Ce matin, j'ai tué un homme.
5 participants
Page 1 sur 1
Ce matin, j'ai tué un homme.
Ce matin, j'ai tué un homme. Les circonstances sont un peu exceptionnelles, au moins en ce qui me concerne, c'est sûr. Si ce n'était pas du tout prévisible que ça arrive dans ma vie, pour le coup, là, c'était bel et bien prévu. J'ai dit que les circonstances étaient un peu exceptionnelles, c'était il y a 25 ans, donc prescription, non ? Je peux raconter, je changerais certains détails, même si je doute que l'audience qui m'est attribuée ici, a peu de chance de me conduire à l'échafaud.
D'ailleurs, ils ne pourraient pas.
On est en 1995, je fais mon service militaire. Il y a encore quelques mois, j'étais un étudiant peu rigoureux en 1re année de Lettres Modernes. J'ai opté pour l'opportunité qui s'offrait à moi, devancer l'appel, partir faire ce foutu service plus tôt et par la même occasion, selon le message que j'ai reçu, je pourrais choisir au choix, le lieu de mon affectation ou l'arme dans laquelle je servirai. Je me retrouve aux Quartiers Frères à Lyon. La veille avec Micka, on a fait la tournée des bars et pubs qu'on aimait bien sur Lyon, l'Oxxo vers la Doua, la rue Sainte Catherine forcément, la rue Mercière aussi... Du coup, je me pointe au rdv de mes "3 jours" avec de sérieux doutes en cas d'analyse d'urine. Ils sont nombreux comme moi, à être ainsi réquisitionnés par le pays pour aller remplir leur futur devoir. Je passe un 1er test psycho, celui que tout le monde passe lors de sa journée d'appel, après la correction, un officier entre dans la salle. "Ceux dont les noms vont suivre, vous me suivez, merci." Je suis, 2e salle, effectif plus réduit, 2e test, plus poussé celui-là. Mes résultats me conduisent dans le bureau d'un commandant de cavalerie, il a les bottes cirées, il me félicite, me demande si j'ai déjà une idée de ce que j'aimerai faire ou de si j'ai une affectation en tête. Je dis de suite, les chasseurs alpins à Barcelonnette. Il valide.
Je suis incorporé début mai, un mois impair, alors que normalement, les conscriptions pour le service ne se font que les mois pairs. J'ai reçu 3 ou 4 jours avant, mon ordre de mobilisation et d'affection. L'École d'Application du Train à Tours, super ! Je ne le sait pas encore, mais ce n'est que pour mon 1er mois, formation au peloton préparatoire des officiers de réserve de l'Armée de Terre. La veille, avec des amis on a fait barbecue et apéro largement arrosé à la drague de Montcet, l'insouciance du condamné ? Je passe les 1ers jours un peu perdu, un peu émerveillé aussi, c'est nouveau, c'est l'armée, faut filer droit. En guise de cadeau de bienvenue, une carte à puce pour la cabine téléphonique, 516 fr, ça c'est ma solde mensuelle de départ, 20 capotes façon tickets de Morpions qui n'auraient pas été séparés les uns des autres. Y'a de tout dans mon groupe, un jeune joueur prometteur, du club de Toulon qui réussira plus tard à se faire réformer I4, membres inférieurs à problème, c'te blague. Des noeunoeuds, des mecs bien, des cons, et moi. C'était la 1re fois que je voyais une crise de tétanie. Plus tôt, on était allé récupérer en Marmon, les nouvelles recrues à la gare. Un jeune freluquet assis sur son tabouret, le long du bardage de l'infirmerie, pendant plus d'une heure. Il avait gardé les jambes à l'équerre, suspendues au-dessus du vide, pendant que nous autres on se faisait triplement perforer l'omoplate par le préposé à la seringue.
Fin de formation, fin du 1er mois. Classement, je finis 5e, sur la centaine de jeunes gars présents dans la salle. On est une poignée à pouvoir choisir, pour les autres ça sera pas la même tambouille. Du coup, je me retrouve avec David, un Normand, on est tous les deux a avoir choisi Draguignan, École d'Application de l'Artillerie. Je sais pas si David avait des envies d'artillerie, moi j'ai surtout opté pour la côte d'azur, et parce que les autres choix, bof quoi.
