A. Le voyageur égaré
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A. Le voyageur égaré
Le voyageur égaré
J'ai accompli de délicieux voyages embarqué sur un mot que m'avait remis un ami. Un mot de recommandation. Je devais le présenter à chaque étape, à chaque escale de ce périple dans lequel je n'aurais peut-être pas dû engager ma vie.
Mais, comme souvent, au départ on ne connaît rien de l'avenir.
La première étape était dans une île du Pacifique. Mais toutes ne sont pas si pacifiques que ça. Quand je vis les indigènes sur la plage, avec leurs masques de guerre, il faut reconnaître que je n'en menais pas large, en arrivant du large. Qui plus est, j'avais oublié à bord le mot de recommandation. C'est dire si l'avenir ne se présentait pas sous les meilleurs jours.
J'ai alors pensé que dans « délicieux voyages », il y avait peut-être un mot de trop.
Fort heureusement j'ai réussi à faire des gestes pacifiques et finalement cela aurait pu être pire. Étant doué avec ma langue, j'ai vite appris les mots qu'il convenait de prononcer pour être accueilli sans déshonneur.
La deuxième étape nécessitait de prendre son envol. C'était écrit sur le mot mystérieux que griffonna le chef de la tribu. Je me suis donc mis en quête d'un aéroplane qui devait bien exister dans cette île, certes minuscule, mais suffisamment grande pour que puisse exister une piste d'envol. Malgré mes recherches durant plusieurs semaines, je n'ai pas découvert d'aéroplane, ni rien qui y ressemble. J'ai fini par comprendre qu'en montant en haut du troisième baobab de la plage sud, en écartant les bras, et en faisant des battements réguliers il n'était pas aussi difficile que je le pensais de prendre son envol. À certains endroits du Pacifique l'atmosphère est porteuse. Je partis donc au-dessus des nuages, laissant le vent me diriger vers la destination fixée par mon destin.
La troisième étape fut celle où j'aurais bien aimé pouvoir présenter un mot d'excuse, étant donné que le vent m'emporta jusqu'aux portes du paradis. Ce fameux paradis perdu auquel plus personne ne croyait, même pas moi. Voilà qu'il existait et que je le découvrais à mon plus grand étonnement. On n'entre pas comme cela au paradis. Soit on a l'âme blanche et cela n'est qu'une simple formalité, soit on a l'âme grise, comme moi, parce qu'on a fait un certain nombre de bêtises et même deux ou trois grosses conneries de là où l'on vient.
Je compris qu'avec ma grisaille il aurait été préférable, avant de partir, d'être allé trouver un évêque, un cardinal, et pourquoi pas à pape, qui aurait pu me rédiger un mot d'excuse, que d'autres appellent pardon des péchés. l'Ultime Sésame.
La dernière étape, après que les portes du paradis m'aient été définitivement refusées, fut de plonger dans mes abysses intérieurs dont je n'avais même pas deviné la profondeur… abyssale. Le voyage dura un temps qui m'a paru considérable. Presque sans fin. La chute était lente, parfois exaspérante par son infinie lenteur, comme si je m'enfonçais dans un air aussi épais que de la glu. Il arriva même des moments où j'eus du mal à respirer.
Tous les mots me manquaient. Un à un ils s'effilochaient comme si on détricotait mon cerveau de la manière dont ma grand-mère le faisait des vieux pulls pour ne pas gâcher.
Quand on perd les mots, on perd aussi la tête. Quand on perd la tête on perd l'entendement. Quand l'entendement est perdu c'est le silence absolu du néant originel.
Je ne suis jamais vraiment revenu de ce voyage. D'ailleurs j'ai le sentiment de n'être nulle part.
De plus en plus fréquemment je me demande si j'existe.
J'ai bien l'impression que non.
J'ai accompli de délicieux voyages embarqué sur un mot que m'avait remis un ami. Un mot de recommandation. Je devais le présenter à chaque étape, à chaque escale de ce périple dans lequel je n'aurais peut-être pas dû engager ma vie.
Mais, comme souvent, au départ on ne connaît rien de l'avenir.
La première étape était dans une île du Pacifique. Mais toutes ne sont pas si pacifiques que ça. Quand je vis les indigènes sur la plage, avec leurs masques de guerre, il faut reconnaître que je n'en menais pas large, en arrivant du large. Qui plus est, j'avais oublié à bord le mot de recommandation. C'est dire si l'avenir ne se présentait pas sous les meilleurs jours.
J'ai alors pensé que dans « délicieux voyages », il y avait peut-être un mot de trop.
Fort heureusement j'ai réussi à faire des gestes pacifiques et finalement cela aurait pu être pire. Étant doué avec ma langue, j'ai vite appris les mots qu'il convenait de prononcer pour être accueilli sans déshonneur.
