Les patates
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Sherkane
Zephyrine
Admin
7 participants
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Les patates
J'ai le plaisir de vous faire découvrir un texte d'Amanda, avec lequel elle a gagné le premier prix pour un concours de nouvelles ayant pour thème “ Bleu”, le mot “ bleu” devant revenir le plus grand nombre de fois possible dans la nouvelle. (concours organisé à Nyons).
Félicitations Amanda pour ce premier prix
Félicitations Amanda pour ce premier prix
Amanda a écrit:LES PATATES
(Une nouvelle bleue...)Mathilde est lasse.
Elle termine en soupirant l'épluchage de 3 kilos de patates.
La corvée finie, elle s'empare d'un vieux couteau au manche bleu délavé et d'un pas rapide entre dans l'atelier du Maître.
Et là, prise d'une colère incoercible, commence à lacérer méthodiquement ce que le célèbre peintre appelle ses œuvres impérissables, sa période « bleue » .
Elle coupe les seins des nus, ouvre les ventres lascivement offerts sur des canapés de velours bleu roi, cisaille des chevelures et étête à droite, à gauche, des angelots penchés au coin d'un balcon recouvert d'un tapis de glycines couleur bleu lavande.
Elle ne s'arrête pas, elle ne s'arrêtera jamais !
Une fois le massacre terminé, les toiles, fruits d'années de travail irrémédiablement saccagées, Mathilde, épuisée, contemple le carnage avec satisfaction.
Ah ! Elle la tient sa vengeance !
Après tout ce temps perdu, des jours, des mois, des années passées aux oubliettes...
Cela lui est venu comme cela, d'un seul coup, après les trois kilos de patates.
Les patates...
Partout dans la vie de Mathilde, elles sont là, les patates.
Une vie égrenée de patates, un chapelet de patates...
A cinq ans déjà, dans les champs...
A les ramasser avec Maria, la Mère.
Jamais un sourire, figée dans son amertume et ses regrets.
Dans les champs entre Malines et Louvain, au village de T., au bord du Canal.
Le Canal, entre canards et chalands, pas grand-chose à voir, sous un ciel rarement bleu.
Et à l'école de T., si souvent vide, pas grand-chose à apprendre.
Trop besoin de bras et de jambes.
Pour les patates.
Les « Bintjes », les « Grenailles », les Grosses, les Déformées, les Petites pour lesquelles il faut gratter loin dans la boue...
Mathilde n'en peut plus des patates, elle vomit la purée, recrache les rissolées, même les frites, elle ne peut les avaler.
Alors, quand Cela lui arrive, elle ne comprend pas.
Personne pour lui expliquer, pour lui dire que cette douleur qui lui mord le ventre et sa petite culotte bleue rougie, la rendent femme.
Mathilde prend peur, elle ne sait ce qui lui arrive et se lave au canal, près de l'écluse, là où il n'y a jamais personne et jette sa culotte souillée dans les ronces.
Quand elle se retourne, une main lui tend un grand mouchoir à carreaux bleus et blancs.
Elle s'en empare, se sèche.
Mathilde se sent mieux, elle a moins mal aussi.
Au bout de la main, il y a un pinceau couvert de peinture bleue.
A travers ses larmes, elle le voit, Lui.
Lui, le Maître, son panama, son tabouret, sa palette de couleurs, un camaïeu de bleus.
A partir de là, il va tout lui apprendre, la sortir de ses patates une fois pour toutes.
Il lui enseigne les nuances du bleu, bleu azur, bleu outremer, bleu cadmium...
Il lui achète des robes aussi, bleues toujours, sa couleur favorite.
Il y ajoute un collier en lapis-lazuli, superbe nuance de bleus, des bracelets assortis.
Et elle, enfin libérée, lui offre son corps et devient son modèle en toute impudeur.
Le Maître pose sur Mathilde un regard intense, déplace une main pour une courbe harmonieuse d'un bras.
Mais s'arrête là.
Jamais il ne la touche autrement, plus loin, comme un amant, comme elle le voudrait tellement.
Jamais.
Mathilde va vivre avec Lui tout le temps. Mais la porte de la chambre bleue, laissée volontairement ouverte, restera en l'état.
Il ne la veut pas, il ne la désire pas.
Elle est devenue si belle pourtant, elle a grandi, elle n'est plus une enfant...
Au fil du temps, au fil des ans, elle reste.
Elle reste mais ne pose plus.
D'autres sont choisies et prennent sa place.
Elle, elle s'occupe du ménage, reste à la cuisine et retourne à ses patates.
Jusqu'à ce jour...
Les épluchures de patates destinées au dîner que le Maître donne ce soir en l'honneur de quelques amis, forment un petit monticule sur le papier-journal.
Le journal du matin, grand ouvert sur deux pages.
Les yeux de Mathilde s'égarent et puis s'effarent devant la photo qui s'étale en grand sur la page des Mondanités.
Mathilde sait à peine lire, juste assez pour déchiffrer le commentaire en caractères bien gras :
« Ce soir, Maître Van Dijck, le célèbre peintre louvaniste fêtera son septantième anniversaire entouré de ses amis et en particulier de son fidèle et tendre compagnon Lucas Blanpain »
Mathilde balaie les épluchures de patates d'un geste brusque pour mieux voir.
Pour mieux voir que le Maître serre dans ses bras un homme très élégant, une belle écharpe en soie bleue autour du cou.
« Lucas Blanpain, homme d'affaires bien connu dans le milieu agricole, propriétaire terrien communément appelé « Le Roi de la Patate »
Et c'est alors que Mathilde ramasse le couteau...
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Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Les patates
Alors là on reconnait bien Amanda!
Si le jury ne connaissait pas les belges et bien à présent c'est fait!
Félicitations et
Si le jury ne connaissait pas les belges et bien à présent c'est fait!
Félicitations et
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: Les patates
Bravo Amanda, une imagination digne d'une belge et un texte qui se lit d'une traite avec une histoire bien menée. Bravo
Plumentête- Humeur : optimiste parfois sceptique
Re: Les patates
Le jury ne s'est pas trompé, tu mérites largement ce prix, Amanda !
Une histoire qui se lit d'une traite, et quelle imagination ! Moi, je dis BRAVO !
Une histoire qui se lit d'une traite, et quelle imagination ! Moi, je dis BRAVO !
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Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.
(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
Re: Les patates
Amanda !
Tu as du talent et j'ai beaucoup aimé
Tu as du talent et j'ai beaucoup aimé
Brigou- Humeur : Généralement joyeuse et optimiste
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