A - Une amie pour la vie

La femme regardait l’enfant qui se terrait au fond du jardin, le chat près d’elle semblait là pour la réconforter.

Presque malgré elle, elle se souvenait d’avoir été, elle aussi, perdue. Dans son cas, c’était une stupide grenouille qu’elle fixait.

Elle se secoua. Cette enfant avait besoin d’une amie, d’une meilleure amie. Comme celle qu’elle avait. D’ailleurs, il serait mieux pour elles trois qu’elle en trouve une rapidement.

Elle tourna les talons pour retourner près de sa chère amie.

Elle se sentait fière d’elle après tout elle ne changeait pas elle, quand elle aimait les gens, ça durait toute la vie en dépit de tous les obstacles qui pouvaient se dresser.

Alors qu’elle se dirigeait vers la maison où la personne la plus importante pour elle l’attendait en pleurs, elle se remémora les premiers temps de leur amitié. Mais aussi les hauts et les bas qu’elles avaient traversés.

La première fois qu’elle l’avait vue, elle venait d’arriver dans cette nouvelle classe, dans cette nouvelle ville. Une fois de plus, ses parents et elle venaient de déménager. Une fois de plus, elle allait devoir tout recommencer.

Perdue dans ses pensées, elle avait bousculé une autre élève et s’était excusé. Celle-ci lui avait jeté un bref regard, l’avait assurée qu’il n’y avait pas de mal et s’était éloignée avec un sourire.

Ce sourire l’avait suivie toute la journée. Voilà, c’était elle, elle allait tout faire pour devenir sa meilleure amie.

C’est ainsi qu’au fil des jours, elle avait réussi à s’immiscer dans la vie de l’autre fillette, prenant chaque jour un peu plus de place.
Parfois son amie s’éloignait un peu d’elle, il faut dire qu’elle était très populaire auprès des autres enfants. Tôt ou tard ces importuns étaient écartés et elles reprenaient le cours de leur amitié.

Elles franchirent ainsi les années collège.

Puis tout s’effondra.

Alors qu’elle avait tout fait pour qu’elles puissent poursuivre leurs études dans le même lycée, allant même s’inscrire à des options qui ne l’intéressaient qu’à demi, ses parents avaient une fois de plus été mutés, loin, très loin de sa meilleure amie.

Son amie l’avait consolée, l’assurant qu’elles allaient continuer à échanger des messages, à se parler au téléphone et peut-être même à se retrouver pour les vacances. Pourtant en dépit de ses allégations optimistes, il lui avait semblé percevoir quelque chose qui ressemblait à une certaine satisfaction dans son regard.

Au début, c’est vrai que leurs liens semblaient toujours aussi solides, mais au fil du temps, les messages se firent plus brefs, plus espacés, elle avait moins de temps pour parler au téléphone, elle ne parlait plus de vacances en commun.

Et un jour, plus rien. Messagerie et téléphone étaient aux abonnés absents.

Qu’avait-il bien pu se passer ?

Elle vécut ses années lycée comme dans un mauvais rêve, isolée et sans attache.

Vint le temps de l’université, de l’explosion des réseaux sociaux. Fiévreusement, elle se mit à la recherche de sa meilleure amie.

Enfin, un jour, elle retrouva sa trace. Il lui fallait maintenant arriver à reprendre contact avec elle, mais elle devait le faire avec discrétion, comme par hasard.

La première fois qu’elles se croisèrent, son amie marchait main dans la main avec une fillette, un homme se tenait près d’elles. Elle les suivit discrètement, les observa pendant plusieurs semaines.

Puis un jour, elle en fut sûre, sa chère amie n’était pas heureuse avec cet homme. Elle était certaine qu’il la maltraitait, elle seule était capable de l’aimer comme il fallait. Elle l’avait bien démontré pourtant au fil des années collège. Ce garçon qui s’amusait à l’ennuyer n’avait-il pas trébuché dans l’escalier se rompant le cou ? Cette fille qui voulait prendre obtenir le rôle principal à la pièce de fin d’année n’avait-elle pas été prise d’horribles convulsions juste avant les auditions ?

Elle avait été une bonne, une très bonne amie et elle allait l’être à nouveau. Il fallait juste procéder à quelques ajustements.

C’est ainsi qu’elle se présenta au cimetière le jour où sa chère amie enterrait son mari victime d’un regrettable accident de la route.

Il lui sembla que l’attitude de celle-ci lorsqu’elle se retrouva devant elle était un peu guindée, mais elle lui sourit et la remercia de sa compassion.

Elle fit de son mieux pour la rassurer, il ne fallait pas qu’elle se montre trop envahissante. Il lui fallait réapprivoiser sa meilleure amie.

Elle ne lui fit aucun reproche sur la manière dont elle l’avait laissée de côté, se contentant d’être là, un peu plus proche chaque jour.

Si vraiment sa meilleure amie ne se montrait pas un peu plus docile, il lui restait encore une carte à jouer, un malheur est vite arrivé et un enfant est si fragile.

Rassérénée, elle sourit fièrement et se dit une fois de plus que quand elle aimait les gens, ça durait toute la vie.