A. Vers l'Ailleurs

Vers l'Ailleurs

Se souvenaient-ils encore du jour du départ ?
L'homme de la cabane  avait dit : — C'est pas compliqué, allez tout droit ! Toujours tout droit !
Elle avait demandé : — C'est loin ?
L'homme avait répondu : — La question n'est pas tellement de savoir si c'est loin mais combien de temps ça va vous prendre pour y arriver.

L'homme les avait regardés s'éloigner bras dessus bras dessous avec leur maigre bagage. Fallait-il qu'ils y croient encore ! Il s'était gratté la tête avant de rentrer dans sa cabane en maugréant sur le chat qui s'est encore fait les griffes sur le canapé délabré.
— Saloperie de bestiole !

Le lendemain l'homme ressortit vers la tombée du crépuscule. C'est l'heure où l'air devenait respirable. La route était toujours là, triste, morne, immobile, comme un défi. Il pensa :
— Je pense idiot. Comment la route pourrait-elle disparaître, pas plus que les collines d'ailleurs.

À propos des collines, enfin, ce qui ressemblait à des collines, l'homme se demandait s'il y avait encore quelque chose au-delà. D'autant que personne, jamais, ne venait vers lui de là-bas à l'ouest. Ils arrivaient tous du fond de la longue route rectiligne dont on ne voyait pas le début sur l'horizon, vers l'est.

Il y a trois jours, le chat avait encore fait des dégâts dans la cabane. L'homme pensa qu'il ferait mieux de le tuer :
—  Après tout, un civet de chat ça ne doit pas être si mauvais et puis par les temps  exceptionnels qu'il fallait affronter, plus question de faire le difficile.

Les jours suivants, l'homme pensa  que les voyageurs qui partaient «  là-bas »  se faisaient de plus en plus rares. D'ailleurs depuis ce couple original dont le type ressemblait à Charlot, il n'avait vu personne. Cela faisait plus d'une quinzaine.  Ils devaient être loin à présent.
— Enfin, s'ils ne sont pas morts de faim et de soif. Dans ce cas les rapaces ont eu de quoi se régaler.
Cette pensée, à la fois le fit frémir  et l'excita. Il marmonna :
— Ça commence à siphonner dans ma cervelle. J'ai des pensées peu catholiques et pas même orthodoxes.
Cela devenait inquiétant, lui qui s'était autoproclamé athée. Il se gratta la tête vigoureusement, à cause des poux.

L'homme n'arrivait pas à se décider. Quitter sa cabane ou non ? De toute façon le chat était mort, mais il n'avait pas pas eu le courage de le faire cuire. Il ne restait plus grand-chose dans les réserves. Le soleil était de plus en plus ardent, le sol de plus en plus brûlant. Il réalisa qu'il n'avait vu ni insectes ni oiseaux depuis bien longtemps.

Maintenant il était certain d'être le dernier. L'ultime. Alors il se mit nu, histoire que sa peau brûle plus vite sous ce soleil au zénith. Il se mit en route, vers les collines. Il était certain que la mort viendrait comme ce fut le cas pour tous les autres. En attendant il rêvait sur son chemin de pierres.

C'est un étrange texte plein de métaphores. Celle que je retiendrais serait celle de l'"ailleurs". Il y a toujours un ailleurs pour chacun, il n'est pas le même pour tout le monde. Ce vieil homme en aurait-il peur ? Comme s'il n'avait jamais quitté sa cabane et cela l'aurait rendu fou (au point de manger son chat). Pendant toute la lecture de ton texte, je m'imaginais sur la route 66 aux USA dans une de ces zones isolées et désolées, avec le vent chaud qui soulève la poussière, fait rouler les boules de broussailles desséchées et grincer les vieilles enseignes abandonnées. A la fin, je me demande si cette impression de fin du monde est née dans l'esprit malade du vieux fou ou bien si c'est la réalité.