La valise en carton
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La valise en carton
- Pouvez-vous m’aider à mettre ma valise sur le porte-bagage, jeune-homme, s’il vous plait ? Je ne peux plus lever les bras si haut !
Il dit cela avec un petit sourire et la résignation de son âge.
Je l’aidai à déposer sur l’étagère une petite valise en carton bouilli, renforcée de cuir clouté aux encoignures.
- Ma fille voulait m’en acheter une autre, avec des roulettes, mais je n’ai pas voulu. Il y a toujours un moment où il faut la soulever, alors autant garder celle-ci. J’y tiens, je l’ai depuis si longtemps.
- En effet, on n’en fait plus de ce modèle !
- Ah c’était du solide ce qu’on fabriquait avant ! Pas comme ces choses de maintenant qui ne sont pas faites pour durer !
- Oui, c’est la société de consommation. Il faut vendre. On ne vante plus la solidité mais la durée de la garantie.
J’observais ses chaussures cirées, le plis de son pantalon, sa chemise impeccablement repassée et boutonnée jusqu’au cou. Son pardessus, retourné sur la doublure, posé à côté de sa canne à poignée courbe.
- Cette canne, c’était celle de mon père. Il l’avait fabriquée avec du bois de châtaignier, je l’ai toujours gardée.
Je me sentais décalé avec ma tablette numérique que je rangeai rapidement dans son étui et j’appuyai sur la touche silence de mon mobile.
- Ma petite-fille a la même chose que vous. Elle est tout le temps dessus.
- C’est pratique, ça permet de communiquer avec le monde entier !
- Avec le monde entier oui mais vous oubliez de parler avec votre entourage.
J’avais une heure de trajet devant moi et me dis que j’allais la consacrer à ce vieil homme qui me rappelait mon grand-père.
- Vous allez à Valence ?
- Oui, j’habite chez ma fille à Lyon mais je suis de la Drôme. Je descends les cendres de mon épouse. Elle voulait qu’elles soient dispersées dans le Vercors.
Ce détail me donna la chair de poule et je ne pus m’empêcher de jeter un rapide coup d’oeil à sa valise.
- Oui, l’urne est dans ma valise, vous voulez la voir ?
- Euh non, pas spécialement.
- Si, si, je vais vous la montrer, je parie que vous n’en avez jamais vue. Attrapez moi la valise s’il vous plait !
Avec réticence, je me pliai à sa demande.
Il actionna les fermoirs métalliques. Ses vêtements étaient soigneusement pliés. Soulevant un flacon d’eau de Cologne et une trousse de toilette en cuir sombre, il saisit un petit vase qu’il avait enveloppé dans un foulard.
- Voila, c’est ma Georgette.
Je trouvai la situation incongrue et restai silencieux.
J’espérais qu’il n’allait pas l’ouvrir pour me montrer son contenu.
Mais, voulant la replacer dans sa valise, l’urne lui échappa des mains et roula sur le sol jusque sous ma banquette. Le vieil homme me jeta un regard désespéré, je ne pus que me mettre à quatre pattes pour essayer de la récupérer. J’étirai mon bras au maximum et dus même m’allonger pour l’atteindre. C’est alors que mon sang se glaça lorsque je sentis de la poudre sous mes doigts. Le couvercle de l’urne avait cédé dans la chute.
Mon compagnon de voyage s’impatientait.
- L’avez-vous ?
- J’y suis presque !
A l’aveugle, tâtonnant dans le tas de cendres, je cherchais du bout des doigts le maudit couvercle.
A cet instant, le contrôleur de train entra dans le compartiment en disant billets s’il vous plait. Il buta sur mon corps allongé en travers du passage et s’affala contre la vitre. Je me relevai confus. L’agent de la SNCF, gémissant, se tenait le front où une bosse se mit à poindre.
- Mais qu’est-ce que vous fichiez par terre ?
- Désolé j’essayais de récupérer quelque chose.
Un peu sonné, il s’assit à côté de moi. J’avais de la cendre plein les mains et m’essuyais discrètement sur mon jean.
Le vieil homme sortit alors de sa poche une topette qu’il tendit au malheureux en dévissant le bouchon.
- Tenez, buvez un coup, ça va vous requinquer.
Le contrôleur avala une gorgée du breuvage avec une grimace qui en disait long sur la teneur en alcool. La liqueur lui parut ma foi à son goût puisqu’il en reprit une bonne lampée.
