A- Ange ou démon

Cette petite fille au regard angélique ressemble beaucoup à ma fille cadette, aujourd’hui adulte.

A la maison, c’était un vrai petit diable. Elle mettait le bazard dans sa chambre aussi bien que dans nos vies. Seconde d’une fratrie de trois, elle avait sans doute du mal à trouver sa place, alors elle criait plus fort que les autres pour se faire entendre, alors elle se rebellait sans cesse, bataillant contre des ennemis invisibles qui lui faisaient penser que pour être remarquée il fallait qu’elle se démarque. Et elle savait s’y prendre pour nous rendre fous de colère, faisant de nos vies un fleuve impétueux sans cesse en mouvement. Combien fallait-il de compréhension pour ne pas sombrer dans nos travers les plus sombres, combien fallait-il de patience pour ne pas renoncer à lui donner un cadre plus ou moins bien défini. Avons-nous réussi ? Aujourd’hui, lorsque je vois la personne qu’elle est devenue, je sais que oui.

A l’extérieur, un ange, à la maison, un démon, véritable ouragan d’émotions contradictoires. Sauf quand elle s’asseyait à la table de la salle à manger et qu’elle sortait une feuille et des crayons. Elle devenait alors une artiste en devenir, elle dessinait comme personne. Ses paysages étaient beaux et colorés. Sa concentration s’accrochait à ce bout de papier et au bout de ses doigts, la magie opérait à chaque fois. Son imagination débordait de formes et de couleurs. Ses yeux brillaient d’une urgente inspiration qui la faisait devenir, le temps d’un dessin, une enfant exceptionnelle. Dans ces moments-là, elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à cette petite fille sur la photo. Dans ces moments-là, mon cœur de maman explosait d’un amour vierge de tout ressentiment.

Je l’aimais, bien sûr que je l’aimais à chaque instant, qu’elle soit sage ou dissipée, triste ou rebelle, mais dans ces moments-là, il n’y avait plus de colère ou de culpabilité en moi, je me laissais aller à un amour sans questionnement, un amour apaisé.

J’ai gardé précieusement la plupart de ses dessins. Je ne me suis jamais posé la question de son avenir. Mon seul désir étant qu’elle soit heureuse dans sa vie et qu’un jour, elle trouve la sérénité.
Ma fille était une artiste dans l’âme. Sa vie ne pouvait ressembler à celle de son frère et sa sœur.

Plus tard, bien plus tard, elle a trouvé sa voie. Aujourd’hui, elle ne dessine que pour son petit neveu et elle chante comme personne.
Musicienne et chanteuse, c’était son destin.

Petite déjà elle voyait le monde autrement et si à l’époque, penchée sur sa feuille, elle avait pu mettre des mots sur son ressenti, elle aurait certainement écrit en dessous d’un de ses paysages colorés :

Maman, ne t’inquiète pas, on peut aussi s’enfuir par là.