous croquions les fèves cueillies dans les rangées plantées. Le wagon de bois vermoulu sur les rails abandonnés devenait notre maison, tous ces endroits magiques peuplaient nos jeux d’enfants.
Dans mes livres de géographie, je rêvais devant les belles photographie de collines vertes, de fleuves majestueux, de montagnes enneigées, de châteaux somptueux et j’imaginais la France comme un pays idéal.
Dans la tendreté de notre jeune âge, il n’y avait pas assez de vécu pour encombrer nos pensées. Tout ce que nous vivions et découvrions était une première fois et forgeait notre imagination dans la singularité de notre environnement.
Depuis, les années sont passées, les souvenirs se sont accumulés, certains se sont enfuis avec le vent, d’autres ont tracé des plis sur notre peau. Ceux qui ont causé des chagrins dérisoires nous font sourire. Ils sont notre ombre, notre lumière. Ils reviennent à la charge comme des étoiles filantes quand on ne s’y attend pas avec les joies passées, les plaisirs inouïs, les regrets parfois. Ils nous rappellent que ce que nous croyions définitif ne l’est jamais vraiment, que nos habitudes s’effilochent au fil du temps avec nos illusions et que, par la force des choses, on s’habitue à tout.
J’étais habituée à vivre au milieu de cette palmeraie, loin du monde. Mon univers se limitait à la maison dans l’enceinte des Entrepôts frigorifiques de Marrakech. Maman s’occupait de la cuisine, du linge, du ménage, faisait de la couture et, après le repas de midi, s’octroyait ses « cinq minutes de fantaisie » pendant la sieste obligatoire avec la revue Historia. Papa rentrait le midi en bleu de travail. Le repas était toujours prêt et la famille s’installait autour de la table en formica jaune de la cuisine.
Pour mon premier jour d’école à cinq ans, c’est Hassan l’homme à tout faire, qui nous « lâchait » devant le portail de l’ancien camp militaire Mangin transformé en école primaire et sa fourgonnette disparaissait aussitôt.
Je ne sais pas trop pourquoi j’ai pleuré chaque jour aussi longtemps, pensant que jamais je ne m’habituerai à un monde sans maman. Pourtant j’aimais l’école, cette porte ouverte vers la découverte, l’apprentissage de la lecture et les camarades de classe. De retour chez nous, après le gouter, une tartine de pain à la confiture d’abricot et un verre d’eau à l’antésite, nous faisions nos devoirs sur la table de la cuisine.
Le vendredi était le jour de la semaine sans école, en réalité c’était le « dimanche » des musulmans mais ça faisait notre coupure hebdomadaire, et même si ça ne coupait pas vraiment la semaine en deux, on s’en contentait. Ce jour-là, nous vivions dehors, dans la grande cour désertée par les camions qui d’habitude livraient tout ce qui allait dans les chambres froides. Les quais de déchargement avec les palettes, les caisses en bois, les charriots, l’échelle fixée au mur pour grimper sur le toit, la boule de glace sur les tuyaux où nos langues restaient collées, devenaient, bien que formellement interdits, notre domaine d’exploration. Dans le champ du fond, notre champ des possibles, nous croquions les fèves cueillies dans les rangées plantées. Le wagon de bois vermoulu sur les rails abandonnés devenait notre maison, tous ces endroits magiques peuplaient nos jeux d’enfants.
Dans mes livres de géographie, je rêvais devant les belles photographie de collines vertes, de fleuves majestueux, de montagnes enneigées, de châteaux somptueux et j’imaginais la France comme un pays idéal.
Dans la tendreté de notre jeune âge, il n’y avait pas assez de vécu pour encombrer nos pensées. Tout ce que nous vivions et découvrions était une première fois et forgeait notre imagination dans la singularité de notre environnement.
Depuis, les années sont passées, les souvenirs se sont accumulés, certains se sont enfuis avec le vent, d’autres ont tracé des plis sur notre peau. Ceux qui ont causé des chagrins dérisoires nous font sourire. Ils sont notre ombre, notre lumière. Ils reviennent à la charge comme des étoiles filantes quand on ne s’y attend pas avec les joies passées, les plaisirs inouïs, les regrets parfois. Ils nous rappellent que ce que nous croyions définitif ne l’est jamais vraiment, que nos habitudes s’effilochent au fil du temps avec nos illusions et que, par la force des choses, on s’habitue à tout.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Nos habitudes
J'ai beaucoup aimé l'évocation de cette enfance marocaine...
madeleinedeproust- Humeur : littéraire...
Re: A. Nos habitudes
Tu racontes très bien ton enfance au Maroc.
J'ai bien aimé le dernier paragraphe un peu nostalgique même si tu ne parles pas de rêves piétinés...
J'ai bien aimé le dernier paragraphe un peu nostalgique même si tu ne parles pas de rêves piétinés...
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. Nos habitudes
C’est agréable de lire ces souvenirs d’enfance. C’est une très belle évocation, même si j’aurais aimé que l’image de la consigne soit plus présente dans ton texte.
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Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A. Nos habitudes
Zephyrine et Admin c'est drôle que vous trouviez que je n'évoque pas assez l'image de la consigne car pendant toute l'écriture de mon texte je n'ai pensé qu'aux rêves, à l'imaginaire, plutôt qu'aux habitudes d'ailleurs, alors peut-être que je ne les ai pas piétinés mais sur l'écriteau il y avait écrit que c'était interdit. ( Je rigole)
Dernière édition par Myrte le Ven 23 Avr 2021 - 14:15, édité 2 fois
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Nos habitudes
Pas faux
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Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A. Nos habitudes
J'ai pris plaisir à lire ces souvenirs, à voir avec les yeux de la gamine d'alors.
Le dernier paragraphe est tellement vrai....
Le dernier paragraphe est tellement vrai....
silhène- Humeur : positive, autant que possible
Re: A. Nos habitudes
Quelle belle prose ! C'est un souvenir d'enfance magnifique et touchant !
Sphyria
Sphyria
Sphyria- Humeur : Sereine
RE A : Nos habitudes
J''imagine bien votre désillusion à votre arrivée en France avec le mauvais accueil reçu , les enfants ont pu se reconstruire mais les parents et surtout les grands-parents n'ont jamais oublié . Est- ce que tu es retournée dans la région où tu as grandi ?
automne- Humeur : égale
Re: A. Nos habitudes
Quelle belle évocation de ton enfance et des bouleversements. On ressent l'espoir et aussi la faculté des enfants de s'habituer aux situations nouvelles.
Très vivant, très illustré, on sentirait presque le soleil extérieur et le frais à l'intérieur des entrepôts.
Merci de ce partage et bravo !
Très vivant, très illustré, on sentirait presque le soleil extérieur et le frais à l'intérieur des entrepôts.
Merci de ce partage et bravo !
Daboum- Humeur : jusqu'ici, ça va
Re: A. Nos habitudes
Merci à toutes pour vos retours. Pour répondre à Automne, je suis retournée au Maroc deux fois mais pas assez longtemps après notre départ pour trouver du changement. J'imagine que si j'y retournais aujourd'hui j'aurais un choc car il y a des constructions jusque dans le désert !
Myrte- Humeur : Curieuse
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