A- Sur le chemin de l'école

Un an, un mois, un jour de différence. On aurait pu nous prendre pour des jumelles. Et pourtant, enfants et adolescentes, tout nous différenciait. J’étais petite, elle mesurait une tête de plus que moi (ça s’est arrangé avec le temps, bien que j’aie toujours 5cm de moins qu’elle), j’étais menue, elle était ronde, j’avais les cheveux longs, elle les avait courts, je ressemblais à maman, elle ressemblait à papa.
Même nos caractères étaient dissemblables. J’étais timide, réservée, silencieuse. Elle était bavarde, téméraire, intelligente.
Elle était, est et restera ma grande sœur. Je suis à jamais sa petite sœur.

Alors qu’avons-nous en commun ? des souvenirs à la pelle et puisqu’il est question d’en raconter un et qu’il faut fouiller ma mémoire pour en choisir un seul parmi des centaines, il sera pris dans notre petite enfance, lorsque nous partions seules pour l’école, traversant bois et champs pour rejoindre l’école.

Maman nous accompagnait jusqu’au bout du chemin de la ferme et nous aidait à traverser la route puis elle s’en retournait à la maison. Alors commençait pour nous l’aventure. Nous avions cinq et six ans. Aujourd’hui, cela parait fou d’imaginer deux gamines de cette âge, seules en pleine campagne mais à l’époque, en 1965, c’était naturel. Nous étions débrouillardes et nous ne connaissions pas la peur. Ma sœur me donnait la main et auprès d’elle je me sentais en sécurité. Le matin nous étions toujours pressées d’arriver à l’école avant que la cloche ne sonne, mais le soir, c’était relâche.

Nous nous arrêtions à l’orée du bois que nous devions longer. Il y avait là un arbre immense sur lequel ma sœur m’aidait à grimper. Là, au creux des branches, elle me racontait des histoires sorties tout droit de son imagination. Nous étions princesses ou souillons, capitaine et matelot à la recherche d’un trésor englouti, enquêteurs sur la piste d’un dangereux bandit. Le temps passé dans ce monde imaginaire nous faisait oublier l’heure du retour et c’est en courant, les cheveux en bataille et les joues rosies par l’effort que nous rentrions à la ferme où nous attendait le goûter préparé par maman.

A l’automne sous notre arbre fétiche, nous marchions dans les feuilles mortes pour les faire chanter et au printemps nous faisions un joli bouquet de pâquerettes pour l’offrir à maman qui nous accueillait toujours avec le sourire et sans poser de question sur notre retard.

Aujourd’hui, ma sœur est sur fauteuil roulant et elle perd un peu la mémoire, alors c’est moi qui lui raconte des histoires, l’une d’elle concerne deux enfants sur le chemin de l’école.