- Hé ! Laissez-nous en un peu !
Le vieil homme lui arracha la fiole des mains et me la tendit.
- Goûtez mon garçon, c’est de la poire, vous n’en boirez pas deux comme celle-là.
Je n’étais pas habitué à ce type de boisson. Pour lui faire plaisir, j’acceptai d’avaler une gorgée qui m’enflamma le gosier.
Le vieil homme s’en envoya une bonne rasade avant de la repasser à l’employé qui ne rechigna pas et, ainsi, la bouteille circula de main en main.
Les regards devinrent brillants et les voix trainantes
L’employé et le vieil homme se mirent à raconter des blagues salaces et entonnèrent des chants paillards. On devait entendre nos rires dans tout le wagon. Le vieil homme s’en essuyait les larmes avec son grand mouchoir à carreaux.
C’est l’arrivée du train en gare qui nous tira brusquement de ce moment d’hilarité. La casquette de travers, le contrôleur, toujours en riant, nous fit , à regrets, ses adieux, disant qu’il n’avait pas que ça à faire. Il en oublia, d’ailleurs, de contrôler nos billets.
J’aidai le vieil homme à descendre sur le quai. Il m’embrassa disant qu’il avait passé un très bon moment.
En marchant sur le boulevard, je repensai à l’urne oubliée sous la banquette. Georgette allait voyager encore un peu.
Il dit cela avec un petit sourire et la résignation de son âge.
Je l’aidai à déposer sur l’étagère une petite valise en carton bouilli, renforcée de cuir clouté aux encoignures.
- Ma fille voulait m’en acheter une autre, avec des roulettes, mais je n’ai pas voulu. Il y a toujours un moment où il faut la soulever, alors autant garder celle-ci. J’y tiens, je l’ai depuis si longtemps.
- En effet, on n’en fait plus de ce modèle !
- Ah c’était du solide ce qu’on fabriquait avant ! Pas comme ces choses de maintenant qui ne sont pas faites pour durer !
- Oui, c’est la société de consommation. Il faut vendre. On ne vante plus la solidité mais la durée de la garantie.
J’observais ses chaussures cirées, le plis de son pantalon, sa chemise impeccablement repassée et boutonnée jusqu’au cou. Son pardessus, retourné sur la doublure, posé à côté de sa canne à poignée courbe.
- Cette canne, c’était celle de mon père. Il l’avait fabriquée avec du bois de châtaignier, je l’ai toujours gardée.
Je me sentais décalé avec ma tablette numérique que je rangeai rapidement dans son étui et j’appuyai sur la touche silence de mon mobile.
- Ma petite-fille a la même chose que vous. Elle est tout le temps dessus.
- C’est pratique, ça permet de communiquer avec le monde entier !
- Avec le monde entier oui mais vous oubliez de parler avec votre entourage.
J’avais une heure de trajet devant moi et me dis que j’allais la consacrer à ce vieil homme qui me rappelait mon grand-père.
- Vous allez à Valence ?
- Oui, j’habite chez ma fille à Lyon mais je suis de la Drôme. Je descends les cendres de mon épouse. Elle voulait qu’elles soient dispersées dans le Vercors.
Ce détail me donna la chair de poule et je ne pus m’empêcher de jeter un rapide coup d’oeil à sa valise.
- Oui, l’urne est dans ma valise, vous voulez la voir ?
- Euh non, pas spécialement.
- Si, si, je vais vous la montrer, je parie que vous n’en avez jamais vue. Attrapez moi la valise s’il vous plait !
Avec réticence, je me pliai à sa demande.
Il actionna les fermoirs métalliques. Ses vêtements étaient soigneusement pliés. Soulevant un flacon d’eau de Cologne et une trousse de toilette en cuir sombre, il saisit un petit vase qu’il avait enveloppé dans un foulard.
- Voila, c’est ma Georgette.
Je trouvai la situation incongrue et restai silencieux.
J’espérais qu’il n’allait pas l’ouvrir pour me montrer son contenu.
Mais, voulant la replacer dans sa valise, l’urne lui échappa des mains et roula sur le sol jusque sous ma banquette. Le vieil homme me jeta un regard désespéré, je ne pus que me mettre à quatre pattes pour essayer de la récupérer. J’étirai mon bras au maximum et dus même m’allonger pour l’atteindre. C’est alors que mon sang se glaça lorsque je sentis de la poudre sous mes doigts. Le couvercle de l’urne avait cédé dans la chute.
