Paul CHEVALON
2 participants
Page 1 sur 1
Paul CHEVALON
J'vais vous raconter l'histoire d'un bonhomme.
Enfin, MON histoire d'un bonhomme, le petit bout de son histoire à lui, que moi j'ai surpris, vécu aussi, gardé pour moi et que aujourd'hui, sans raison, juste comme ça sur une idée, une inspiration, j'vais tenter de vous raconter.
Il s'appelait Paul CHEVALON, c'était le paysan qui habitait en face de chez mes parents. Il habitait aussi, accessoirement, à côté de son gros tas de fumier. Et quand je dis gros, c'est pas une figure de style, vous voyez ces longues fermes bressanes, un peu comme les longères de Normandie. Et bein son tas à lui, il arrivait facilement à la même hauteur que le toit pourri de sa vieille ferme plus que centenaire, et il devait bien faire dans les 15 mètres de large.
La ferme, une bâtisse aux murs de pisé dont le toit faisait le ventre par le milieu, y avait un peu un genre de cuvette quand on regardait de face, on s'attendait en ouvrant les volets le matin, à la voir écroulée. Plus tard, j'ai su que cette ferme datait de 1850 environ, j'vous assure, rien n'avait changé!
Le tout dans son jus, entre pisse de vache et gadoue, fallait des bottes en caoutchouc pour traverser la cours. Pour couronner le tout, il avait fixé sous la soupente de son toit, un câble qui courait le long de la façade, et à ce câble glissait une chaîne avec au bout un vieux corniaud méchant et hargneux, noir et dégueulasse, Rintintin, il vous jappait dessus du soir au matin pour peu que vous empruntiez le chemin qui passait devant, putain de chien, putain de maître ouais.
Quand j'étais petit, il me faisait peur le Paul. C'était un colosse bancal avec la gueule de travers, une gueule cassée, un œil foireux, les jambes arquées et paysannes, dépassaient de ses éternels shorts de travail. On savait jamais trop s'il nous regardait ou pas, s'il l'avait mauvaise ou non. C'était un paysan, avec quelques vaches couvertes de crotte séchée, qui indépendamment de n'être pas si bien traitées, donnaient sans sourciller leur lait à leur propriétaire, qui lui tentait de le refourguer à la coopérative laitière locale, qui pas si folle, ne le ramassait pas.
Avoir une ferme en face, vous me direz, c'est pratique pour le lait, nan en fait, on préférait marcher un peu et aller remplir notre petite Berthe ailleurs, plus loin dans le village.
Il vivait avec sa mère et son frère Jean. Et là, je sais pas par qui commencer. Vous avez déjà vu ces vieilles sorcières dans les films avec leur nez crochu et le poireau dessus? Bein voilà, elle était toujours vêtue de noir et de gris, les cheveux blancs-gris-sales aussi. Elle était dans un fauteuil roulant, pis un jour lui ont coupé une guibolle, elle est morte quelques années plus tard.
Son frangin, lui, c'était l'avorton de la portée. Paul avait dû tout bouffer. Le Jean, c'était un gringalet tout de traviole également, la gueule, le corps et peut-être l'esprit, il allait et venait sur un vieux solex et contrairement à son frangin, il tentait de s'habiller, des costumes sombres dans mon souvenir.
Quand on entrait chez lui, on arrivait dans la cuisine, un sol de briques rouges auréolées qui avait dû gondoler, parce qu'en dessous c'est l'argile de Bresse qui gonfle et dégonfle au gré des saisons. Derrière la large porte d'entrée en bois, il y avait son lit à lui. Au milieu de la pièce, la table sur laquelle traînaient toujours des verres Duralex avec le numéro au fond. Ce qui restait aussi au fond, c'était souvent des traces séchées de gros vin rouge qui ne tachait pas que ses Marcels à lui. Parfois, les verres restaient collés à la table, je pense d'une semaine sur l'autre. Quand il offrait a boire ou payait l'apéro, fallait bien réfléchir, est-ce qu'il reste de la pénicilline dans la pharmacie des parents?