Nouvel environnement, nouvelle école, beaucoup plus grande celle-là, beaucoup plus sympa aussi. La formation y est aussi plus poussée, intellectuellement, militairement, et physiquement surtout. De jeunes moutons, ils veulent faire des loups, mais des loups qui obéissent aux ordres aboyés. Si on est là, c'est qu'évidemment, on a pour le plus grand nombre accepté ça. Dans le tas, y a quelques erreurs de casting, mais bon, représentatif de la société. À l'issue de nos 4 mois de formation, cette fois on choisi l'arme et le régiment où en tant qu'officier, on va accomplir notre devoir citoyen et militaire.
Alors, là pour le moment, je vais dire que j'ai été affecté en Alsace, à Oberhoffen sur Moder, près d'Haguenau. Ça c'est mon affectation officielle. Je m'y présente, y a 3 autres mecs de ma promo avec moi, 2 iront au 12e RA en mode Sol-Air, l'autre m'accompagnera au 32e RA en mode Sol-Sol, les deux régiments rassemblés dans la même enceinte militaire. 2 ou 3 semaines après mon arrivée, je tombe sur Patrice, un copain de Draguignan qui lui a été affecté à Vieux-Brisach de l'autre côté de la frontière. On bouffe ensembles, il est l'aide de camp de son général, il part pour Sarajevo dans quelques jours et il n'en mène pas large. Je fais connaissance aussi avec son général, ce qui les attend à Sarajevo, on le sait tous, des snipers embusqués qui tirent sur tout ce qui bouge, des milices dégueulasses, qui font régner la terreur dans les rues. Et plusieurs peuples qui se foutent sur la tronche pour diverses raisons, économiques, territoriales, et religieuses. Patrice me présente, vante mes mérites et mes compétences.
Une semaine plus tard, je suis dans un bureau, y a le fameux général, mais y a aussi 2 mecs en civil. Ils me font un topo sur mon propre dossier, c'te classe. Et ça remonte à loin, à l'Algérie où j'ai un peu grandi, à mes parents, mes grand-parents, ma famille, mes amis, ma vie en détail comme si j'avais été frappé d'amnésie et qu'on voulait me faire la mise à jour. Ils me posent des questions. Est-ce que je veux servir mon pays, est-ce que je suis un patriote, est-ce que j'ai envie de vivre des choses qui sortent de l'ordinaire. Vous auriez répondu quoi vous à ma place ?
À partir de cet instant, je passe dans une autre catégorie. Ils me préviennent, c'est sans retour possible, il me faut de la détermination et de l'abnégation. Un mois sur deux, j'encadre des nouvelles recrues fraîchement débarquées pour accomplir leur service militaire, c'est mon job de sous-lieutenant en compagnie de formation. Le reste du temps, je suis quelqu'un d'autre. Ça commence d'abord par une formation géo-politique et stratégique, notamment sur les conflits en cours en Europe et plus à l'est aussi. Ça se passe souvent après ma journée normale, on vient me chercher. Pendant 15 jours je vais subir je crois, ce qu'il est convenu d'appeler un entrainement commando poussé et exclusif. On est 2 a suivre cette formation, on a pour nous tout seuls, environ une vingtaine de mecs, certains en kaki, d'autres en civils. Ouais, pendant 2 semaines on a mangé sévère, on avait pas le droit de se parler lui et moi, pas de prénom, pas de nom, juste 2 matricules. On était collé l'un à l'autre en permanence, et parfois opposé l'un à l'autre, souvent. On s'est mis des brins, on a travaillé nos gestes techniques, on a répété les mouvements qu'on nous enseignait. Des deux, un seul aura droit à sa mission, l'autre sera là en doublon au cas où. On est en décembre, il fait froid, il neige, mais je sais que bientôt je serai au chaud !
Au petit matin, je me retrouve avec mon barda militaire et un Famas tout neuf sur le tarmac de la base aérienne 124 de Strasbourg-Entzheim. Des deux, c'est moi qui ai eu la mission. Je vais voyager en C-160 Transall, j'adore cet avion, je le trouve beau malgré ses rondeurs. J'en ai pour quelques heures de vol, et le gars qui va piloter je pense, me dit en se marrant. « Ça va, tu devrais pas être emmerdé pour poser ton bordel et pioncer pendant le vol ! » Tu m'étonnes, j'ai la soute pour moi tout seul, y'a 2 palettes qui font le voyage avec moi. Quand la porte s'ouvre enfin, je prends une bouffée de la fournaise qui sévit à l'extérieur. Bienvenue au moyen-orient me gueule le préposé au tire-palette qui entre en soute. Il me demande mon affectation, je le regarde, je dis rien. Je ne parle pas non-plus à ceux qui encadrent mon entrée dans les zones climatisées et administratives. Un chauffeur m'attend, il charge mes affaires, et j'ai droit à un tours en 4×4 dans la vieille ville. Ça me rappelle l'Algérie, les odeurs, les marchés et leurs étals, les gens, les habits, les femmes voilées. Je suis assis devant un mec, un arabe, enfin, un Irakien plus exactement. Il goutte abondamment, il est dégueulasse, mal rasé, chemise débraillée, il fume des clopes russes. Tantôt en arabe, tantôt en français, il me parle, enfin, il vocifère plutôt. Je crois qu'il essaie de me faire comprendre un truc important selon lui. Moi j'attends qu'on me sorte de ce bureau, qu'on me file ma piaule, que je puisse prendre enfin cette putain de douche.
