A. Brève apparition
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catsoniou
Myrte
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A. Brève apparition
Le travail me fascine, je peux rester des heures à le contempler. Depuis que je suis à la retraite, je passe beaucoup de temps à regarder par la fenêtre de la cuisine. Elle donne sur la rue. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point ce qui s’y passe peut vite devenir un véritable spectacle. J’observe les passants, les mamans avec leur poussette qui butent sur les accidents du trottoirs, les hommes pressés en costume qui se donnent un air important, l’attaché-case à la main, les ménagères portant des paniers de provisions d’où dépassent des queues de poireaux, les écoliers chahuteurs, tout un monde que je ne prenais pas le temps de voir et qui me devient familier de jour en jour.
Cette semaine, des ouvriers ont creusé une tranchée dans la chaussée pour réparer une conduite d’eau. Ils sont là dès huit heures du matin. Leur mateau-piqueur fait un boucan d’enfer dans le bitume. Ils sont trois. L’un deux s’arrête régulièrement pour une pause cigarette à l’ombre du platane. Vers dix heures ils vont au bistrot du coin boire un café. À midi, à nouveau sous le platane, ils s’assoient sur le muret et sortent leur repas de la musette. Je mange en même temps qu’eux en les regardant, ils me tiennent compagnie. Puis ils se remettent au boulot. Comme je l'ai dit, le travail me fascine, je peux rester des heures à le contempler.
Comme les laveurs de carreaux suspendus à l’immeuble d’en face, la fleuriste qui installe ses jolies bouquets de fleurs sur le trottoir, le facteur qui arrive sur son vélo et distribue le courrier dans chaque allée, le maraicher qui descend son store en toile au-dessus de son étalage tous les jours à la même heure, lorsque le soleil se met à taper sur les fruits et légumes. Bref, je suis devenu un contemplatif et un fin observateur. Je connais les habitudes de chacun et j’y prends du plaisir.
Lorsque je me promène aussi, je me suis mis à remarquer des détails que je ne voyais pas auparavant, comme si mon regard s’était aiguisé à cet entrainement.
Hier après-midi, alors que je faisais une balade dans le bois des Anglais, je remarquais avec ravissement la grande variété de petites fleurs le long du chemin, la diversité du feuillage au-dessus de ma tête. J’essayais de deviner le nom de chaque espèce, je m’imprégnai de la nature avec délectation lorsque je distinguai une forme étrange dans le fourré. Sa couleur jaune bouton d’or contrastait avec la verdure environnante. Je m’en approchait précautionneusement et c’est alors qu’une vive émotion me submergea. J’étais devant la 4 CV de mon enfance, la première auto de mes parents. Elle était certes dans un piteux état : plus de roues ni de vitres, la peinture très écaillée avait disparu par endroit laissant apparaitre la tôle brute, plus de sièges, il ne restait que le volant.
Je me souvins de l’histoire que mon père m’avait racontée lorsqu’il en avait fait l’acquisition : La Renault 4 CV fut conçue en quasi secret, en pleine clandestinité, pendant la Seconde Guerre mondiale, à une époque où les entreprises françaises de la zone occupée était sous l'emprise allemande.
Deux cadres de Renault, Serre et Picard, vont en octobre 1940 commencer à concevoir une petite voiture populaire en prévision de l'après-guerre. Charles-Edmond Serre est un des compagnons de la première heure de Louis Renault ; dessinateur industriel, il est devenu administrateur de la société et directeur des études et de la recherche. Fernand Picard, un de ses principaux adjoints, est alors le directeur du bureau d'études.
Louis Renault n'était pas favorable à un tel projet. Pour lui , l'automobile devait être un produit de luxe.
C'est pourquoi ce fut dans le plus grand secret que les deux cadres de la firme Renault travaillèrent à la conception d'une voiture populaire et bon marché.
À la Libération, en 1944, après l'arrestation de Louis Renault pour collaboration et la nationalisation de la firme, le projet clandestin devient le projet phare de la Régie Renault.
La "4 Chevaux" est présentée au public le 3 octobre 1946, lors du 33e Salon de l'Automobile.
Le succès est immédiat en raison de son prix bas et de sa faible consommation dans la France de l'après-guerre. Les premières voitures sont peintes en jaune, seule couleur disponible provenant d'un stock de peinture qui avait servi à peindre les chars de l'Afrika Korps, récupérée au titre des dommages de guerre. C'est ainsi que la 4 CV sera surnommée la "motte de beurre".
