A - L'enfant au cerceau

Dès qu'il avait été en âge de comprendre, sa mère lui avait bien expliqué ce qu'il devait faire et quand.

Oui, il faisait très chaud dans le nid qu'elle lui avait aménagé avec amour et désespoir.

Non, elle ne pourrait pas s'y nicher avec lui.

Oui, peut-être n'aurait-il jamais besoin de se cacher, mais les bruits couraient vite dans les grandes étendues sauvages.

Non, il ne devait surtout pas sortir avant d'avoir entendu la langue des singuliers étrangers blancs qui passaient parfois dans leur village.

Et l'enfant grandissait tout doucement et sa mère s'angoissait de plus en plus, le nid ne serait-il pas bientôt trop petit pour lui ?

Un jour, le jour redouté arriva !

Au loin, des bruits discordants s'amplifiaient. Des bruits de mécaniques malmenées, ces cris, des rires, des hurlements.

Dans le village, hommes et femmes se mirent à courir dans tous les sens, sachant que la fuite était sans espoir, doux troupeau encerclé par les chacals.

Sa mère le prit dans ses bras, l'embrassa, le caressa, lui dit qu'elle l'aimait, qu'elle l'aimerait toujours, le supplia de bien s'enfouir dans le nid, de se boucher les oreilles, de ne pas bouger, de ne surtout pas bouger.

L'enfant tremblant, obéit. Il se roula en boule dans l'espace aménagé dans un coin de la case et laissa sa mère empiler des nattes et des vêtement sur lui.

Et il attendit.

Et il entendit.

Des cris, des supplications, le staccato des armes à feu, le sifflement des armes blanches.

Il crut entendre la voix de sa mère.

Les larmes coulaient sur ses joues. Il se boucha les oreilles comme sa mère le lui avait conseillé et le temps s'arrêta.

Jamais il ne sut combien de temps il resta terré dans le nid protecteur.

Et ce que sa mère avait promis arriva.

A nouveau des bruits de moteur. Puis vint un silence habité d'horreur, des sanglots étouffés, des cris de rage et d'impuissance.

L'enfant dressa l'oreille, ces cris, ils venaient de ces personnes que sa mère attendait avec tellement de foi et d'espoir.

Alors doucement, il repoussa nattes et vêtements. Il sortit d'un pas chancelant, les yeux rivés sur la vieille roue de vélo ramenée autrefois par son père depuis longtemps disparu. Un jouet, son seul jouet.

Et sans regarder autour de lui, indifférent à l'horreur qui l'entourait, il se mit à pousser le cerceau improvisé, les yeux rivés sur la croix rouge qui l'attendait là-bas.