La deuxième étape nécessitait de prendre son envol. C'était écrit sur le mot mystérieux que griffonna le chef de la tribu. Je me suis donc mis en quête d'un aéroplane qui devait bien exister dans cette île, certes minuscule, mais suffisamment grande pour que puisse exister une piste d'envol. Malgré mes recherches durant plusieurs semaines, je n'ai pas découvert d'aéroplane, ni rien qui y ressemble. J'ai fini par comprendre qu'en montant en haut du troisième baobab de la plage sud, en écartant les bras, et en faisant des battements réguliers il n'était pas aussi difficile que je le pensais de prendre son envol. À certains endroits du Pacifique l'atmosphère est porteuse. Je partis donc au-dessus des nuages, laissant le vent me diriger vers la destination fixée par mon destin.
La troisième étape fut celle où j'aurais bien aimé pouvoir présenter un mot d'excuse, étant donné que le vent m'emporta jusqu'aux portes du paradis. Ce fameux paradis perdu auquel plus personne ne croyait, même pas moi. Voilà qu'il existait et que je le découvrais à mon plus grand étonnement. On n'entre pas comme cela au paradis. Soit on a l'âme blanche et cela n'est qu'une simple formalité, soit on a l'âme grise, comme moi, parce qu'on a fait un certain nombre de bêtises et même deux ou trois grosses conneries de là où l'on vient.
Je compris qu'avec ma grisaille il aurait été préférable, avant de partir, d'être allé trouver un évêque, un cardinal, et pourquoi pas à pape, qui aurait pu me rédiger un mot d'excuse, que d'autres appellent pardon des péchés. l'Ultime Sésame.
La dernière étape, après que les portes du paradis m'aient été définitivement refusées, fut de plonger dans mes abysses intérieurs dont je n'avais même pas deviné la profondeur… abyssale. Le voyage dura un temps qui m'a paru considérable. Presque sans fin. La chute était lente, parfois exaspérante par son infinie lenteur, comme si je m'enfonçais dans un air aussi épais que de la glu. Il arriva même des moments où j'eus du mal à respirer.
Tous les mots me manquaient. Un à un ils s'effilochaient comme si on détricotait mon cerveau de la manière dont ma grand-mère le faisait des vieux pulls pour ne pas gâcher.
Quand on perd les mots, on perd aussi la tête. Quand on perd la tête on perd l'entendement. Quand l'entendement est perdu c'est le silence absolu du néant originel.
Je ne suis jamais vraiment revenu de ce voyage. D'ailleurs j'ai le sentiment de n'être nulle part.
De plus en plus fréquemment je me demande si j'existe.
J'ai bien l'impression que non.
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Le voyageur égaré
Dès la lecture de la consigne, j'ai cherché en vain "le mot" sur lequel j'aurais pu voyager. ..
Bravo à toi d'avoir trouvé une autre définition du "mot".
Le texte très agréable à lire se termine sur une interrogation.
Reste avec nous car nous avons besoin du bon exemple que tu nous donnes à chaque fois!
Bravo à toi d'avoir trouvé une autre définition du "mot".
Le texte très agréable à lire se termine sur une interrogation.
Reste avec nous car nous avons besoin du bon exemple que tu nous donnes à chaque fois!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. Le voyageur égaré
Raymond Devos si tu lis ce texte ....
Voyages en absurdie...
Je te rassure, tu existes bel et bien et pour notre plus grand plaisir !!!!!!
Voyages en absurdie...
Je te rassure, tu existes bel et bien et pour notre plus grand plaisir !!!!!!
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. Le voyageur égaré
Zephyrine a écrit:(...)
Reste avec nous car nous avons besoin du bon exemple que tu nous donnes à chaque fois!
Rassure-toi, je n'ai pas l'intention de partir…
encore moi après tout ce que nous avons vécu sur le marathon d'écriture cette année !
C'est d'ailleurs pour cela que l'on ne m'a guère vu sur Kaléïdoplumes toute la semaine dernière…
à très bientôt donc.
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Le voyageur égaré
"les mots sont le support de la pensée", sans eux c'est effectivement le néant, le vide absolu. Mais dans ton cas je suis rassuré, tu penses donc tu es, tu existes. Texte très original.
Virgul- Humeur : Optimiste
Re: A. Le voyageur égaré
Une très belle version de cette consigne, Alain ! version qui me plaît beaucoup !
Heureusement, ce n'était qu'un récit, et te voilà revenu parmi nous !
Heureusement, ce n'était qu'un récit, et te voilà revenu parmi nous !
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Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.
(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
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