Le 6 juillet 1961 la fin de la production de la 4 CV est décidée, après 1 105 547 exemplaires vendus. Elle restera dans l'histoire automobile, la première voiture française construite en très grande série.
( extrait d’un article de l’Indépendant )
Je restai là, figé devant cet objet du passé et ne pus m’empêcher de faire le parallèle avec cette vieille chose que j’étais moi-même devenu. Ma peau et mon corps montraient comme cette carcasse d’auto des signes de décrépitude. Le temps avait fait son travail d’érosion. Je ne pus m’empêcher d’imaginer avec effroi le squelette que j’allais à mon tour devenir un jour et, mon regard se détournant vers les petites fleurs du chemin, je m’empressai de reprendre ma marche dans le sous-bois.
Cette semaine, des ouvriers ont creusé une tranchée dans la chaussée pour réparer une conduite d’eau. Ils sont là dès huit heures du matin. Leur mateau-piqueur fait un boucan d’enfer dans le bitume. Ils sont trois. L’un deux s’arrête régulièrement pour une pause cigarette à l’ombre du platane. Vers dix heures ils vont au bistrot du coin boire un café. À midi, à nouveau sous le platane, ils s’assoient sur le muret et sortent leur repas de la musette. Je mange en même temps qu’eux en les regardant, ils me tiennent compagnie. Puis ils se remettent au boulot. Comme je l'ai dit, le travail me fascine, je peux rester des heures à le contempler.
Comme les laveurs de carreaux suspendus à l’immeuble d’en face, la fleuriste qui installe ses jolies bouquets de fleurs sur le trottoir, le facteur qui arrive sur son vélo et distribue le courrier dans chaque allée, le maraicher qui descend son store en toile au-dessus de son étalage tous les jours à la même heure, lorsque le soleil se met à taper sur les fruits et légumes. Bref, je suis devenu un contemplatif et un fin observateur. Je connais les habitudes de chacun et j’y prends du plaisir.
Lorsque je me promène aussi, je me suis mis à remarquer des détails que je ne voyais pas auparavant, comme si mon regard s’était aiguisé à cet entrainement.
Hier après-midi, alors que je faisais une balade dans le bois des Anglais, je remarquais avec ravissement la grande variété de petites fleurs le long du chemin, la diversité du feuillage au-dessus de ma tête. J’essayais de deviner le nom de chaque espèce, je m’imprégnai de la nature avec délectation lorsque je distinguai une forme étrange dans le fourré. Sa couleur jaune bouton d’or contrastait avec la verdure environnante. Je m’en approchait précautionneusement et c’est alors qu’une vive émotion me submergea. J’étais devant la 4 CV de mon enfance, la première auto de mes parents. Elle était certes dans un piteux état : plus de roues ni de vitres, la peinture très écaillée avait disparu par endroit laissant apparaitre la tôle brute, plus de sièges, il ne restait que le volant.
Je me souvins de l’histoire que mon père m’avait racontée lorsqu’il en avait fait l’acquisition : La Renault 4 CV fut conçue en quasi secret, en pleine clandestinité, pendant la Seconde Guerre mondiale, à une époque où les entreprises françaises de la zone occupée était sous l'emprise allemande.
Deux cadres de Renault, Serre et Picard, vont en octobre 1940 commencer à concevoir une petite voiture populaire en prévision de l'après-guerre. Charles-Edmond Serre est un des compagnons de la première heure de Louis Renault ; dessinateur industriel, il est devenu administrateur de la société et directeur des études et de la recherche. Fernand Picard, un de ses principaux adjoints, est alors le directeur du bureau d'études.
Louis Renault n'était pas favorable à un tel projet. Pour lui , l'automobile devait être un produit de luxe.
C'est pourquoi ce fut dans le plus grand secret que les deux cadres de la firme Renault travaillèrent à la conception d'une voiture populaire et bon marché.
À la Libération, en 1944, après l'arrestation de Louis Renault pour collaboration et la nationalisation de la firme, le projet clandestin devient le projet phare de la Régie Renault.
La "4 Chevaux" est présentée au public le 3 octobre 1946, lors du 33e Salon de l'Automobile.
