À. L'espoir brûlé

Cette odeur âcre s’est insinuée partout dans tous les tissus ; ceux des vêtements comme ceux des coussins du canapé, même dans les draps de bain et le linge de lit, même sur sa peau lui semble-t-il. Elle est entrée en même temps que la fumée noire qui a envahi le ciel jusque-là si bleu. L’odeur du feu et celle de la fumée se confondent à jamais pour elle, les deux ont submergé sa vie.

La fumée d’abord, le feu ensuite ont pénétré partout. Ce fut d’abord sur les écrans de sa télé et de son smartphone dont elle ne leva plus les yeux durant ses jours interminables. Elle avait beau essayé de s’en détacher, elle ressentait jusque dans son corps, le bruit des arbres qui craquent sous la chaleur des flammes, les pommes de pin qui éclatent et vont embraser le couvert des sols, sa peau brûlait en même temps que celle du visage des pompiers, sa chair lui faisait mal quand elle pensait aux animaux calcinés, prisonniers de ces incendies gigantesques. La fumée et le feu étaient devenus son quotidien, encore à distance pour quelques jours, quelques heures.
Et puis ils se sont emparés de son village, de son jardin, de sa maison, de ses poumons, dans sa tête ils  sont restés.

La fumée a commencé à obscurcir le ciel, il disparaissait sous une épaisse couche de fumée grise qui avançait toujours plus loin et plus vite. La température montait de plus en plus haut comme les flammes qu’elle voyait désormais de sa fenêtre, la fumée rendait l’air irrespirable et l’odeur lui était de plus en plus insupportable.
« Il faut partir, il faut évacuer, maintenant ça devient trop dangereux ont dit les gens de la mairie ». Alors, elle a fait une petite valise avec quelques vêtements de rechange, des photos et leurs papiers ; ils ont mis le chat dans sa caisse, passé la laisse au cou du chien et ils se sont blottis l’un contre l’autre pour se donner du courage avant de partir avec d’autres, se réfugier à la salle communale du village voisin.

Ils sont restés 3 jours dans cette salle, sans pouvoir retourner chez eux, sans savoir quand ils pourraient y retourner. Elle a imaginé le pire, elle a espéré très fort que sa maison résisterait, que les pompiers pourraient la sauver. Elle a pleuré en pensant qu’elle ne la retrouverait pas, elle a fermé les yeux en espérant trouver le sommeil ; il était peuplé de cauchemars pires que ses pensées obsédantes. Elle a rouvert les yeux et s’est forcée à penser aux images du bonheur mais l’odeur était entrée en elle.

Enfin, ils ont pu retourner chez eux, les flammes étaient arrivées dans le jardin, avaient brulées la terrasse et fait exploser les vitres du salon mais la maison était sauvée. Ils ont eu beaucoup de chance dit son mari. Alors, elle voudrait le croire, elle voudrait ne plus sentir l’odeur, c’est pour cela  qu’elle lave son linge tous les jours même le linge propre. Elle a acheté tout ce qui existait comme lessives parfumées, comme adoucissants et parfum d’ambiance mais rien n’y fait pour l’instant.

En regardant par la fenêtre de sa cuisine, elle ne voit que la silhouette noire des seuls deux pins qui ont survécu miraculeusement. Même les couchers de soleil lui font peur aujourd’hui, alors malgré tous ses efforts, elle a encore bien du mal à croire ce que son amie, lui a dit pour la réconforter :
Il restera toujours une fenêtre où se pencher, des promesses à tenir, un arbre où prendre appui.