A. L'interprète de ta vie

Chaque œuvre d’art est une lecture du monde. Je suis là plantée devant ma feuille blanche et je regarde ce canard réalisé à partir de fils de fer et de déchets divers et variés, les proportions sont justes et selon l’angle d’où je le regarde, les couleurs sont plutôt réalistes. De loin il me parait énorme mais plutôt plaisant à regarder. En m’approchant, je le trouve laid mais je ne peux m’empêcher à l’investissement de celui qui l’a réalisé. Est-ce de l’art, est-ce autre chose, je ne peux m’empêcher de penser au film, Le Goût des Autres avec BACRI et JAOUI.

Alors, je suis là et je me demande que dire, je n’ai pas envie de partir dans un texte argumentatif, dans une sorte de dissertation sur la notion d’art, d’œuvre d’art ni dans une critique acerbe de cette création ou de cette phrase, derrière une œuvre d’art, derrière une création même non aboutie il y a un être humain qui s’est investi, qui a douté, qui espère, qui a quelque chose à exprimer et cela je le respecte même si je n’adhère pas forcément à sa création.

Oui, mais alors que dire, qu’écrire puisque tout cela ne me laisse pas indifférente ?
En fait, cet incipit dont le rôle est de débuter un roman, ou à défaut un texte est là pour accrocher le lecteur telle la une d’un journal.
Et cette phrase me fait penser à toi, une œuvre d’art c’est toi, toi qui te maquille et te prépare le matin ou même plus tard, toi qui compose le tableau que tu souhaites présenter ce jour-là, à une personne en particulier ou aux inconnus qui croiseront ton chemin.

Oui tu composes ta tenue, ton maquillage comme une actrice choisit ses vêtements, ses accessoires et son maquillage pour tenir son rôle sur scène. Et en cela tu donnes à lire une interprétation de ton monde, et il est riche, il est subtil, souvent il m’est inconnu voire un peu hermétique.
Toi qui manie tes palettes de maquillage comme tu manies celles de tes aquarelles, mixant les couleurs de façon unique et parfois surprenante pour mes yeux non avertis, tu utilises des pinceaux dont les noms m’échappent et tu joues sur des nuances que mon œil d’amatrice ne saisit pas toujours. Je suis toujours fascinée quand je te regarde te maquiller, ça m’étonne et ça m’interpelle à chaque fois. Il y a tant de toi dans ces couleurs et dans ces gestes, une façon de te protéger et de t’exposer, une manière de te raconter et de taire tes émotions, d’exprimer les sentiments qui te dérangent ou de les masquer pour ne pas les abîmer. Il y a tout ce que je ne comprends pas, tes gestes légers qui virevoltent autour de ton visage gracieux m’émeuvent, les nuances que tu choisis ne me sont pas toujours perceptibles mais je saisis toute l’immensité de tes interrogations, de tes choix et de tes peurs, chaque couleur est un message que tu composes sur ton visage.

Ta recherche de la perfection, ton sens du détail qui te différencie à tes yeux, parfois ce sont les seuls à voir ce qui a pris tant de temps pour toi, autant de liens que tu tisses entre toi et les autres, autant d’éclatantes facettes que tu manies si aisément, autant de barrières que tu fabriques aussi.  Tu sais comme nulle autre trouver le bijou, le foulard, la ceinture qui rendront ta tenue unique, tes vêtements tu les interprètes, tu en composes un personnage, tu leur donnes vie et fait naître une histoire à chaque fois.

Oui l’œuvre d’art c’est toi, celle qui accompagnera ma vie pour toujours, celle qui vient me chercher là où je ne l’attends pas, celle qui m’ouvre des chemins inconnus, tu fais vibrer mon cœur bien sûr mais tu me bouscules, tu me déranges dans mes certitudes, tu m’émeus aux larmes et tu me fais rire.

Oui tu donnes ta lecture du monde dans tes gestes, dans tes make-up et dans tes choix vestimentaires, s’habiller et se maquiller sont pour toi, bien plus qu’une simple coquetterie, bien plus que le respect que tu te dois à toi-même et aux autres. C’est ainsi que tu incarnes ta vie, que tu mènes ton combat pour vivre tous les jours, ce n’est pas toujours facile d’en faire une œuvre d’art.

Il te faut beaucoup de courage pour exprimer avec justesse et ce que tu es, c’est d’autant plus difficile que tu es en perpétuel mouvement.
Tu es l’œuvre de ma vie et tu vis tous les jours le rôle de ta vie, en perpétuelle recherche esthétique et je t’admire pour cette énergie que tu y mets, pour ton besoin viscéral de vérité envers toi-même et envers les autres, pour ce sens de la beauté que tu portes en toi

J’ai beaucoup aimé ton texte.
D’abord avec cette phrase  : « Oui, mais alors que dire, qu’écrire puisque tout cela ne me laisse pas indifférente ? » J’ai pensé comme toi. Que l’effet provoqué par une oeuvre soit positif ou négatif, il est bien là. Pour ma part, je suis toujours bien en mal d’analyser une oeuvre, je ne peux que parler de l’émotion qu’elle suscite en moi. Toi, tu as su habilement détourner la consigne vers ce que la phrase évoquait pour toi et tu nous emmènes dans un portrait éblouissant, détaillé et plein d’amour de cette jeune-femme qui excelle dans l’art du maquillage et de l’habillement. On devine un être très cher, peut-être ta fille ?