Le succès est immédiat en raison de son prix bas et de sa faible consommation dans la France de l'après-guerre. Les premières voitures sont peintes en jaune, seule couleur disponible provenant d'un stock de peinture qui avait servi à peindre les chars de l'Afrika Korps, récupérée au titre des dommages de guerre. C'est ainsi que la 4 CV sera surnommée la "motte de beurre".
Le 6 juillet 1961 la fin de la production de la 4 CV est décidée, après 1 105 547 exemplaires vendus. Elle restera dans l'histoire automobile, la première voiture française construite en très grande série.
( extrait d’un article de l’Indépendant )
Je restai là, figé devant cet objet du passé et ne pus m’empêcher de faire le parallèle avec cette vieille chose que j’étais moi-même devenu. Ma peau et mon corps montraient comme cette carcasse d’auto des signes de décrépitude. Le temps avait fait son travail d’érosion. Je ne pus m’empêcher d’imaginer avec effroi le squelette que j’allais à mon tour devenir un jour et, mon regard se détournant vers les petites fleurs du chemin, je m’empressai de reprendre ma marche dans le sous-bois.
Dernière édition par Myrte le Mar 3 Mai 2022 - 15:08, édité 2 fois
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Brève apparition
L'incipit, Myrte ! L'incipit ! Tu peux encore le rajouter....
Je reviens vers toi plus tard.
Je reviens vers toi plus tard.
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. Brève apparition
Amanda, désolée j'avais mal lu la consigne, j'ai cru que c'était une phrase à inclure dans le texte et c'est ce que j'ai fait. Je vais corriger.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Brève apparition
Il est très documenté ton texte, Myrte!
Tout est bien décrit et tu es une fine observatrice de tout ce qui t’entoure!
La finale n’est pas très optimiste mais bien réelle !
Tout est bien décrit et tu es une fine observatrice de tout ce qui t’entoure!
La finale n’est pas très optimiste mais bien réelle !
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. Brève apparition
C'est un véritable festival d'occupations diverses que tu nous décris avec précision, tu as bien observé ton monde, aussi bien les actifs que ceux qui prennent des pauses...
Bien joué aussi la manière dont tu introduis la voiture, je me demandais comment tu allais t'y prendre !
Et puis, tu glisses vers la mélancolie, ou alors la philosophie ( ?) pour une note bien sombre mais néanmoins réelle, c'est réussi !
Et... merci d'avoir corrigé ton oubli d'incipit !
Bien joué aussi la manière dont tu introduis la voiture, je me demandais comment tu allais t'y prendre !
Et puis, tu glisses vers la mélancolie, ou alors la philosophie ( ?) pour une note bien sombre mais néanmoins réelle, c'est réussi !
Et... merci d'avoir corrigé ton oubli d'incipit !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. Brève apparition
Un texte très intéressant à bien des égards.
L'observation fine et attentive des êtres et des choses. L'historique de la 4 CV où j'ai alors appris qu'un de mes cousins conduisait une « motte de beurre » au début des années 60 !
Quant à la fin, elle a en effet quelques ressemblances avec mon propre texte sur notre finitude inexorable. Sauf que moi je fais pire : j'envisage une extermination nucléaire !
Bien évidemment j'espère que pour ma part ça restera une fiction… quoi que…
en tout cas
j'ai beaucoup aimé.
L'observation fine et attentive des êtres et des choses. L'historique de la 4 CV où j'ai alors appris qu'un de mes cousins conduisait une « motte de beurre » au début des années 60 !
Quant à la fin, elle a en effet quelques ressemblances avec mon propre texte sur notre finitude inexorable. Sauf que moi je fais pire : j'envisage une extermination nucléaire !
Bien évidemment j'espère que pour ma part ça restera une fiction… quoi que…
en tout cas
j'ai beaucoup aimé.
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"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
RE A : Brève apparition
Myrte ; cette 4 CV c'est un peu ta madeleine de Proust , je pense qu'elle a été détrônée par la 4L pour les transports familiaux .
Pourquoi se regarder vieillir , j'imagine la vieillesse comme un déclin progressif qui nous permet une adaptation tout en douceur .....
Pourquoi se regarder vieillir , j'imagine la vieillesse comme un déclin progressif qui nous permet une adaptation tout en douceur .....
automne- Humeur : égale
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