A - Le banc blagueur

Mais enfin, laissez-moi tranquille, j’écris !

Voilà, c’est sorti ! Je ne sais pas à qui je viens de m’adresser, mais il arrive un moment où trop c’est trop, même pour quelqu’un qui s’efforce de rester zen.

Je vous explique. Ca fait un petit moment que je suis installée dans ce parc, mon carnet de notes sur les genoux à écrire tout et n’importe quoi, notamment les choses bizarres qui me passent par l’esprit. Je trouve cet exercice très libérateur, même si parfois, la main a du mal à suivre l’esprit.

Donc j’écris tranquillement lorsque je ressens comme un coup dans mon dos. Bon plongée dans mes pages je ne me retourne pas, probablement un passant qui ne faisait pas attention et qui s’est cogné dans mon banc. Je profite de cette brève interruption pour secouer ma main qui s’engourdit, trop crispée sur le stylo.

Je retourne ensuite à mes délires. Je mélange ma vie de tous les jours avec les idées d’histoires fantastiques qui parfois me traversent l’esprit. Je ne sais pas ce que j’en ferai mais, d’expérience, je sais que si je ne les note pas tout de suite, elles vont s’évaporer pour ne plus revenir et je serai frustrée.

Je suis donc en train de noircir du papier lorsqu’à nouveau mon banc bouge. Et flûte, il y a vraiment des gens qui marchent sans regarder où ils mettent les pieds. Bien décidée à ne pas m’énerver je fais celle qui n’a rien remarqué.

Problème, je suis sûre d’avoir entendu un petit rire. OK, donc ce n’était pas un accident, quelqu’un me cherche. Mais pas question d’entrer dans ce petit jeu. Je reste concentrée sur l’histoire qui est en train de germer sur mon carnet. Une histoire très étrange, avec un banc qui compare les fesses qui s’assoient sur lui (voir la consigne 554). Par moment je me demande ce qui me passe par la tête.

Une voix m’interpelle « Oui on se demande bien ! »

Mince aurais-je pensé tout haut et même dans ce cas, ça veut dire que quelqu’un est en train de lire par dessus mon épaule.

Je me retourne d’un bloc. Personne ! Non seulement je pense tout haut, mais en plus de perd la boule.

Sous moi, le banc se met à bouger et même à se gondoler. Il se passe quoi là ?

« Ben quoi, tu es en train de m’inventer une vie j’ai bien le droit d’intervenir non ? Je n’ai pas envie de passer pour un pervers ! »

Je me lève d’un bond et je fais face à mon banc. Je suis sûre que les planches de son assise s’incurvent dans un semblant de sourire et que ses rivets me font des clins d’oeil.

Paniquée, je prends mes jambes à mon cou, il faut que je prenne rendez-vous d’urgence avec mon psy. Derrière moi, j’entends le rire grinçant du bois, je franchis à toute allure la grille d’entrée du square, du coin de l’oeil j’en lis le nom « place des blagueurs ». Sûre et certaine je n’y remettrai pas les pieds !