a. Continuité

— Le monde continuera-t-il à exister quand je ne serai plus là ?
Elle était bien petite, ma fille, lorsqu'elle m'a posé cette question il y a bien longtemps. Je ne me souviens plus exactement de ma réponse, ou plutôt de l'échange que nous avons eu alors, mais ce dont je me rappelle c'est combien j'avais pris l'interpellation au sérieux. Parce que c'était pour elle très sérieux. Sans doute aussi parce que l'enfant que je fus se faisait remballer et même on se moquait quand il posait ce genre de questions existentielles que nous posent tous les enfants un jour ou l'autre.

Aujourd'hui je me pose une question à la fois autre et semblable : que sera le monde quand je ne serai plus là. J'ai une réponse simple : qu'est-ce que le cadavre que je serai devenu en aura à foutre ! Je sais ce n'est pas politiquement correct. Nous avons l'obligation de nous en faire pour nos enfants. Tout le monde nous le clame avec des sentiments mielleux, surtout les politiques. Mais dans la pratique : personne ne fait rien… ou pas grand-chose ! Y a-t-il d'ailleurs quelque chose à faire d'efficace ? Ça fait 50 ans que j'entends parler du réchauffement de la planète qui serait catastrophique… ça fait 50 ans qu'on dit et le répète sans cesse et de plus en plus… ça fait 50 ans qu'il ne se passe quasiment rien ! Dans 50 ans, les vivants d'alors se dérouleront comme ils pourront. Depuis que l'humanité existe les hommes se sont démerdés pour vivre et survivre et globalement de mieux en mieux. Je n'aime pas les Cassandre et oiseau de malheur qui font du fric dans les médias sur la fin du monde pour demain matin. Gagner du pouvoir en s'enrichissant avec l'exploitation de la peur des gens c'est un grand classique de tous les temps.

Pour l'instant, je vis pas si mal que ça, malgré les ennuis de la vieillesse. Assis sur ma chaise roulante je regarde les flots paisibles et le ciel calme. Je respire les odeurs bénéfiques et rafraîchissantes du large. Je guette le bateau qui viendra un jour me chercher. Je me berce du clapotis des vagues sur le mur de la bâtisse. Parfois je relis 20 000 lieues sous les mers, ou l'odyssée du Titanic, à moins que ce ne soit Robinson Crusoé ou la guerre des mondes.

La minute qui va suivre, il ne se passera rien de remarquable ou d'intéressant. Tout est douceur, calme et volupté. Ce sera ainsi jusqu'à la fin. D'ailleurs une minute plus tôt il ne se passait rien et la vie coulait, lente et paisible.