On se retrouve dans une autre chambre de mon hôtel, y'a les deux mecs en civils du départ, ceux qui accompagnaient le général de Patrice, ils doivent-être à Sarajevo depuis plusieurs semaines maintenant. Moi je suis à Karrada, proche banlieue bagdadie. Ils me proposent un petit verre, je dis pas non, ils avaient pas le même ton avec moi la 1re fois. Là, ça c'est assoupli, on dirait ! Il me tend mon verre, et juste derrière une grosse enveloppe en papier kraft, dedans il y a tout ce que je dois savoir. Ça doit surtout et avant tout, pouvoir passer pour un accident. Et le mot pouvoir prend ici toute sa raison d'être. Je dois accidenter volontairement ma cible, que le pouvoir soit satisfait. Oui, mais lequel, le français ou l'irakien ? En octobre, Saddam a été remis aux manettes par un référendum qui tient autant lieu de référendum que moi je pourrais faire Pape et bénir les foules. En gros, le vieux Saddam, il a tellement fait peur aux pauvres irakiens, que sans hésiter, ils ont tous revoté pour lui, même les femmes, même les enfants. C'est beau la politique ! Mon rôle ? Faire passer un message, déstabiliser un peu le partenaire politique et économique en place, bien au-delà en réalité. En gros, ma cible, puisque je vais en parler, c'est un proche dans l'entourage décisionnaire du gros barbu. Mais ça doit-être un accident. Mettons que si demain par exemple, Edouard Philippe, il avait un accident, le gouvernement, devrait palier à son absence, le remplacer par quelqu'un d'autre, qui aurait alors le loisir, de mettre le nez dans ses dossiers, et ça parfois, ça pose un soucis. Surtout quand vous êtes un dictateur et que vous ne pouvez plus avoir confiance qu'en un cercle très restreint d'amis ou de comparses coupables. Vous avez compris ? Je suis celui qui devait permettre, de faire entrer un pion à la solde de l'État français, dans la nouvelle équipe dirigeante irakienne. On appelle ça truffer la dinde.
J'ai fait le taf, ça ne m'a posé aucun soucis moral sur le moment. C'est plus tard, que ça m'a joué des tours, mais sur le coup, je ne l'imaginais pas un seul instant, inconscient que j'étais, fiers aussi, de servir mon pays. Je me suis levé avant l'aube, je connaissais les habitudes de la cible, forcément, une équipe l'avait placé sous surveillance depuis des mois. Moi, on m'avait promis un A-R express, je serai de retour pour passer les fêtes en famille mine de rien. Pourquoi moi ? Certainement, parce que de tout temps, les gens qui dirigent ont dû utiliser ce genre de méthodes, ce genre de recrutement aussi. L'occasion fait le larron dit-on, tu m'étonnes, pas cher, discret, efficace et … Jetable !
Vers 5 h, il va y avoir l'appel à la prière, la 1re de la journée pour beaucoup de musulmans. C'est là que je dois intervenir. Il sera tourné dans la bonne direction, agenouillé sur son tapis, et de bon matin, il prie seul sur le sol du balcon couvert qui ceint son très bel appartement de fonction. Je suis monté sur le toit par les escaliers, si si, je vous jure, le service d'ordre pionçait encore, le planton à l'entrée de L'Hôtel particulier, il devait avoir une chiasse pas possible, car il n'y avait personne justement pour assurer le gardiennage. Donc je me suis posté, juste au-dessus de là où il avait ses habitudes matinales et religieuses, j'étais à 3 mètres environ à la verticale, abrité des regards par l'entrelacs végétal qui servait de toit partiel à son balcon. L'imam ou la stéréo je sais pas, s'est mis à beugler l'appel, j'ai toujours aimé ça, depuis l'Algérie, même à la Réunion, j'entendais l'Imam. Le voilà, il sort, il est déjà habillé pour sa journée, propre, élégant, mais seul. Il ôte ses babouches, fait ses ablutions à une bassine plastique rose fluo qu'on trouve sur tous les marchés du tiers-monde, et même chez nous dans certains quartiers. Il marmonne, Salla Allahou alyhi wa salam ! Il a raison, il devrait prier plus fort.
