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A- Parlez moi de la pluie et non pas du beau temps

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A- Parlez moi de la pluie et non pas du beau temps Empty A- Parlez moi de la pluie et non pas du beau temps

Message  sprite! Sam 26 Juin 2021 - 8:07

suite (non chronologique) de 607 et des autres

(Quelque part dans les montagnes de Kabylie)

De plus en plus nos nuits sont troublées par des cauchemars. La réalité de cette putain de guerre se fait de plus en plus présente. Nous sommes constamment sur le qui-vive et le seul sommeil que nos corps s’accordent est celui d’une fatigue si intense que seule la somnolence soulage un peu.
Je n’avais jamais connu la soif avant mais ici, malgré les nuits plutôt froides, le soleil torride et la poussière quasi constante nous empâtent la bouche. L’eau achalandée depuis les vallées vers notre poste de surveillance en altitude a un gout de citerne ou de gourde en alu. Il m’arrive de rêver à cette eau qu’on remontait du puits chez nous et j’entends la poulie gémir à chaque tour de manivelle, le choc du seau heurtant la margelle résonne comme l' annonce d’un morceau bonheur.

Ça fait quelques semaines seulement que Jacque et moi, avons rejoins notre bataillon d’Infanterie Alpine à Briançon. Nous avons fait le voyage ensemble et sitôt arrivés à Alger on nous a muté sans préambule et surtout sans préparation dans les montagnes pour ‘surveiller’ les tribus. Je connais maintenant ce qu’est cette fameuse pacification, ce maintien de l’ordre : ça n’a pas de nom….=

Je pense souvent à Louisette. Parfois elle me visite en rêve. Ah Louisette, convoitée par plusieurs de la bande depuis nos débuts de tendre adolescence, si fière, presque hautaine, on osait à peine l’aborder. On m’avait fait comprendre que je ne serais jamais assez bon pour elle, la pauvreté se marrie mal à l’aisance, mais c’est sur moi qu’elle avait jeté son dévolu à ce bal du quinze Aout. On fêtait nos dix-huit ans.
Je l’avais invité pour une valse sur Que sera que sera que l’orchestre venait d’entamer. Elle venait de refuser deux invitations et je m’attendais également a un refus, me préparant déjà à inviter sa compagne assise à coté d’elle, sur le banc qui entoure la piste. Mais elle a quasiment sauté sur ses pieds avec un ‘oui’ enjoué. A la fin de la danse, quand j’ai desserré mon étreinte en la remerciant, elle a gardé une main sur mon épaule en attendant les mesures de la prochaine chanson. Et c’est sur l’air de Un jour tu verras, on se rencontrera, dans un slow joue contre joue, qu’on a enchainé pour le reste de la soirée.

Je me suis fait charrier par les copains toute la semaine qui a suivi. Moi, j’attendais le samedi soir suivant avec impatience pour la retrouver au bal du village d’à côté, où on se rendait à bicyclettes. Cette fois-là, on s’est même éclipsé dans le noir lumineux d’une demi-lune décroissante. Dans l’odeur des regains, le long d’un chemin éloigné de la grande route, j’ai osé l’embrasser pour la première fois. Elle se collait timidement contre moi, frémissante comme une aile et je sentais l’épaisseur de son soutien-gorge sous l’étoffe légère de sa robe à fleur.
Après, nos rencontres se sont faites surtout pendant ses séjours au village chez sa tante. Elle habitait trop loin pour qu’on se voit plus régulièrement, et comme elle devait aider avec l’entreprise familiale depuis ses seize ans, ça devenait plutôt rare. Elle a eu droit de venir me faire ses adieux avant notre départ deux ans plus tard. On s’est dit ‘au revoir’ les yeux dans les yeux mais on n’a pas osé prononcer des vœux sur un avenir commun. Son père s’opposerait fermement à des projets de vie ensemble quoi qu’il en soit.
Je garde dans ma poche sur la poitrine le mouchoir aspergé d’eau-de-Cologne qu’elle m’a glissé pendant nos adieux. L’odeur se dissipe de plus en plus et le tissu commence à absorber l’odeur de ce pays étrange et sauvage qui ressemble pourtant à certains coins de notre pays. Je le respire quand même le soir quand les lumières sont éteintes et que je me prépare à l’insomnie.

Hier au soir, j’ai encore rêvé d’elle. C'est bête, elle n'a rien fait pour ça. Si je pouvais me réveiller à ses côtés… Mais je connais l’odeur des lendemains… surtout je connais le dégoût grandissant que j’essaie de consigner dans mon carnet, dont je me demande si je ne devrais pas le détruire. Je veux bien me battre mais je ne veux pas assassiner. J’ai retrouvé cette phrase à plusieurs fois en me relisant. Le pire c’est qu’il m’arrive après si peu de temps, de vouloir la bagarre, de désirer des accrochages. Chaque fois que la tension monte je me prends à croire à l’ennemi.