Mon compagnon de voyage s’impatientait.
- L’avez-vous ?
- J’y suis presque !
A l’aveugle, tâtonnant dans le tas de cendres, je cherchais du bout des doigts le maudit couvercle.
A cet instant, le contrôleur de train entra dans le compartiment en disant billets s’il vous plait. Il buta sur mon corps allongé en travers du passage et s’affala contre la vitre. Je me relevai confus. L’agent de la SNCF, gémissant, se tenait le front où une bosse se mit à poindre.
- Mais qu’est-ce que vous fichiez par terre ?
- Désolé j’essayais de récupérer quelque chose.
Un peu sonné, il s’assit à côté de moi. J’avais de la cendre plein les mains et m’essuyais discrètement sur mon jean.
Le vieil homme sortit alors de sa poche une topette qu’il tendit au malheureux en dévissant le bouchon.
- Tenez, buvez un coup, ça va vous requinquer.
Le contrôleur avala une gorgée du breuvage avec une grimace qui en disait long sur la teneur en alcool. La liqueur lui parut ma foi à son goût puisqu’il en reprit une bonne lampée.
- Hé ! Laissez-nous en un peu !
Le vieil homme lui arracha la fiole des mains et me la tendit.
- Goûtez mon garçon, c’est de la poire, vous n’en boirez pas deux comme celle-là.
Je n’étais pas habitué à ce type de boisson. Pour lui faire plaisir, j’acceptai d’avaler une gorgée qui m’enflamma le gosier.
Le vieil homme s’en envoya une bonne rasade avant de la repasser à l’employé qui ne rechigna pas et, ainsi, la bouteille circula de main en main.
Les regards devinrent brillants et les voix trainantes
L’employé et le vieil homme se mirent à raconter des blagues salaces et entonnèrent des chants paillards. On devait entendre nos rires dans tout le wagon. Le vieil homme s’en essuyait les larmes avec son grand mouchoir à carreaux.
C’est l’arrivée du train en gare qui nous tira brusquement de ce moment d’hilarité. La casquette de travers, le contrôleur, toujours en riant, nous fit , à regrets, ses adieux, disant qu’il n’avait pas que ça à faire. Il en oublia, d’ailleurs, de contrôler nos billets.
J’aidai le vieil homme à descendre sur le quai. Il m’embrassa disant qu’il avait passé un très bon moment.
En marchant sur le boulevard, je repensai à l’urne oubliée sous la banquette. Georgette allait voyager encore un peu.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: La valise en carton
Merci, vraiment merci Myrte!
Ça valait la peine de lire le texte en entier.
C'est très bien écrit et inattendu.
Georgette connaissait sans doute son mari et ne lui en veut pas le moins du monde.
Ça valait la peine de lire le texte en entier.
C'est très bien écrit et inattendu.
Georgette connaissait sans doute son mari et ne lui en veut pas le moins du monde.
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
RE/ La valise en carton
Le vieil homme a peut-être fait une réclamation à la sncf pour retrouver l'urne; pauvre Georgette !
automne- Humeur : égale
dans le train
On se laisse tout à fait prendre à cette histoire, qui aurait très bien pu être vraie ! Cristou
Invité- Invité
Re: La valise en carton
Merci d'avoir mis toute l'histoire, elle vaut son pesant d'or, Myrte !
Amanda- Humeur : positivement drôle
valise en carton
Bravo Myrte, c'est une histoire très bien menée, avec du suspense. Le tragi-comique de la situation et la topette d'alcool de poire se marient très bien.
J'ai aussi rapatrié une urne dans une valise, d'ailleurs empruntée au défunt propriétaire. Il aurait adoré cette histoire car il fumait sans arrêt, entre deux wagons, et l'idée de finir en cendres dans un train l'aurait enchanté.
J'ai aussi rapatrié une urne dans une valise, d'ailleurs empruntée au défunt propriétaire. Il aurait adoré cette histoire car il fumait sans arrêt, entre deux wagons, et l'idée de finir en cendres dans un train l'aurait enchanté.
Daboum- Humeur : jusqu'ici, ça va
J'ai apprécié
Bien que mon commentaire soit très tardif, j'ai apprécié cette nouvelle ! Cristou
Invité- Invité
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