A. Presque y croire

On y était presque. C'est ce que je croyais. J'avais fait beaucoup d'efforts pour y parvenir. Ça aussi, c'est ce que je croyais. Fais des efforts, persévère pour y arriver. Mon père disait ça. J'obéissai à ses exhortations, persuadé qu'il avait raison. Quand on veut on peut. J'aurais dû être plus attentif. Me fier à moi-même lorsqu'apparurent les premiers signes, ceux qui ne trompent pas, mais avec lesquels on fait semblant, comme si de rien n'était.

Elle est partie un lundi matin. Juste à la naissance du printemps, mourait un amour. Les jours s'allongeaient, moi je rétrécissais. Je l'avais dans la peau. Elle devenait peau de chagrin. J'ai presque pleuré. J'aurais dû pleurer. C'est mauvais signe quand tout se fige à l'intérieur.
Un amour mort ? Est-ce qu'il avait seulement vécu. Est-ce qu'on en avait accouché ensemble. Elle disait et répétait presque chaque jour :
— C'est ambivalent ! Tu ne trouves pas ?
Non, je ne trouvais pas. Il fallait toujours qu'elle cherche le pourquoi et le comment, alors qu'il suffisait de vivre simplement. S'embrasser, comme tous les amoureux. Se faire des câlins et plus le vendredi soir, parce que samedi on ne travaillait ni l'un ni l'autre.

Le dernier vendredi avant son départ, on y était presque.
— Encore, encore, je sens que ça monte, oui, n'arrête pas.
J'aurais dû savoir mieux m'y prendre. Les hommes, on croit tout savoir, parce que les copains nous ont expliqué le mode d'emploi quand on était ados.

J'étais sincère en pensant que c'était ça l'amour. Vivre en bons camarades dans l'ordinaire des jours, et puis être au point côté corps et harmonie sexuelle. J'avais lu pas mal de trucs sur le comment faire. J'aurais dû lire d'autres livres et potasser d'autres théories. Pas assez de culture dans ce domaine.
Mon père me l'avait toujours dit : — tu ne lis pas assez mon garçon, apprend dans les livres, tout est expliqué dans les livres.
J'aurais dû souscrire un abonnement à la bibliothèque.

Elle est partie un ludi matin. Le printemps s'est achevé. L'été fut horriblement terne. Les feuilles ont fini par tomber.