Ah, vivement la quille. Vivement le retour. La verdure. La froidure. Le regard de ma mère. Les lèvres de Louisette… Je nous invente des dialogues sortis tout droit de mes rêves de puits profonds, humides et sonores. Je lui demande.
- Quel est ton rêve ?
- Que tu m’embrasses sous la pluie, et le tien ?
- Qu’il pleuve.
Et si tu étais un arbre, lequel serais-tu ?
- Un tilleul. En fleurs. Pour apaiser les peurs. Et toi ?
-Un cèdre de l’Atlas sans doute. Ou alors un frêne de chez nous. Et si tu étais un oiseau ?
- Un rouge-gorge, sans aucun doute. Le merle c’est pour toi.
- Avant oui. Quand j’osais chanter. Maintenant je serais un hibou, silencieux dans mon vol et le regard concentré sur ma proie au plus fort de la nuit.
-Si tu étais une rivière ? Moi, je serais la Saône, lente et majestueuse, prête à me jeter dans le Rhône.
- Moi. Un oued. Asséché. Rempli de pierraille et de fausses promesses. Dis, Louisette, parles moi de la pluie et non pas du beau temps. Le beau temps me dégoûte et m'fait grincer les dents.
La pluie, je reviens toujours à la pluie. La pluie me manque.

Mais ça ne dure jamais longtemps ces petits interludes imaginaires. Les images des horreurs qu’on nous fait vivre remplacent de plus en plus les souvenirs de chez nous. La semaine dernière, on nous a donné ordre de contrôler toutes les femmes dans les villages où nous passons, pour s’assurer que ce ne sont pas des fellaghas déguisés sous le voile. Une main entre les cuisses et l’autre sur les seins, méthode cautionnée par le commandement. Beaucoup de harkis ne rechignent pas eux-mêmes à adopter ces ordres. Beaucoup participent même à des choses plus horribles.

J’ai peur de perdre mon humanité.

sprite!

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Message  Zephyrine Sam 26 Juin 2021 - 10:23

Très bons mélanges entre rêve et réalité et entre chansons qui collent bien avec cette histoire.
J’ai aimé ce texte émouvant par moment. Quant à parler de suite, je te suis (hem) moins...
Zephyrine
Zephyrine

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Message  automne Sam 26 Juin 2021 - 14:44

C'est une description de l'horreur de la guerre , heureusement le souvenir de sa mère et de son amoureuse apporte un peu de paix .
bravo

automne

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Message  Myrte Sam 26 Juin 2021 - 15:35

Je ne me lasse pas de lire ce journal de bord d'un soldat à la guerre d'Algérie. Je me demande d'où t'est venu ce besoin d'évoquer cet épisode de l'histoire sur plusieurs consignes. Tu donnes l'impression de l'avoir vécu toi-même ou bien d'avoir côtoyé quelqu'un qui l'aurait fait. J'aime cette alternance entre le présent terrible, le passé et ses souvenirs nostalgiques, le futur et ses espoirs, le tout mêlé à des réminiscences de chansons de l'époque. Bravo d'avoir su adapter chaque épisode à chaque consigne.

Myrte

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Message  Martine27 Dim 27 Juin 2021 - 17:15

Un peu de douceur dans ce monde de brutes. J'ai bien aimé les extraits de chansons, un charmant petit quizz

_________________
Martine27
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Message  sprite! Lun 28 Juin 2021 - 0:06

Merci tous de vos commentaires. Zephirine, oui, je sais pour certains ce n'est pas facile a suivre, et j'ai d'ailleurs failli ne pas le poster. Je posterai dans Ecriture Libre le texte que j'avais en fait préparé d'avance pour cette semaine, et puis... un fil rouge s'est présenté que j'ai décidé de suivre encore une fois.

@Myrte, merci de me suivre dans cette démarche qui me surprend moi-même et qui n'était pas du tout préméditée. J'explique dans ce texte en Ecriture Libre la genèse de ce caractère imprévu... qui je dois dire s'étoffe de plus en plus, j'ai les grandes lignes d'une vie en tète maintenant, avec des dates plus ou moins précises qui me font faire des recherches auxquelles je n'aurais pas pensé.
En fait, je n'ai jamais eu les confidences d'un Appelé d'Algérie mais j'en ai côtoyé plusieurs forcement a la fin des années 60s, début 70s, et je me souviens de comment on parlait de ce conflit autour de moi dans la France profonde. Des confidences de guerres par contre j'en ai eu par des refugiés de conflits dont on entendait pas parler dans nos médias.
Et puis surtout, j'ai une ancienne collègue des années 90, beaucoup plus jeune que moi, (grandie en France de parents Algériens, études d'athlétismes a Alger qu'elle a du abandonner a cause de la politique intérieure du pays, et exilée en Angleterre pour ne pas resubir le racisme en France), qui m'a recherchée il y a quelques mois. Elle travaille toujours comme interprète dans le même hôpital et elle a vécu le début de la pandémie du Covid aux premières loges... et a vu les débordements, les incohérences, les rapports de pouvoir etc. en première ligne.
Elle s'est souvenue de ce que je lui racontais sur la gestion de la crise du Sida... et voulais discuter de nos différents points de vue. Comme elle habite localement, je l'ai revue plusieurs fois et on va maintenant garder le contact.
A un moment d'une conversation, je l'ai traitée de 'complotiste. Sa réponse:
- Mais pas du tout. Je suis bien consciente de ce qu'on nous a fait.
et elle a cité les essais nucléaires dans le Sahara entre autres.... que la France a ensuite déplacé aux antipodes... et les retombées sur les populations locales, nous n'en entendons pas souvent parler.

Y'a tout ca derrière mon caractère fictif.... mais je sais pas s'il va survivre. On verra bien.

sprite!

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