Enfin, il s'agenouille, il me tourne le dos, je vais entamer ma descente, et je m'interroge, je fais ça face à face avec le risque qu'il donne l'alerte, ou je ne lui laisse pas le temps de comprendre. Je me laisse glisser sans un bruit le long de la façade, je suis suspendu à l'arête du toit essayant de ne pas me faire avoir par les végétaux qui m'entourent. Il ne me reste que 50/60 cm entre le bout de mes pieds et le sol, l'avantage d'avoir de grands-bras. Comme j'avais le temps de préparer mon truc, je suis en chaussettes, pas de bruit à la réception. Je suis derrière lui, il a le front collé au sol, il redresse le torse, c'est maintenant. Je place ma main droite sous son menton, la gauche sur la zone occipitale, je me penche d'un même mouvement, et à l'oreille je lui dis, "Si tu le croises, passes le bonjour à Allah de ma part."
Ses cervicales font un bruit de barquette en plastique que tu enfonces au fond de ta poubelle, quand tu as mis la viande dans la poêle. J'ai pas eu besoin de forcer exagérément, ce geste, on me l'a fait répéter, encore et encore. Et vous seriez étonné de la fragilité de la zone cervicale, la moelle épinière doit-être bien pliée là. Je ne traîne pas, je le prend sous les bras et je le bazarde par-dessus la balustrade du balcon, j'envoie aussi une de ses deux babouches en bas. L'autre je la laisse sur son tapis de prière, que je plie façon accordéon en le rapprochant de la dite balustrade. Le voilà son accident, ce con s'est penché, son tapis a glissé et lui a volé pour la 1re fois de sa vie. Je jette par acquit de conscience, un coup d'œil périphérique, pas de lumières à l'intérieur, pas de bruit, en face, pas de fenêtres allumées, je jette quand même un coup d'œil au minaret, c'est bien une stéréo. Je remonte sur mon toit, je ne suis ni un hussard, ni une chatte.
Je ne dois pas traîner. De retour dans ma chambre d'hôtel, je lâche un souffle qui était contenu depuis bien assez longtemps. Ça c'est fait ! J'ai les mains qui tremblent, j'ai envie d'un café, mais d'abord je file à la douche.
Dans 2 jours je suis chez moi en Bresse, Noël approche, normalement, je fini fin février mon service, et ce matin, j'ai tué un homme.
D'ailleurs, ils ne pourraient pas.
On est en 1995, je fais mon service militaire. Il y a encore quelques mois, j'étais un étudiant peu rigoureux en 1re année de Lettres Modernes. J'ai opté pour l'opportunité qui s'offrait à moi, devancer l'appel, partir faire ce foutu service plus tôt et par la même occasion, selon le message que j'ai reçu, je pourrais choisir au choix, le lieu de mon affectation ou l'arme dans laquelle je servirai. Je me retrouve aux Quartiers Frères à Lyon. La veille avec Micka, on a fait la tournée des bars et pubs qu'on aimait bien sur Lyon, l'Oxxo vers la Doua, la rue Sainte Catherine forcément, la rue Mercière aussi... Du coup, je me pointe au rdv de mes "3 jours" avec de sérieux doutes en cas d'analyse d'urine. Ils sont nombreux comme moi, à être ainsi réquisitionnés par le pays pour aller remplir leur futur devoir. Je passe un 1er test psycho, celui que tout le monde passe lors de sa journée d'appel, après la correction, un officier entre dans la salle. "Ceux dont les noms vont suivre, vous me suivez, merci." Je suis, 2e salle, effectif plus réduit, 2e test, plus poussé celui-là. Mes résultats me conduisent dans le bureau d'un commandant de cavalerie, il a les bottes cirées, il me félicite, me demande si j'ai déjà une idée de ce que j'aimerai faire ou de si j'ai une affectation en tête. Je dis de suite, les chasseurs alpins à Barcelonnette. Il valide.
