A - Sur les bords de Loire

Je ne sais pas, je ne sais plus quel jour était-ce …  Certitude, il y  a déjà plus d’un demi-siècle, nous, les huit garçons qui s’épaulent mutuellement,  formions une des  sections  de service  à la caserne Desjardins d’Angers, 6ème Régiment du Génie. Ce jour-là  devait être non pas un jour de fête, mais une simple rupture avec la monotonie quotidienne.

Derrière nous, la Loire, à l’Est de la cité angevine, accueillait la soldatesque  pour je ne sais plus quelles manœuvres propres à former les sapeurs du Génie.  Et ces jours-là, on rigolait beaucoup !

De la formation militaire, je ne conserve qu’un vague souvenir. En revanche, quand je regarde cette photo, je me souviens du p’tit gars à ma gauche. Avec celui qui est penché à la droite du cliché, ils accomplissaient des travaux de menuiserie ; privilégiés dans une autre fonction quand avec leurs guêtres et gants blancs ; ils étaient  des éléments  de la musique militaire du régiment. Le plus petit venait de Redon, Ille et Vilaine et le grand était sarthois.

Quant à celui qui paraît être le pivot de  cet alignement, valait mieux être en bons termes avec lui si vous vouliez être présentable lors de la prochaine perm’. Forcément, il était un des coiffeurs du régiment !

Pour ma part, quand je n’étais pas  sur les bords de Loire, je m’évertuais à jouer le rôle de secrétaire   au service  « Moyens ». Aujourd’hui, peut-être dirions-nous logistique. Privilégié en quelque sorte, mais ça n’a pas duré : on m’a déplacé pour  incorrection à l’égard  d’un adjudant-chef. Je vous le dis : déjà, il n’y avait pas de justice !  D’ailleurs, au moins à deux reprises, j’ai couché en prison, et j’ai même fait deux jours de « rab » pour finir de purger ma peine  pour une grave violation des obligations militaires : j’avais perdu l’imperméable que je devais restituer au fourrier !

Bref, cette journée-là n’avait rien de très particulier, mais vous en conviendrez : à voir la mine réjouie des huit garçons alignés, on peut en déduire que la discipline ne devait pas être excessive …

J’allais oublier le neuvième gaillard : le photographe occasionnel.  Un garçon extrêmement  doué qui recevait en pièces détachées un transistor, et après avoir assemblé le tout, il captait les différents postes en vogue à l’époque.  Ce garçon, qu’on aurait pu appeler poil de carotte tant il était rouquin, traversa un grand chagrin d’amour.  Je fus l’oreille compatissante  à qui il se confia. Et à qui il insuffla l’amour des belles chansons.  En boucle, nous écoutions Jacques Brel chanter « Ne me quitte pas ».

Aujourd’hui, ces neuf jeunes garçons d’alors sont des septuagénaires. Sont ou devraient être … Parce que si je peux affirmer que le 2ème à gauche ne va pas trop mal, merci, j’ignore si nous pourrions encore nous aligner en bord de Loire … ou ailleurs.

Ah oui, une certitude : au cas où le fourrier aurait conservé mon ancien treillis, j’y serais quelque peu à l’étroit !