Les sauss' étaient accrochés à la poutre au-dessus de la table, ceux-là, promis, il ne fallait pas manger la peau quand il vous taillait de grosses rondelles avec son opinel qu'il sortait de sa poche. On voyait quelques fois, une souris courir sur la poutre ou traverser la cuisine en direction des pièces d'à-côté (je n'y suis jamais entré.) Petits, nous on avait droit à de l'eau, les parents au rouge, mon eau avait souvent un vieux goût de rouge aussi, mais j'ai jamais rien dit.
En petit-fils de paysan, j'ai fait les foins avec lui et les autres vieux du coin, je devais avoir 11 ans environ, ils me mettaient au volant du tracteur, eux chargeaient et rangeaient les bottes. Comme il faisait chaud, fallait bien boire, on avait toujours un casier de 6 qui traînait à l'ombre d'un arbre en bordure du champ. Une de flotte très fraîche, deux de rosé, trois de rouge, on était cinq, enfin ils étaient quatre et un mioche. On buvait au goulot, chacun à son tours, j'avais droit au rosé et au rouge. C'est peut-être pour ça qu'un jour en fin de journée, alors qu'on finissait un champ, le char plein, en amorçant le virage serré pour quitter l'enclot, j'ai fait craqué contre le gros pneu cranté, le vieux timon en bois gris du char, sur lequel était encore perché, en haut des bottes, les deux vieux chargés du rangement. Bein, j'ai entendu gueuler, gentiment, mais j'ai entendu parler du pays. Ils me les ont donné quand même mes 50 francs.
Son gros tas de fumier, on en pouvait plus, vue directe depuis la cuisine de chez nous, tous les jours et à chaque repas. Une fois le chien, le nôtre, Belle un cocker, est revenu traînant derrière elle un long truc bizarre et dégueulasse. C'était une panse de vache, les restes qui entourent le veau et qui viennent s'écraser en grosse flaque gélatineuse et odorante à la mise-bas. Quand c'était pas ça ,de toute façon, elle revenait après s'être joyeusement roulée dans la bouse fraîche, si t'avais de la chance, tu le voyais avant de l'avoir caressée.
Il faisait aussi disparaître les carcasses, de ses vielles Renault 4 break au fond de la mare qui bordait le champ, une mare qui nous faisait peur plus tard, avec un copain. Au fond, devait pas y avoir que de la rouille, je pense que quelques vaches crevées ont du aussi aller piquer une tête. Enfin, j'imagine.
Il boitait, traînait sa grolle, je me rappelle plus d'où il tirait ça, les poils lui sortaient du nez, mais dans le fond, il était pas si méchant. Rustre, sale, un vieux-garçon comme on disait alors sous le manteau en le désignant du coin de l’œil, et l’œil dans leur famille, c’était le travers génétique, si je peux me permettre ce vilain trait d’esprit.
Bein, il a changé, et je dirais presque du tout au tout, quelques années plus tard. Quand il a pris sa retraite, qu'il a quitté sa vieille ferme pourrie, qu'il a emménagé à-côté de chez sa sœur, qui elle avait eu une vie un peu plus normale. On le croisait propre et souriant, la démarche toujours aussi cahotée. Aujourd'hui, il n'est plus de ce monde, mais j'ai découvert, que derrière son nom, ils ont rajouté "née Ancien d'Algérie". Mais ça, c’est un bout de sa vie que je ne connais pas.
Enfin, MON histoire d'un bonhomme, le petit bout de son histoire à lui, que moi j'ai surpris, vécu aussi, gardé pour moi et que aujourd'hui, sans raison, juste comme ça sur une idée, une inspiration, j'vais tenter de vous raconter.
Il s'appelait Paul CHEVALON, c'était le paysan qui habitait en face de chez mes parents. Il habitait aussi, accessoirement, à côté de son gros tas de fumier. Et quand je dis gros, c'est pas une figure de style, vous voyez ces longues fermes bressanes, un peu comme les longères de Normandie. Et bein son tas à lui, il arrivait facilement à la même hauteur que le toit pourri de sa vieille ferme plus que centenaire, et il devait bien faire dans les 15 mètres de large.