Je suis incorporé début mai, un mois impair, alors que normalement, les conscriptions pour le service ne se font que les mois pairs. J'ai reçu 3 ou 4 jours avant, mon ordre de mobilisation et d'affection. L'École d'Application du Train à Tours, super ! Je ne le sait pas encore, mais ce n'est que pour mon 1er mois, formation au peloton préparatoire des officiers de réserve de l'Armée de Terre. La veille, avec des amis on a fait barbecue et apéro largement arrosé à la drague de Montcet, l'insouciance du condamné ? Je passe les 1ers jours un peu perdu, un peu émerveillé aussi, c'est nouveau, c'est l'armée, faut filer droit. En guise de cadeau de bienvenue, une carte à puce pour la cabine téléphonique, 516 fr, ça c'est ma solde mensuelle de départ, 20 capotes façon tickets de Morpions qui n'auraient pas été séparés les uns des autres. Y'a de tout dans mon groupe, un jeune joueur prometteur, du club de Toulon qui réussira plus tard à se faire réformer I4, membres inférieurs à problème, c'te blague. Des noeunoeuds, des mecs bien, des cons, et moi. C'était la 1re fois que je voyais une crise de tétanie. Plus tôt, on était allé récupérer en Marmon, les nouvelles recrues à la gare. Un jeune freluquet assis sur son tabouret, le long du bardage de l'infirmerie, pendant plus d'une heure. Il avait gardé les jambes à l'équerre, suspendues au-dessus du vide, pendant que nous autres on se faisait triplement perforer l'omoplate par le préposé à la seringue.
Fin de formation, fin du 1er mois. Classement, je finis 5e, sur la centaine de jeunes gars présents dans la salle. On est une poignée à pouvoir choisir, pour les autres ça sera pas la même tambouille. Du coup, je me retrouve avec David, un Normand, on est tous les deux a avoir choisi Draguignan, École d'Application de l'Artillerie. Je sais pas si David avait des envies d'artillerie, moi j'ai surtout opté pour la côte d'azur, et parce que les autres choix, bof quoi.
Nouvel environnement, nouvelle école, beaucoup plus grande celle-là, beaucoup plus sympa aussi. La formation y est aussi plus poussée, intellectuellement, militairement, et physiquement surtout. De jeunes moutons, ils veulent faire des loups, mais des loups qui obéissent aux ordres aboyés. Si on est là, c'est qu'évidemment, on a pour le plus grand nombre accepté ça. Dans le tas, y a quelques erreurs de casting, mais bon, représentatif de la société. À l'issue de nos 4 mois de formation, cette fois on choisi l'arme et le régiment où en tant qu'officier, on va accomplir notre devoir citoyen et militaire.
Alors, là pour le moment, je vais dire que j'ai été affecté en Alsace, à Oberhoffen sur Moder, près d'Haguenau. Ça c'est mon affectation officielle. Je m'y présente, y a 3 autres mecs de ma promo avec moi, 2 iront au 12e RA en mode Sol-Air, l'autre m'accompagnera au 32e RA en mode Sol-Sol, les deux régiments rassemblés dans la même enceinte militaire. 2 ou 3 semaines après mon arrivée, je tombe sur Patrice, un copain de Draguignan qui lui a été affecté à Vieux-Brisach de l'autre côté de la frontière. On bouffe ensembles, il est l'aide de camp de son général, il part pour Sarajevo dans quelques jours et il n'en mène pas large. Je fais connaissance aussi avec son général, ce qui les attend à Sarajevo, on le sait tous, des snipers embusqués qui tirent sur tout ce qui bouge, des milices dégueulasses, qui font régner la terreur dans les rues. Et plusieurs peuples qui se foutent sur la tronche pour diverses raisons, économiques, territoriales, et religieuses. Patrice me présente, vante mes mérites et mes compétences.
Une semaine plus tard, je suis dans un bureau, y a le fameux général, mais y a aussi 2 mecs en civil. Ils me font un topo sur mon propre dossier, c'te classe. Et ça remonte à loin, à l'Algérie où j'ai un peu grandi, à mes parents, mes grand-parents, ma famille, mes amis, ma vie en détail comme si j'avais été frappé d'amnésie et qu'on voulait me faire la mise à jour. Ils me posent des questions. Est-ce que je veux servir mon pays, est-ce que je suis un patriote, est-ce que j'ai envie de vivre des choses qui sortent de l'ordinaire. Vous auriez répondu quoi vous à ma place ?
