A. l'inspiration du milan

]Les voitures se garent sur le petit parking à droite de la route départementale. En sortent 3 couples de quinquagénaires bien équipés pour une randonnée de plusieurs heures.

Ils se connaissent depuis plus de 20 ans, ils ont partagé des vacances au ski, des soirées arrosées, les soucis des uns et des autres ; aujourd’hui ils partagent leur amour de la marche dans la nature.

3 hommes, 3 femmes, 6 vies déjà bien remplies, certains sont retraités, d'autres attendent leur tour, tous sont parents et même grands-parents pour quelques-uns. Ils s’apprécient et se font confiance, ils connaissent les petits travers des uns et des autres et respectent cela. 3 couples soudés par les biens en commun, les enfants, les habitudes et l’image sociale, 3 couples unis, en apparence toujours amoureux.

Ils cheminent le long du tracé à travers un bois de pins puis une hêtraie, chacun avance d’un bon pas, ils sont sportifs, entrainés et ils aiment ces moments de détente et d’efforts à travers ces endroits de pleine nature qu’ils apprécient tant. Ils savent que leurs efforts seront récompensés par des vues imprenables sur la fôret de Saou, Les 3 Becs, son cousin méconnu le Grand Delmas et plus au Sud Couspeau et la montagne de la Lance.
En ces premiers jours de printemps, ils sont impatients de reprendre des randonnées un peu plus difficiles et plus longues que celles de l’hiver. Ils ont prévu d’aller taquiner le GR 20 en Corse à l’automne et pour cela il faut s’entraîner sérieusement.

Pour l’instant chacun marche d’un bon pas, les respirations sont encore amples même si le rythme des conversations diminue quelque peu au fur et à mesure que le dénivelé augmente.
La chapelle St Maurice leur offre une première récompense, d’autant qu’à partir de là, le dénivelé positif s’adoucit, c’est d’un pas léger qu’ils reprennent leur ascension vers les crêtes. Les bavardages reprennent, on fait le point sur la semaine écoulée, on échange des nouvelles des enfants et tout cela s’enchaîne avec la fluidité de l’habitude. Agnès est en tête comme souvent, elle est vive et endurante ; par moment, elle aime s’échapper du groupe et savourer le silence et la beauté des paysages toute seule.

Arrivés près de la crête, ils partagent un casse-croute copieux et savoureux, c’est l’occasion de comparer les recettes et les produits des uns et des autres. Le vin rouge de ce petit producteur ardéchois fait merveille sur le saucisson de ce producteur de picodons et les plaisanteries fusent. Joël fait le clown comme d’habitude et Nadine le regarde amusée et attendrie. Didier se préoccupe des genoux d’Isabelle, c’est vrai qu’elle commence à avoir de l’arthrose.
Agnès s’éloigne un peu pour profiter d’un point de vue particulier, pour ne pas voir la complicité de ces deux couples également. Est-ce que Thierry sait qu’elle a mal au ventre depuis plusieurs semaines ? Non, bien sûr qu’il ne le sait pas, elle ne lui en a pas parlé, elle ne lui a pas demandé non plus ce que c’était que cette enveloppe du service IRM qu’elle a aperçu sur la table de la cuisine, hier en rentrant du travail. Ce matin, l’enveloppe avait disparu.

Le spectacle d’un milan qui tournoie au-dessus de sa tête en poussant des cris stridents la fait frissonner. Elle le regarde attentivement, seul au dessus des sommets et s’exclame : Quelle solitude !

La descente jusqu’aux voitures leur réserve encore quelques belles vues sur le village de Comps, son église et son château. Agnès reste très silencieuse, elle pense à la solitude de ce milan là-haut sur les crêtes, aux espaces qu’il parcourt tous les jours, guidé par son instinct. Elle réfléchit intensément et s'interroge depuis l'apparition du rapace sur son chemin: Et si la solitude était la porte vers sa liberté ?
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