A - Chère Manette

Chère Manette,

Nous ne nous sommes pas connues, et si tu savais comme je le regrette.

Tu as quitté cette vie seulement quatre ans avant ma venue, pourquoi ne m'as-tu pas attendue un peu, 71 ans ce n'était pas si âgé que ça, j'aurais eu tant à apprendre de toi.

Bien sûr, mon père t'a un peu racontée, je me suis même permise de me moquer gentiment de toi dans le récit que j'ai fait de ton terrible combat avec la TSF.

Bien sûr, je savais que tu étais une enfant abandonnée, que mon grand-père était né hors mariage, que tu étais une femme forte dans tous les sens du terme.

Mais en réalité je me rends compte aujourd'hui que tout ça était superficiel.

Depuis que je me suis plongée dans mon histoire personnelle, j'ai aussi découvert ton histoire, non ce mot ne convient pas vraiment, je devrais plutôt écrire ta vie. Mais cette vie qu'a-t-elle bien pu être, heureuse ou pas, dure très certainement, des joies je l'espère, des chagrins hélas j'en suis sûre.

Permets-moi, très chère Manette, Marie-Antoinette, arrière-grand-mère à jamais énigmatique de résumer ta vie et d'émettre quelques hypothèses et des interrogations à n'en plus finir.

Tu es née en 1882 à Paris. Ma cousine m'a dit que tu ne savais pas qui était ta mère et que tu l'avais toujours regretté, mais vois-tu de nos jours avec internet, moi je peux t'en dire plus.

Ta mère venait d'Hendaye, elle était domestique. Ton père n'ayant pas daigné te reconnaître, elle t'a mis en nourrice dans l'Yonne, mais n'étant pas payée, celle qui te gardait t'as déposée à l'Hospice des enfants assistés de Paris et cette administration a tout fait pour retrouver ta mère. Tu étais si petite et tu avais déjà fait tant de chemin.

Je ne sais pas si j'ai raison, mais j'espère sincèrement que ta mère n'a pas eu le choix et que c'est à contre-coeur qu'elle t'as laissée parce que vois-tu, cette mère, à la différence d'autres, t'avais reconnue et ton nom de famille si étonnant était aussi le sien, Saintcindaguet, reconnais qu'il n'est pas banal. Ton prénom de reine, te vient d'une femme qui portait celui d'une impératrice, Joséphine. Ils sont les héritages qu'elle t'a laissé.

En fouillant, j'ai retrouvée ta famille d'accueil dans le Pas-de-Calais, tu as du y arriver vers tes deux ans. Comment t'imaginer petit bout de femme ? Déboussolée, déjà résolue ?

J'espère de tout mon être que Jacques et Hermine qui t'ont recueillie, t'ont aimée, enfin tout au moins comme on aimait les enfants à l'époque. Tu étais entrée dans une grande famille avec Auguste leur fils de 12 ans, Marie leur fille tout juste née, François leur neveu de 4 ans et les autres enfants d'hospice Isaac, Louis, Ernest et Léon. Qu'avez-vous vécu tous ensemble ?

Et puis voilà qu'à nouveau l'administration repointe le bout de son nez, dans une lettre qui m'en a appris beaucoup sur ton caractère chère Manette.

A 17 ans, tu as mis au monde mon grand-père Charles, j'aurais pu m'appeler Saintcindaguet moi aussi, mais son jeune père de 21 ans l'a reconnu, il aurait voulu t'épouser mais toi tu as refusé. Et vaille que vaille tu as vendu des légumes, des fruits, du poisson pour garder ton petit près de toi.

Et voilà qu'à 19 ans, tu te mets en ménage avec Léon qui est « un bon garçon qui ne dépense pas son argent au cabaret » comme le dit la lettre de l'administration, un peu outrée quand même de tant de liberté de ta part, d'autant que la petite Eugénie, encore un nom d'impératrice, pointe son nez, suivie par Marie pendant que leur papa renié par ses parents pour avoir osé vouloir t'épouser, partait pour le régiment.

Toujours grâce à l'état civil, je sais qu'il a reconnu ses deux petites filles et qu'enfin majeur et n'ayant plus besoin de la bénédiction de ses parents, il a pu t'épouser. Simonne (oui avec 2 N), Eugène et André sont venus compléter votre famille. Henri et Eugénie les parents de Léon ont-ils fini par accepter votre amour ? On peut le penser puisque deux de tes enfants portent le prénom de leur grand-mère.
Ce que fut votre vie ensuite, je ne peux que tenter de l'imaginer.

Lorsque j'ai découvert tout ça j'en suis restée comme deux ronds de flan et l'expression est faible ! Ainsi j'avais dans la nature 4 grands oncle et tantes dont j'ignorais tout.

André quant à lui étant l'autre protagoniste de l'histoire de la TSF, je connaissais son existence, mais rien de plus. Là encore j'ai été scotchée lorsque j'ai appris que ce grand-oncle était un FFI et qu'il était mort pour la France en 1944 à Boulogne sur Mer au volant de son ambulance.

Pourquoi ces secrets ?

Etait-ce une sorte de pudeur de la part de ma famille paternelle qui voulait respecter les deux terribles deuils que tu as connu en perdant ton fils aîné, mon grand-père, en 1942 de maladie et ton petit dernier en 1944 ?

Est-ce parce que tu as commencé ta vie dans l'Yonne que mon oncle était autant attaché à cette région ?
Est-ce parce que l'oncle André était ambulancier, que mes père et oncle sont devenus pompiers ?
Et toi que m'as-tu laissé à moi ? Mes yeux parait-il, mais plus certainement ma capacité à m'adapter aux situations difficiles. Mais là je pense que tu as été bien aidée par mon autre arrière-grand-mère Céline qui était aussi un sacré personnage.

Je t'embrasse très tendrement Manette et pas de doute, c'est fou ce que le passé nous réserve !