À partir de cet instant, je passe dans une autre catégorie. Ils me préviennent, c'est sans retour possible, il me faut de la détermination et de l'abnégation. Un mois sur deux, j'encadre des nouvelles recrues fraîchement débarquées pour accomplir leur service militaire, c'est mon job de sous-lieutenant en compagnie de formation. Le reste du temps, je suis quelqu'un d'autre. Ça commence d'abord par une formation géo-politique et stratégique, notamment sur les conflits en cours en Europe et plus à l'est aussi. Ça se passe souvent après ma journée normale, on vient me chercher. Pendant 15 jours je vais subir je crois, ce qu'il est convenu d'appeler un entrainement commando poussé et exclusif. On est 2 a suivre cette formation, on a pour nous tout seuls, environ une vingtaine de mecs, certains en kaki, d'autres en civils. Ouais, pendant 2 semaines on a mangé sévère, on avait pas le droit de se parler lui et moi, pas de prénom, pas de nom, juste 2 matricules. On était collé l'un à l'autre en permanence, et parfois opposé l'un à l'autre, souvent. On s'est mis des brins, on a travaillé nos gestes techniques, on a répété les mouvements qu'on nous enseignait. Des deux, un seul aura droit à sa mission, l'autre sera là en doublon au cas où. On est en décembre, il fait froid, il neige, mais je sais que bientôt je serai au chaud !
Au petit matin, je me retrouve avec mon barda militaire et un Famas tout neuf sur le tarmac de la base aérienne 124 de Strasbourg-Entzheim. Des deux, c'est moi qui ai eu la mission. Je vais voyager en C-160 Transall, j'adore cet avion, je le trouve beau malgré ses rondeurs. J'en ai pour quelques heures de vol, et le gars qui va piloter je pense, me dit en se marrant. « Ça va, tu devrais pas être emmerdé pour poser ton bordel et pioncer pendant le vol ! » Tu m'étonnes, j'ai la soute pour moi tout seul, y'a 2 palettes qui font le voyage avec moi. Quand la porte s'ouvre enfin, je prends une bouffée de la fournaise qui sévit à l'extérieur. Bienvenue au moyen-orient me gueule le préposé au tire-palette qui entre en soute. Il me demande mon affectation, je le regarde, je dis rien. Je ne parle pas non-plus à ceux qui encadrent mon entrée dans les zones climatisées et administratives. Un chauffeur m'attend, il charge mes affaires, et j'ai droit à un tours en 4×4 dans la vieille ville. Ça me rappelle l'Algérie, les odeurs, les marchés et leurs étals, les gens, les habits, les femmes voilées. Je suis assis devant un mec, un arabe, enfin, un Irakien plus exactement. Il goutte abondamment, il est dégueulasse, mal rasé, chemise débraillée, il fume des clopes russes. Tantôt en arabe, tantôt en français, il me parle, enfin, il vocifère plutôt. Je crois qu'il essaie de me faire comprendre un truc important selon lui. Moi j'attends qu'on me sorte de ce bureau, qu'on me file ma piaule, que je puisse prendre enfin cette putain de douche.
On se retrouve dans une autre chambre de mon hôtel, y'a les deux mecs en civils du départ, ceux qui accompagnaient le général de Patrice, ils doivent-être à Sarajevo depuis plusieurs semaines maintenant. Moi je suis à Karrada, proche banlieue bagdadie. Ils me proposent un petit verre, je dis pas non, ils avaient pas le même ton avec moi la 1re fois. Là, ça c'est assoupli, on dirait ! Il me tend mon verre, et juste derrière une grosse enveloppe en papier kraft, dedans il y a tout ce que je dois savoir. Ça doit surtout et avant tout, pouvoir passer pour un accident. Et le mot pouvoir prend ici toute sa raison d'être. Je dois accidenter volontairement ma cible, que le pouvoir soit satisfait. Oui, mais lequel, le français ou l'irakien ? En octobre, Saddam a été remis aux manettes par un référendum qui tient autant lieu de référendum que moi je pourrais faire Pape et bénir les foules. En gros, le vieux Saddam, il a tellement fait peur aux pauvres irakiens, que sans hésiter, ils ont tous revoté pour lui, même les femmes, même les enfants. C'est beau la politique ! Mon rôle ? Faire passer un message, déstabiliser un peu le partenaire politique et économique en place, bien au-delà en réalité. En gros, ma cible, puisque je vais en parler, c'est un proche dans l'entourage décisionnaire du gros barbu. Mais ça doit-être un accident. Mettons que si demain par exemple, Edouard Philippe, il avait un accident, le gouvernement, devrait palier à son absence, le remplacer par quelqu'un d'autre, qui aurait alors le loisir, de mettre le nez dans ses dossiers, et ça parfois, ça pose un soucis. Surtout quand vous êtes un dictateur et que vous ne pouvez plus avoir confiance qu'en un cercle très restreint d'amis ou de comparses coupables. Vous avez compris ? Je suis celui qui devait permettre, de faire entrer un pion à la solde de l'État français, dans la nouvelle équipe dirigeante irakienne. On appelle ça truffer la dinde.