La ferme, une bâtisse aux murs de pisé dont le toit faisait le ventre par le milieu, y avait un peu un genre de cuvette quand on regardait de face, on s'attendait en ouvrant les volets le matin, à la voir écroulée. Plus tard, j'ai su que cette ferme datait de 1850 environ, j'vous assure, rien n'avait changé!
Le tout dans son jus, entre pisse de vache et gadoue, fallait des bottes en caoutchouc pour traverser la cours. Pour couronner le tout, il avait fixé sous la soupente de son toit, un câble qui courait le long de la façade, et à ce câble glissait une chaîne avec au bout un vieux corniaud méchant et hargneux, noir et dégueulasse, Rintintin, il vous jappait dessus du soir au matin pour peu que vous empruntiez le chemin qui passait devant, putain de chien, putain de maître ouais.
Quand j'étais petit, il me faisait peur le Paul. C'était un colosse bancal avec la gueule de travers, une gueule cassée, un œil foireux, les jambes arquées et paysannes, dépassaient de ses éternels shorts de travail. On savait jamais trop s'il nous regardait ou pas, s'il l'avait mauvaise ou non. C'était un paysan, avec quelques vaches couvertes de crotte séchée, qui indépendamment de n'être pas si bien traitées, donnaient sans sourciller leur lait à leur propriétaire, qui lui tentait de le refourguer à la coopérative laitière locale, qui pas si folle, ne le ramassait pas.
Avoir une ferme en face, vous me direz, c'est pratique pour le lait, nan en fait, on préférait marcher un peu et aller remplir notre petite Berthe ailleurs, plus loin dans le village.
Il vivait avec sa mère et son frère Jean. Et là, je sais pas par qui commencer. Vous avez déjà vu ces vieilles sorcières dans les films avec leur nez crochu et le poireau dessus? Bein voilà, elle était toujours vêtue de noir et de gris, les cheveux blancs-gris-sales aussi. Elle était dans un fauteuil roulant, pis un jour lui ont coupé une guibolle, elle est morte quelques années plus tard.
Son frangin, lui, c'était l'avorton de la portée. Paul avait dû tout bouffer. Le Jean, c'était un gringalet tout de traviole également, la gueule, le corps et peut-être l'esprit, il allait et venait sur un vieux solex et contrairement à son frangin, il tentait de s'habiller, des costumes sombres dans mon souvenir.
Quand on entrait chez lui, on arrivait dans la cuisine, un sol de briques rouges auréolées qui avait dû gondoler, parce qu'en dessous c'est l'argile de Bresse qui gonfle et dégonfle au gré des saisons. Derrière la large porte d'entrée en bois, il y avait son lit à lui. Au milieu de la pièce, la table sur laquelle traînaient toujours des verres Duralex avec le numéro au fond. Ce qui restait aussi au fond, c'était souvent des traces séchées de gros vin rouge qui ne tachait pas que ses Marcels à lui. Parfois, les verres restaient collés à la table, je pense d'une semaine sur l'autre. Quand il offrait a boire ou payait l'apéro, fallait bien réfléchir, est-ce qu'il reste de la pénicilline dans la pharmacie des parents?
Les sauss' étaient accrochés à la poutre au-dessus de la table, ceux-là, promis, il ne fallait pas manger la peau quand il vous taillait de grosses rondelles avec son opinel qu'il sortait de sa poche. On voyait quelques fois, une souris courir sur la poutre ou traverser la cuisine en direction des pièces d'à-côté (je n'y suis jamais entré.) Petits, nous on avait droit à de l'eau, les parents au rouge, mon eau avait souvent un vieux goût de rouge aussi, mais j'ai jamais rien dit.
