A - Le sandre de Jacotte

Il l’avait imaginé, nageant calmement en eau profonde, à la recherche  de poissons en tous genres. En amont du barrage du Sablier, il suffisait à tout sandre qui se respecte d’user mais ne point abuser.

Hésitant de par l’embarras du choix  face aux vairons, goujons, ablettes et gardons  qui y ont élu domicile, Mister Sandre se comportait en bon seigneur.  Prélevant sa juste part, celle qui ne  compromettrait pas l’avenir des espèces, le sandre savait que  la loi de la nature est ainsi faite. Parce qu’il y  a des poissons à foison, le Créateur, avec les carnassiers, a  sagement mis en place  les prédateurs. Parmi ceux-ci, le sandre.

Pour faire bonne mesure, le Grand Ordonnateur a créé l’Homme qui s’est vite découvert un loisir utile : la pêche à la ligne.

Afin d’éviter la déraison, il a classé l’Homme  en plusieurs catégories.  Il y  a les riches et les pauvres, les géants  et les courts sur pattes, les gros et les maigres,  les pêcheurs  et les garde-pêches.

Entre ces derniers, une convention s’est établie avec ses variants. Pour éviter toute stupide jalousie, la Dordogne  coule  d’abord en Corrèze, retenue ici et là par quelques barrages avant de serpenter  dans le Lot, puis prendre ses aises du côté de Bergerac.

Point commun entre le barrage corrézien du Sablier au Nord Est d’Argentat et la majestueuse Dordogne  de Bergerac, les gabares …  Celles-ci font la joie des touristes en période estivale.

Convention, disions-nous ?  La pêche au sandre est autorisée du 1er mai jusqu’au dernier dimanche de janvier de l’année suivante dans le Lot et du 2ème samedi de juin jusqu’au 2ème dimanche de mars de l’année suivante en Corrèze.

Parmi les pêcheurs et les garde  -  pêche, il y a  Marius, grand traqueur de sandre et Arsène, garde – pêche émérite qui a le procès – verbal facile dès lors  que le sandre pêché  n’atteint pas les 50 cm réglementaires et à fortiori  s’il est sorti de l’eau du barrage du Sablier  en avril ou mai.

Marius  connaît bien Arsène et vice – versa.  Entre eux, un lien commun intime ignoré par Marius : Jacotte, sa femme.

Puis, il y  a une date qu’il appartient  à Marius  et Jacotte de fêter dignement.  Le  15 mai, c’est leur  30ème anniversaire de mariage. Coïncidence ? Ils seront trente autour de la table. Imaginez donc la taille  du sandre nécessaire pour régaler ce beau monde ! Jacotte est  un véritable cordon bleu du sandre. Elle  l'associe à des asperges blanches  de Tauriac, une sauce à l’oseille   et curry,  et l’accompagne d’une fondue de poireaux.

Confronté aux yeux doux de sa Jacotte, Marius est comme un enfant devant une plaque de chocolat :
-  Pour le  15 mai, il me faut un beau sandre, lui dit-elle.
- Mais je ne peux point, tu le sais, la pêche  n’est pas encore ouverte, tente de résister  le pêcheur. L’Arsène va pas me rater …
- Ton Arsène, je ne le connais pas très bien, mais entre la patrouille le long du barrage du Sablier et son passe-temps favori, il n’hésitera pas, assura Dame Jacotte sans aucune hésitation …  Je vais me renseigner  et je te dirais le jour et l’heure où tu courras le moins de risques …
- Tu le sais, le sandre ne se conserve pas plus de 48 heures au réfrigérateur.
- Donc, prépare toi pour le  13 mai …

Ainsi fut-il fait.  Le sandre à qui il manquait quelques jours de croissance, mesurait tout juste  47 centimètres. Selon l’avis unanime des convives, Jacotte s’était surpassée : le sandre et son accompagnement étaient succulents !

Et Marius,  qui en sus de son sandre venait sans doute de  gagner une place dans le classement des maris cocufiés, apercevant à proximité de son domicile l’Arsène   tout guilleret, en conclut  «  Je l’ai échappé belle » !  

Pauvre Marius, prêt à tout pour plaire à sa Jacotte et Jacotte, prête à tout pour un sandre ! C'est une histoire bien cocasse et bien racontée. Es-tu pêcheur Catsoniou ?