J'ai fait le taf, ça ne m'a posé aucun soucis moral sur le moment. C'est plus tard, que ça m'a joué des tours, mais sur le coup, je ne l'imaginais pas un seul instant, inconscient que j'étais, fiers aussi, de servir mon pays. Je me suis levé avant l'aube, je connaissais les habitudes de la cible, forcément, une équipe l'avait placé sous surveillance depuis des mois. Moi, on m'avait promis un A-R express, je serai de retour pour passer les fêtes en famille mine de rien. Pourquoi moi ? Certainement, parce que de tout temps, les gens qui dirigent ont dû utiliser ce genre de méthodes, ce genre de recrutement aussi. L'occasion fait le larron dit-on, tu m'étonnes, pas cher, discret, efficace et … Jetable !
Vers 5 h, il va y avoir l'appel à la prière, la 1re de la journée pour beaucoup de musulmans. C'est là que je dois intervenir. Il sera tourné dans la bonne direction, agenouillé sur son tapis, et de bon matin, il prie seul sur le sol du balcon couvert qui ceint son très bel appartement de fonction. Je suis monté sur le toit par les escaliers, si si, je vous jure, le service d'ordre pionçait encore, le planton à l'entrée de L'Hôtel particulier, il devait avoir une chiasse pas possible, car il n'y avait personne justement pour assurer le gardiennage. Donc je me suis posté, juste au-dessus de là où il avait ses habitudes matinales et religieuses, j'étais à 3 mètres environ à la verticale, abrité des regards par l'entrelacs végétal qui servait de toit partiel à son balcon. L'imam ou la stéréo je sais pas, s'est mis à beugler l'appel, j'ai toujours aimé ça, depuis l'Algérie, même à la Réunion, j'entendais l'Imam. Le voilà, il sort, il est déjà habillé pour sa journée, propre, élégant, mais seul. Il ôte ses babouches, fait ses ablutions à une bassine plastique rose fluo qu'on trouve sur tous les marchés du tiers-monde, et même chez nous dans certains quartiers. Il marmonne, Salla Allahou alyhi wa salam ! Il a raison, il devrait prier plus fort.
Enfin, il s'agenouille, il me tourne le dos, je vais entamer ma descente, et je m'interroge, je fais ça face à face avec le risque qu'il donne l'alerte, ou je ne lui laisse pas le temps de comprendre. Je me laisse glisser sans un bruit le long de la façade, je suis suspendu à l'arête du toit essayant de ne pas me faire avoir par les végétaux qui m'entourent. Il ne me reste que 50/60 cm entre le bout de mes pieds et le sol, l'avantage d'avoir de grands-bras. Comme j'avais le temps de préparer mon truc, je suis en chaussettes, pas de bruit à la réception. Je suis derrière lui, il a le front collé au sol, il redresse le torse, c'est maintenant. Je place ma main droite sous son menton, la gauche sur la zone occipitale, je me penche d'un même mouvement, et à l'oreille je lui dis, "Si tu le croises, passes le bonjour à Allah de ma part."
Ses cervicales font un bruit de barquette en plastique que tu enfonces au fond de ta poubelle, quand tu as mis la viande dans la poêle. J'ai pas eu besoin de forcer exagérément, ce geste, on me l'a fait répéter, encore et encore. Et vous seriez étonné de la fragilité de la zone cervicale, la moelle épinière doit-être bien pliée là. Je ne traîne pas, je le prend sous les bras et je le bazarde par-dessus la balustrade du balcon, j'envoie aussi une de ses deux babouches en bas. L'autre je la laisse sur son tapis de prière, que je plie façon accordéon en le rapprochant de la dite balustrade. Le voilà son accident, ce con s'est penché, son tapis a glissé et lui a volé pour la 1re fois de sa vie. Je jette par acquit de conscience, un coup d'œil périphérique, pas de lumières à l'intérieur, pas de bruit, en face, pas de fenêtres allumées, je jette quand même un coup d'œil au minaret, c'est bien une stéréo. Je remonte sur mon toit, je ne suis ni un hussard, ni une chatte.
Je ne dois pas traîner. De retour dans ma chambre d'hôtel, je lâche un souffle qui était contenu depuis bien assez longtemps. Ça c'est fait ! J'ai les mains qui tremblent, j'ai envie d'un café, mais d'abord je file à la douche.
