a. Une carrière

Dès son plus jeune âge, elle rêva d'écrire des poèmes dont on se souviendrait encore pendant des siècles et qu'on étudierait en long en large et en travers, en hauteur et en profondeur et pourquoi pas en diagonale. Les sommités de l'Académie française gloseraient doctement sur ses poèmes élégiaques revus à la sauce rap de cuisine. Les Sociétaires de la Comédie-Française se disputeraient pour savoir lequel d'entre eux aurait l'honneur de déclamer ses vers  mis en musique par Pascal Obispo sur la scène de l'Opéra-Bastille à l'occasion d'un hommage légitime lors du tricentenaire de sa naissance. L'orchestre philharmonique serait dirigé par le célébrissime Chef : Trainmusical


Dès sa jeunesse, elle s'orienta avec ardeur vers une écriture nouvelle qui se voulait résolument littéraire et même policière. Elle pensait tenir son public en haleine rien qu'avec la qualité de son écriture. Il n'y avait en effet dans ses romans policiers, ni cadavre, ni intrigue, et en conséquence pas de suspects multiples parmi lesquels le lecteur perspicace aurait dû deviner qui n'a jamais tué personne. Pour une fois l'amateur de tels romans n'était pas obligé d'aller jusqu'au bout du livre pour savoir qui n'a pas fait quoi. On pouvait s'arrêter dès la fin du premier chapitre, ce qui faisait gagner un temps précieux

Dès qu'elle fut adulte, sa décision définitive se prit, elle deviendrait la metteur en scène (faut-il dire metteuse ?) la plus recherchée par des producteurs avides de profits juteux grâce à  des scénarios simples et sans histoire, tout à fait dans la ligne du cinématographiquement correct. Un cinéma « d'après garde » qui sied à l'époque. Pas de violence, pas de sexe, pas de polémique, pas trop de personnages, aucune intrigue. juste des images filmées au hasard. Il est désormais indispensable d'ennuyer le spectateur, qui de toute façon a payé à l'entrée et n'est  jamais remboursé.

Dès qu'elle atteint l'âge mûr, son orientation devint évidente, elle serait la nouvelle chanteuse d'opéra non seulement internationale, mais connue dans le monde entier. La Callas n'avait plus qu'à s'emmitoufler de nouveau dans son linceul. Elle serait soprano coloratur et aussi alentour et tout autour. On écrirait pour elle. Arnaud Montebourg le livret d'un opéra de quatre sous  (pardon quatre euros) : « une vie tout sucre et tout miel », le groupe Abba,  ayant choisi de vivre éternellement,  livrera la musique en ut dièse bémol mineur en sol charbonneux.

Dès qu'elle vit poindre sa vieillesse à l'horizon, elle s'orienta vers une recherche de vérité qui lui permit de constater peu à peu, sagesse et rhumatisme aidant, qu'elle n'avait pas fait grand-chose d'intéressant de sa vie. Le succès  ne fut jamais vraiment  au rendez-vous. Elle ne savait toujours pas vraiment écrire, pas vraiment chanter, pas vraiment imaginer. Elle finit par reconnaître qu'elle ne savait vraiment pas faire grand-chose. Alors elle se décida dans un acte qui lui fait honneur, à savoir l'humilité, de sortir par la petite porte. On peut aussi s'enfuir par là…