A - Tricotage et galère

Il faut de la patience, s’exclama-t-elle en venant à bout de sa première paire de chaussette, tricotée en partie sur la machine qu’elle venait d’acquérir sur leurs maigres économies, au grand dam de son mari, doutant de la rationalité  d’un tel investissement.

Certes, il n’était pas un paysan du coin qui ne portasse des chaussettes de laine de pays dans ses socques  ou ses bottes. Les femmes, quant à elles avaient des bas remontant jusqu’au genou, en laine plus fine, cela va de soi …

Ainsi, dans les années 30, Maria s’était équipée d’une solide machine à tricoter en acier avec son attirail indispensable pour effectuer du travail en série, notamment, un dévidoir  en bois s’ouvrant comme un parapluie sur lequel se dévidait l’écheveau de laine. Tout à côté, se constituait la bobine à poser face à la tricoteuse.

Tourner la manivelle, c’était là le travail des enfants. En quelque sorte, Maman était une adepte du taylorisme : les plus petits au dévidoir, les grandes sœurs cousaient la jambe de la chaussette et bien sûr, Maria se réservait les tâches nobles.
Il s’est passé plus d’un demi-siècle, mais j’entends encore le va et vient de la machine sous laquelle s’étirait la chaussette alourdie par les poids en fonte !

La jambe était d’abord tricotée sous forme d’un rectangle avec ses mailles à reprendre côté inférieur. Patiemment, ensuite,  Maria  remettait celui-ci en chantier afin d’y confectionner le pied, le plus difficile étant parait-il de tourner le talon  qui était tricoté d’un point différent que la jambe  présentant des côtes.

Ci – dessous, des représentations imagées de ce travail de tricotage.

Etait-ce rentable de tricoter ?  Maria  n’a pas fait fortune. En revanche, ce travail répétitif, harassant, a sans doute contribué à user la santé  de cette mère de neuf enfants. Elle a disparu à 67 ans …

Mais, direz-vous,  les chaussettes de laine rugueuse, ça ne s’use pas rapidement ? Non ! Mais, elle équipaient ces M’sieurs Dames en tricots, gilets, chaussettes, caleçons longs, que sais-je encore. C’était là l’occasion de rompre la monotonie quotidienne parce qu’il fallait bien prendre les mesures et les inscrire sur le cahier ;  ça faisait de la visite, on apprenait les nouvelles, on médisait sans doute quelque peu … On venait de loin apporter du tricotage à Maria.

L’essentiel du travail  était ailleurs : elle tricotait pour les marchands qui allaient sur les foires, ou pour certains magasins.
Un jour, un de ceux-ci a dépêché vers Maman un commerçant exigeant :
- Il faut que vous me fassiez 1 000 paires de chaussettes d’homme !
- Vous me donnez combien ?
- 1 000 francs !
- C’est pas cher payé, mais je vais quand même vous les faire vos mille paires …

Inutile de préciser que RTT et 35 heures n’étaient pas encore entrées dans les mœurs. Parce que le tricotage, c’était en supplément de tout le reste. Ainsi, on entendait la machine   jusqu’à une heure du matin. Et hop ! De bonne heure, c’était à nouveau reparti pour un tour.

Le reste ? C’était le foin à la saison, le sarclage, le lait à écrémer  la « burade » ( crème) transformée en motte en tournant à la main, puis emballées en livres ou demi livres de beurre. Et les cochons, et la volaille et la bujade (lessive).

Oui, je le crois, c’était un vie de galère …

Patiente, l’était-elle ? Oui, sans doute.

Cependant, il lui arrivait de craquer … Ce jour, par exemple, ou suite à une incartade du père sans conséquence majeure, aggravée par je ne sais quelle bêtise des gamins, les deux derniers de la nichée, elle s’effondra sur sa machine à tricoter pleurant à gros sanglots. Et ça, c’était énorme : cette femme dure à la tâche qui pleurait !

Cela n’empêchait pas un humour certain à propos du manque de patience.

Non, je ne traduirais pas cette expression qui lui était propre :

« N’éindurorio pa ein fer blaundant aul tioul ».