A- Vivre ses rêves

Il y a des voyages qui se font avec un seul bagage, le cœur.

Audrey s’étira longuement puis referma le fichier avec satisfaction. Elle venait de terminer son dernier ouvrage. Elle poussa un soupir de soulagement. Qu’il avait été douloureux à écrire celui-ci ! Commencé il y a quelques mois avec enthousiasme, elle avait peu à peu perdu l’inspiration, puis l’envie. C’était comme si elle arrivait au bout du chemin qu’elle s’était tracée il y a de cela trente ans.
Elle s’était malgré tout accrochée pour aller au bout de cette histoire. Elle était comme ça Audrey, perfectionniste, volontaire, elle était incapable de renoncer. Renoncer c’était abandonner et abandonner, c’était pour elle mourir un peu. Alors elle s’était fait violence et avait continué à écrire pendant des nuits entières, là-haut sous les toits, hésitant, effaçant des chapitres entiers pour recommencer encore et toujours.
Elle avait alors compris que ce livre serait son dernier, que tout avait été dit, qu’elle ne retrouverait plus sous sa plume le plaisir de créer. Et comme par enchantement l’urgence d’écrire était revenue, ses doigts courant sur le clavier avaient retrouvé leur virtuosité et la dernière partie de son roman avait été écrite en quelques heures.
Audrey fit une lecture rapide des derniers pages, puis elle les imprima. Le manuscrit achevé partirait le matin même pour sa maison d’édition.

Soulagée elle regarda le ciel parsemé d’étoiles. Bientôt il ferait jour. Tout à coup elle se sentit étouffer dans cet appartement. Elle ouvrit le velux et pris une grande inspiration. La ville, tout en bas, allait se réveiller d’ici peu alors que montait en elle un besoin irrésistible d’ailleurs, aussi loin que possible d’ici.
A travers ses romans elle avait vécu mille vies. Grâce à ses héroïnes, elle avait voyagé d’un bout à l’autre de la terre, confortablement assise sur son fauteuil de bureau. Des rizières colorées du Vietnam au blanc immaculé des neiges éternelles, des récifs escarpées de l’île de Pâques aux immenses plages Australiennes, elle avait aimé, elle avait lutté, elle avait vieilli aussi.

Audrey se sentit exténuée. Elle s’allongea sur le lit et s’endormit en pensant à la dernière phrase de son roman : Il y a des voyages qui se font avec un seul bagage, le cœur. Son cœur à elle avait besoin de battre encore mais plus ici, pas entre ces quatre murs.

Demain elle rassemblerait quelques affaires et fermerait la porte sur son passé. IL n’était plus temps d’écrire son rêve de vie, il était urgent de vivre ses rêves.