Dans 2 jours je suis chez moi en Bresse, Noël approche, normalement, je fini fin février mon service, et ce matin, j'ai tué un homme.
Aldaron De Molégers- Humeur : Alternance de bleus au gris sombre, selon la météo environnante...
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
Sans chichi, sans sentiment, le personnage de ton histoire est très bien décrit.
Dès le début, on comprend à quel genre de mec il ressemble.
Les descriptions de certaines scènes m'ont fait frémir .
As tu déjà pensé écrire des romans "noirs"!
J'ai été heureuse de te lire et je me demandais si tu ne pourrais pas une fois écrire sur consigne, je crois bien que tu ferais un malheur!
Dès le début, on comprend à quel genre de mec il ressemble.
Les descriptions de certaines scènes m'ont fait frémir .
As tu déjà pensé écrire des romans "noirs"!
J'ai été heureuse de te lire et je me demandais si tu ne pourrais pas une fois écrire sur consigne, je crois bien que tu ferais un malheur!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
Coucou Zephyrine,
merci de ta bienveillante lecture. Oui j'y pense pas forcément toujours "noirs" mais j'y pense en ne me rasant pas le matin!
J'ai vu passer une consigne cette semaine d'où ma visite ici-bas, je vais tenter d'en travailler une, mais c'est très aléatoire, faut que ça tombe en face comme on dit...
merci de ta bienveillante lecture. Oui j'y pense pas forcément toujours "noirs" mais j'y pense en ne me rasant pas le matin!
J'ai vu passer une consigne cette semaine d'où ma visite ici-bas, je vais tenter d'en travailler une, mais c'est très aléatoire, faut que ça tombe en face comme on dit...
Aldaron De Molégers- Humeur : Alternance de bleus au gris sombre, selon la météo environnante...
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
C'est tellement bien fait qu'on croirait presque à une autobiographie…
C'est le genre de récit intéressant. J'ai publié tout un recueil de nouvelles avec des gens « pas clairs du tout », et même certains très violents.
C'est quand même hyper jouissif !
C'est le genre de récit intéressant. J'ai publié tout un recueil de nouvelles avec des gens « pas clairs du tout », et même certains très violents.
C'est quand même hyper jouissif !
_________________
"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
Coucou Alain,
peut-être parce qu'une grosse partie du texte est purement autobiographique, collée à la semelle de mes Rangers taille 45 fournies par l'état! Après j'ai malaxé le tout et j'ai aromatisé avec un soupçon d'action afin que ça ait un intérêt.
peut-être parce qu'une grosse partie du texte est purement autobiographique, collée à la semelle de mes Rangers taille 45 fournies par l'état! Après j'ai malaxé le tout et j'ai aromatisé avec un soupçon d'action afin que ça ait un intérêt.
Aldaron De Molégers- Humeur : Alternance de bleus au gris sombre, selon la météo environnante...
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
Je suis bluffée! J'y ai cru d'un bout à 'autre
_________________
Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
@ alainx
Je reviens sur ton commentaire, si c'est possible, et vu que j'aime aussi ce genre d'histoires, je veux bien savoir où on peut lire ces nouvelles, blog? Édition récente?
J'avoue, parfois j'ai des envies de Méharées en compagnie du lieutenant Vogel et de quelques mercos patibulaires, le lac Tchad offre aussi quelques possibilités... ^^
Je reviens sur ton commentaire, si c'est possible, et vu que j'aime aussi ce genre d'histoires, je veux bien savoir où on peut lire ces nouvelles, blog? Édition récente?
J'avoue, parfois j'ai des envies de Méharées en compagnie du lieutenant Vogel et de quelques mercos patibulaires, le lac Tchad offre aussi quelques possibilités... ^^
Aldaron De Molégers- Humeur : Alternance de bleus au gris sombre, selon la météo environnante...
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
Je lis rarement les textes libres et, là ce matin je tombe par hasard sur ton texte Aldaron et j'ai l'impression que je viens de voir un film ! J'ai été happée par ton récit écrit dans un style que j'ai drôlement aimé. Un vrai aventurier ! Des détails qui sentent le vécu, on ne s'ennuie pas du début à la fin, je dis bravo !
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: Ce matin, j'ai tué un homme.
Libre publiéAldaron De Molégers a écrit:@ alainx
Je reviens sur ton commentaire, si c'est possible, et vu que j'aime aussi ce genre d'histoires, je veux bien savoir où on peut lire ces nouvelles, blog? Édition récente?
En vente sur mon blog ! "A vélo vers l'éternité"
_________________
"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum