A- Lisa

Lisa, mon arrière- grand-mère maternelle, est née à Neerpelt (province du Limbourg en Belgique) le 29/03/ 1883. Elle est la fille de Helena Fransen et d’un père qui lui a donné un frère, mais pas son nom.
Helena se maria plus tard avec Henri Hendrickx, un homme charmant qui adopta ses 2 enfants. Le couple donna naissance ensuite aux deux demi-sœurs de Lisa.

Lisa était belle et portait fièrement les charmes de son adolescence auxquels Léonardus Molemans ne résista pas. Enceinte à 16 ans Lisa accepta la main de Léonard qui en avait alors 21. Ils se marièrent en février 1900  et firent beaucoup d’enfants :
- 26/06/ 1900 : Elisabeth (ma grand-mère)
- 17/09/1901 : Michel
- 1902 : fausse couche
- 1905 : fausse couche
- 17/11/1906 : Pierre
- 19/01/1908 : Nelly
- 13/05/1909 : Maria (décédée le jour de sa naissance)

Le couple tenait à l’époque un café-épicerie qui rendait bien, et ils n’étaient pas trop à deux pour faire fructifier le commerce. Ils se révélèrent d’ailleurs tous deux d’excellents commerçants.

Mais à ses 27 ans, Lisa, lassée de servir les clients avec un gros ventre et énervée par les infidélités répétées de Léonard, décida de quitter Neerpelt pour rejoindre Bruxelles. C’est probablement une connaissance bourgeoise de Neerpelt qui introduisit Lisa auprès de l’antiquaire bruxellois chez qui elle travailla comme gouvernante au chevet de son épouse malade.

Léonard vint à Bruxelles pour tenter de convaincre Lisa de revenir. Elle tint bon, mais cette visite laissa des traces.
Guillaume naquit quelques mois plus tard, que Lisa confia à une de ses demi-sœurs. Guillaume en fut tellement surpris que toute sa vie il fut affecté d’un bégaiement dont il ne sut jamais se débarrasser.

C’est Elisabeth, fille aînée de Lisa, qui lorsqu’elle avait 10 ans vint réclamer son petit frère auprès de sa « demi tante ». Guillaume rejoignit sa fratrie auprès de Léonard et de ses grands-parents qui l’élevèrent au milieu de ses frères et sœurs.

C’est donc auprès de l’épouse de l’antiquaire que Lisa vécu la grande guerre. Au décès de cette dernière, vers 1920, l’antiquaire remercia Lisa en la gratifiant d’une prime pour services rendus.

Ce petit pécule en plus de ses économies permirent à Lisa d’investir dans la reprise d’une pâtisserie en déclin. Elle engagea un ouvrier pâtissier et lui confia ses recettes de tartes au flan et de tartes au riz, dont elle fit sa spécialité. Et les clients affluèrent.

Forte de ce premier succès, elle revendit la pâtisserie… pour en racheter une autre en difficulté. Que Lisa redressa grâce à ses tartes au flan et au riz. Elle multiplia ces opérations pendant une vingtaine d’années et grâce aux plus-values successives elle constitua un petit pactole avec lequel elle boursicota avec bonheur jusqu’à la fin de sa vie.

Et ses enfants ?

Lorsqu’ils étaient encore petits, Lisa tenta plusieurs fois de les rencontrer à Neerpelt. Mais Léonard interdit quiconque de lui ouvrir la porte. C’est avec la complicité de sa belle-mère que Lisa pu les voir quelquefois. Mais les cadeaux qu’elle leur apporta passèrent au feu lorsque Léonard les découvrait.

Plus grands, Elisabeth, Michel et Nelly virent plus souvent leur mère et presque tous vinrent travailler un moment dans sa pâtisserie. Pierre fila du mauvais coton et Guillaume ne vit sa mère qu’une seule fois lorsqu’il avait 17 ans. IL ne lui pardonna jamais son abandon.

Durant la guerre 40-45 Lisa organisa un petit trafic de tabac au marché noir. Lorsqu’elle eut cinquante-sept ans Lisa se remaria avec Fernand, un ancien ouvrier avec qui elle vécut paisiblement à Fosse la ville.
Puis veuve, après vingt ans de vie commune, elle s’installa chez une de ses demi-sœur à Neerpelt.

Marathon ou pas, j’ai passé un après-midi entier à interroger ma mère (90 ans) et à prendre des notes sur la vie de Lisa. Grâce à quelques recherches sur internet j’ai pu valider les dates, les périodes, les noms et prénoms  que maman me renseignait et aussi vérifier certaines concordances. A peu d’années près je dois rendre hommage à sa très bonne mémoire.

L’histoire de Lisa m’a toujours intrigué. La rudesse de ses sentiments, traduite dans un instinct maternel presque inexistant, n’empêche qu’elle avait du cran. L’époque à laquelle elle a vécu n’était pas tendre pour les femmes et leur offrait peu de choix pour permettre leur émancipation. Et par émancipation j’entends simplement le fait de vivre leur vie. A ce titre je considère que Lisa était déjà une femme moderne, qui a payé le prix pour le devenir. Femme peu ordinaire, son histoire me permet aussi de mieux comprendre Elisabeth, sa fille aînée, ma grand-mère, qui lui ressemble beaucoup. Mais cela fera l’objet d’un autre texte.

J’aime récolter des bribes du passé, faire appel à la mémoire, les transcrire afin qu’elles ne disparaissent pas.

J’aime imaginer que mes sœurs, mes enfants et petits- enfants, curieux « d’avant », trouveront dans mes textes quelques réponses sur leurs origines. J’aime aussi, qu’au travers de quelques phrases, Lisa puisse un peu revivre à notre époque.

C’est passionnant !!!!
Quel cran cette Lisa, et quel sens des affaires.
Je suis d’accord avec toi sur le fait que Lisa était une femme moderne bien avant l’heure, et que le prix à payer devait être pour elle un déchirement.
Il en fallait du cran à l’époque pour s’émanciper de la sorte et c’est grâce à des femmes comme Lisa que nous pouvons aujourd’hui, nous, femme du 21 eme siècle être indépendantes.

Tu devrais consigner tout ceci dans un livre

Courageuse Lisa!
Spécialement à cette époque où on ne parlait pas trop d'émancipation...
Comme tu as bien fait de nous raconter cette histoire!

Tu as bien fait d'interroger ta mère, cela donne une histoire quasi incroyable pour l'époque et dépeint un caractère bien trempé. Tu as de qui tenir, continue tes recherches !

Virgul a écrit:J’aime imaginer que mes sœurs, mes enfants et petits- enfants, curieux « d’avant », trouveront dans mes textes quelques réponses sur leurs origines.

Je pense qu'ils seront très intéressés et qu'ils te seront reconnaissants de pouvoir lire toutes ces réponses sur leurs origines. Moi je sais que j'apprécierais énormément.

Cela pourrait vraiment devenir la base d'un roman.

J

’aime récolter des bribes du passé, faire appel à la mémoire, les transcrire afin qu’elles ne disparaissent pas.

J'essaie  de collecter aussi ces "bribes du passé" .
C'est d'autant plus difficile que  les anciens disparaissent les uns après les autres  
et il n'y a pas toujours eu, dans leur entourage, quelqu'un pour recueillir cette mémoire  ...

Tu as bien fait d'interroger ta maman, ça aurait été dommage de perdre l'histoire de Lisa. Je constate que les femmes de la fin du XIXème-début du XXème étaient de sacrés numéros, j'ai pu le constater aussi avec mes arrières-grands-mères nées dans les années 1880