A - L'invention

C'est une petite troupe hilare qui entre dans la cuisine de Mémé Célestine.
« C'est Théo »
« Il s'est encore croûté »
« Louché »
« Viandé »
« Gaufré »
« Ramassé »
« Vautré »
Mémé Célestine calme son monde et résumant « Bref, Théo s'est encore cassé la margoulette ! »

Des éclats de rire éclatent et un tout jeune garçon, rouge comme une pivoine, sous ses cheveux roux approche en boitillant. Il arbore deux genoux couronnés de la plus belle façon.
Mémé Célestine soupire, attrape la boite à pharmacie et en sort le mercurochrome pour en badigeonner une fois de plus le jeune Théo.
« Vas-tu enfin comprendre jeune homme que personne ne peut marcher et courir en même temps ! »

Sous la mèche rousse, Théo soupire. Il est sûr lui qu'on peut les faire ces deux choses en même temps, ce n'est pas sa faute si parfois, oui bon d'accord souvent, son pied droit et son pied gauche s'emmêlent.

Pépé Athanase, qui était tranquillement en train de siroter un petit café près du poêle, lui fait signe de s'approcher.
Ah, ah voilà qui est bon signe, il y a sûrement une histoire à la clé.

« Alors comme ça mon grand tu es sûr et certain qu'on peut marcher et courir en même temps ? Je m'en vais te raconter l'histoire d'un de mes cousins éloignés qui en était persuadé comme toi. »

Les rangs se resserrent autour de Pépé Athanase tandis que Mémé Célestine range sa boite à pharmacie en souriant.

« Ce cousin s'appelait Patrocle, oui je sais c'est un drôle de prénom. Il avait décidé une bonne fois pour toute que sa jambe droite courrait, pendant que sa jambe gauche marcherait.
Inutile de vous dire que sa démarche était très bizarre. Ca ressemblait un sautillement bancal. Sa jambe droite se levait haut, tandis que la gauche paraissait glisser sur le sol.
Assez curieusement, à l'inverse de toi mon petit, il ne tombait jamais.
Bien sûr nous étions beaucoup à nous moquer de lui, mais il s'en fichait, il avait adopté cette manière de marcher et elle lui convenait très bien.
Enfin, elle lui a bien convenu pendant quelques années et puis un jour nous nous sommes aperçus et lui aussi, que sa jambe droite était deux fois, puis trois fois plus musclée que sa jambe gauche.
Résultat, sa mère était obligée de couper la jambe droite de ses pantalons à mi-cuisse sinon, il n'arrivait pas à les enfiler.
Il passait pour un doux dingue dans le village, mais à l'époque les gens comme lui, si on se moquait un peu d'eux on les aimait aussi beaucoup.
Bref, Patrocle a atteint l'âge adulte et là les choses se sont gâtées.
Plus il prenait de l'âge et moins il arrivait à se déplacer, sa jambe droite voulait toujours aller de l'avant mais sa jambe gauche était de plus en plus faible.
Désespérés ses parents voyaient venir le jour où leur fils n'allait plus pouvoir arriver à se déplacer. »

Autour de Pépé Athanase, des soupirs inquiets s'élèvent. Patrocle allait-il devoir rester assis pour le restant de ses jours ? Pépé Athanase laisse passer un moment, prend le jeune Théo sur ses genoux et reprend l'histoire.

« Heureusement, Patrocle a rencontré Marinette. C'était une très jolie jeune personne pleine de ressources et mon cousin ne lui était pas indifférent en dépit de son étrange allure physique. Mais comment arriver à lui rendre la mobilité qu'il était en train de perdre petit à petit ?
Marinette était une bonne couturière et elle avait une machine à coudre comme celle de Mémé Célestine, vous savez celle avec la drôle de pédale en dessous. »

Tous les enfants acquiescent, ils la connaissent bien cette belle machine noire et or et ils ont été plusieurs à essayer de la faire fonctionner sans grand résultat d'ailleurs.

« Donc Marinette avait une machine à coudre comme ça, mais elle préférait n'utiliser qu'un pied pour actionner la pédale et c'est comme ça que l'idée lui est venue. »

Pépé Athanase sentant son public suspendu à ses lèvres, s'arrête quelques instants pour boire une nouvelle gorgée de café, sous les murmures impatients de son auditoire.

« Marinette a donc demandé quelque chose de très spécial à son père qui était un bricoleur hors pair et pour l'anniversaire de Patrocle, elle lui a offert un cadeau très particulier qui lui a permis de compenser son handicap. C'était un drôle d'engin, une planche avec une petite roue à l'avant et une autre à l'arrière et pour se tenir un guidon haut perché. Patrocle n'avait plus qu'à poser sa jambe fragile sur la planche et avec l'autre il pouvait se propulser. Ils se sont mariés peu de temps après et ils ont donné leurs prénoms, ou plutôt une partie de leurs prénoms à cette fabuleuse invention. Pat pour Patrocle et Inette pour Marinette. Voilà mon petit Théo, maintenant c'est à toi de voir si tu as envie de continuer à avancer sur tes deux pieds ou si tu préfères passer ta vie sur une trottinette. »

Et Pépé Athanase finit d'avaler son café tandis que Théo repart sur ses deux jambes en s'appliquant à avancer un pied après l'autre sans plus de complications.