En petit-fils de paysan, j'ai fait les foins avec lui et les autres vieux du coin, je devais avoir 11 ans environ, ils me mettaient au volant du tracteur, eux chargeaient et rangeaient les bottes. Comme il faisait chaud, fallait bien boire, on avait toujours un casier de 6 qui traînait à l'ombre d'un arbre en bordure du champ. Une de flotte très fraîche, deux de rosé, trois de rouge, on était cinq, enfin ils étaient quatre et un mioche. On buvait au goulot, chacun à son tours, j'avais droit au rosé et au rouge. C'est peut-être pour ça qu'un jour en fin de journée, alors qu'on finissait un champ, le char plein, en amorçant le virage serré pour quitter l'enclot, j'ai fait craqué contre le gros pneu cranté, le vieux timon en bois gris du char, sur lequel était encore perché, en haut des bottes, les deux vieux chargés du rangement. Bein, j'ai entendu gueuler, gentiment, mais j'ai entendu parler du pays. Ils me les ont donné quand même mes 50 francs.
Son gros tas de fumier, on en pouvait plus, vue directe depuis la cuisine de chez nous, tous les jours et à chaque repas. Une fois le chien, le nôtre, Belle un cocker, est revenu traînant derrière elle un long truc bizarre et dégueulasse. C'était une panse de vache, les restes qui entourent le veau et qui viennent s'écraser en grosse flaque gélatineuse et odorante à la mise-bas. Quand c'était pas ça ,de toute façon, elle revenait après s'être joyeusement roulée dans la bouse fraîche, si t'avais de la chance, tu le voyais avant de l'avoir caressée.
Il faisait aussi disparaître les carcasses, de ses vielles Renault 4 break au fond de la mare qui bordait le champ, une mare qui nous faisait peur plus tard, avec un copain. Au fond, devait pas y avoir que de la rouille, je pense que quelques vaches crevées ont du aussi aller piquer une tête. Enfin, j'imagine.
Il boitait, traînait sa grolle, je me rappelle plus d'où il tirait ça, les poils lui sortaient du nez, mais dans le fond, il était pas si méchant. Rustre, sale, un vieux-garçon comme on disait alors sous le manteau en le désignant du coin de l’œil, et l’œil dans leur famille, c’était le travers génétique, si je peux me permettre ce vilain trait d’esprit.
Bein, il a changé, et je dirais presque du tout au tout, quelques années plus tard. Quand il a pris sa retraite, qu'il a quitté sa vieille ferme pourrie, qu'il a emménagé à-côté de chez sa sœur, qui elle avait eu une vie un peu plus normale. On le croisait propre et souriant, la démarche toujours aussi cahotée. Aujourd'hui, il n'est plus de ce monde, mais j'ai découvert, que derrière son nom, ils ont rajouté "née Ancien d'Algérie". Mais ça, c’est un bout de sa vie que je ne connais pas.
Aldaron De Molégers- Humeur : Alternance de bleus au gris sombre, selon la météo environnante...
Re: Paul CHEVALON
Et bien, merci pour les présentations! Je suis enchantée!
Qu'elles descriptions...on voit cette famille défiler devant nous " en vrai ".Ce n'est pas très ragoutant mais c'est parfaitement décrit!
Un texte qu'on lit malgré tout en souriant et en frémissant.
Par ces temps de déconfinement, ils ne feront pas partie de ma bulle!
Bravo pour ton imagination débordante!
Qu'elles descriptions...on voit cette famille défiler devant nous " en vrai ".Ce n'est pas très ragoutant mais c'est parfaitement décrit!
Un texte qu'on lit malgré tout en souriant et en frémissant.
Par ces temps de déconfinement, ils ne feront pas partie de ma bulle!
Bravo pour ton imagination débordante!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: Paul CHEVALON
La voici actuellement, après la retraite de ce cher Paul, 2 jeunes, 2 frangins, avaient acheté le lot; terrain + champ + ferme pour pas cher... Ils ont passé 3 ans à retaper la ruine à la main, le soir après le travail, tous les weekends, ensuite, l'un des deux l'habitait, l'autre y stockait ses brocantes, depuis elle a été revendue après être restée 5/6 ans inoccupée.
Aldaron De Molégers- Humeur : Alternance de bleus au gris sombre, selon la météo environnante...
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum