A. Une rencontre

Une rencontre

— Les rides sont des sourires gravés, lui avait-il dit… dans un sourire.

Il faut dire que les rides, ce n'est pas ce qui lui manquait sur le visage. Il n'avait jamais rencontré une femme aussi ridée à cet âge-là.
Il n'avait pas trouvé mieux à lui dire. Mais peut-être qu'il eut été préférable de se taire. Prononcer une telle phrase attirait l'attention sur les crevasses profondes qui ravageaient sa face.

En réalité, ce visage racontait une souffrance probablement profonde, qu'elle cachait le mieux possible, sous ce sourire permanent et quelque peu figé.
Ou alors prononcer cette phrase représentait une manière de lui manifester un certain mécontentement. Car quand même sur sa photo du site de rencontre, elle n'avait pas toutes ces rides, qui ne l'embellissaient guère.
Comment avait-elle pu tenter de se rajeunir sur cette photo et croire qu'elle pouvait ainsi donner le change ? Elle ne pouvait pas ignorer que lors de la rencontre on verrait clairement les ravages des années.

Il oscillait entre une certaine colère qu'il pensait légitime à cause de cette tromperie, et une  sorte de compassion, qu'il ne trouvait pas non plus très valable. Qu'elle fasse pitié ou qu'elle apparaisse comme une maquilleuse du réel, il n'avait plus qu'à mettre fin à ce rendez-vous, qu'elle fixa dans ce café art déco. Et quelle idée aussi de choisir un tel endroit vieux d'un siècle…
En pensant cela, il eut un sourire intérieur qui se vit sur son visage.
Elle interpréta positivement. Comme un signe d'intérêt de sa part, car elle se rendait compte quand même que sa phrase sur le sourire des rides était largement téléphonée… elle prenait conscience qu'à dissimuler le réel elle ne mettait pas toutes les chances de son côté. Bien au contraire.

Elle s'empressa de lui poser des questions sur sa vie, avec tact, montrant de l'intérêt et non de la curiosité.
Il fut touché et commença à se livrer quelque peu. Juste ce qu'il faut. Du factuel. Toutefois mêlé de quelques ressentis plus personnels.  Mais pas trop.
Elle l'écoutait avec une bienveillance et un intérêt particulier.
Il se mit à regarder surtout ses yeux, se fixer sur son regard et le trouva particulièrement beau et expressif. Il observa qu'elle entretenait ses sourcils avec grand soin. C'est bon signe pensa-t-il, et aussitôt il se dit que cette pensée était idiote.
Il remarqua le timbre de sa voix lorsqu'elle intervenait pour ponctuer ses propos. Une voix douce et mélodieuse. Et puis quelque chose dans l'intonation qui le fit frissonner. Il en fut surpris car cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas ressenti ce léger frisson, prémices du désir.
Lorsqu'elle posa sa main sur la table du bistro, comme un semblant d'invitation, il remarqua la finesse de ses doigts, la peau diaphane et eut tout à coup le sentiment qu'elle avait toujours ses mains de 20 ans.


C'était il y a cinq ans déjà. Ils s'étaient revus trois fois dans le même café art déco, avant qu'il ne l'invite chez lui. Peut-être avait-elle dit oui un peu trop vite. Mais à  présent elle ne regrettait rien.

— Est-ce que tu veux que l'on retourne là où on s'est rencontré ? Lui dit-elle,. Nous n'y sommes plus allés depuis toutes ces années où nous vivons ensemble !

Il eut à peine le temps de répondre "oui", qu'elle lui saisissait la bouche de ses lèvres à la douceur de jeune-fille.
Désormais, à leurs âges, c'était certain, ils finiraient ensemble.