A..Gilles, une histoire hors du commun...
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Amanda
Zephyrine
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A..Gilles, une histoire hors du commun...
Il y a quelques temps, grâce à la généalogie, mon mari a pu reconstituer l'histoire hors du commun de son quintaïeul, Gilles D.
La vie de cet homme m'a tellement émue que grâce à quelques recherches complémentaires, j'ai voulu raconter sa pauvre histoire dans un recueil d'une centaine de pages.
Je vous fait ici part du début de l'histoire.
***********************
PALISEUL 1832.
Je m'appelle Catherine Polidor. Assise au chevet de Gilles D., pâtre de la commune que j'ai hébergé il y a 6 ans, j'observe le pauvre bougre qui est maintenant gravement malade. Il a 56 ans et semble seul au monde.
Quand je lui demande s'il veut que je le laisse se reposer, il me répond :
- Non Catherine, si vous le permettez, je voudrais vous raconter mon histoire... Je vous préviens, elle n'est pas toute simple!
C'est ainsi que j'entends le récit de ce pauvre homme et je vais de surprises en surprises.
- Je suis né à Verviers en 1776 et dès mon adolescence, mon père m'a appris le métier de tisserand qu'il exerçe depuis toujours.
J'ai 5 frères et soeurs qui travaillent chez nous avec deux ouvrières et deux ouvriers. C'est au rez-de-chaussée humide de la maison familiale que nous passons nos journées, penchés sur les métiers à bras. Nous transformons le lin et le chanvre en étoffes que les femmes découpent en pièces de tissu.
Nous travaillons entre 14 et 16 heures par jour.
Au premier et au deuxième étage, des chambres assez petites permettent de loger la famille et les ouvriers et sous le toit une mansarde héberge la servante.
En 1800, j'ai 24 ans et mon père vient d'engager une nouvelle ouvrière. Elle s'appelle Jeanne, elle a 36 ans. Timide, elle rougit quand je croise son regard.
Un soir après le repas mon père me demande de rester près de lui et me dit :
- Gilles, tu as 24 ans, ne penses-tu pas à te marier? Notre nouvelle ouvrière n'a d'yeux que pour toi! Elle est jolie et travailleuse et avec ses larges hanches, elle nous ferait de beaux petits!
- Mais papa, elle a 12 ans de plus que moi!
- Quelle importance! Réfléchis mais ne traîne pas.
Je n'ai pas hésité longtemps. J'ai approché Jeanne avec mon plus beau sourire et je lui ai parlé mariage. Elle a de suite été d'accord, elle a seulement dit :
- Tu sais Gilles, je suis bien plus âgée que toi!
- Ca ne me dérange pas, j'ai répondu.
On a fixé la date du mariage, les bans ont été publiés sur la porte de la maison communale.
Le 28 janvier 1801, Jeanne serrait mon bras, elle était belle dans sa jolie robe blanche. Moi, je me tenais très droit dans mon beau nouveau costume et nous avons déclaré vouloir nous prendre mutuellement pour époux. L'officier de l'état civil nous a demandé de signer en bas de la page de l'acte qui nous déclarait mari et femme.
Jeanne a dit qu'elle ne savait pas écrire. Moi j'avais appris avec ma soeur chez le curé de la paroisse mais quand mon tour est venu de signer, je n'ai pas voulu vexer ma toute nouvelle femme et j'ai tracé une croix au bas de la page...
En 1806, tout le monde s'impatiente, nous sommes mariés depuis 5 ans et Jeanne n'est toujours pas enceinte. Au café du coin, les copains me demandent si je sais comment on fait les enfants!
Enfin! Au printemps, le ventre de Jeanne s'arrondit et toute la famille est dans la joie.
La grossesse se déroule bien. Je suis là en observateur, mal à l'aise à me demander ce que je dois faire...
Et puis...
Je n'oublierai jamais ce 11 décembre. Il était 5 heures du matin, j'étais déjà à l'atelier quand j'ai entendu Jeanne appeler depuis l'étage.
- Les eaux! Je suis en train de perdre les eaux!
J'ai crié à la servante d'aller chercher la sage-femme.
Le temps que celle-ci arrive, j'ai demandé à Jeanne si elle voulait que je reste près d'elle. Elle pleurait accroupie, regardant horrifiée le liquide verdâtre et épais qui se déversait sur le carrelage.
- C'est pas normal, Gilles, c'est pas normal, c'est beaucoup trop tôt! Répétait-elle en pleurant.
La sage-femme n'a pu que constater les dégâts car bientôt, l'enfant tout petit, le teint grisâtre est sorti du ventre de ma femme.
L'accoucheuse a pris le bébé et l'a dissimulé tant bien que mal.
Jeanne avait compris...
- Il est mort, je sais qu'il est mort, a t'elle crié.
- Elle est morte, Jeanne, c'était une petite fille.
J'ai pris ma femme dans mes bras mais elle m'a repoussé en disant :
- Eloigne toi, Gilles! J'ai pas donné la vie, j'ai donné la mort!
Puis elle m'a tourné le dos et je ne trouvais pas les mots pour la réconforter...
Catherine, comment dit-on à sa femme qu'on est perdu, comment dit-on qu'on n'était pas préparé à un tel malheur?
Plus tard, je suis allé à la maison communale pour présenter le bébé comme le veut la loi avec un ouvrier de papa comme témoin. Il avait gelé, je tenais ma fille dans les bras. Elle était emmaillotée et enroulée dans une couverture. Maman lui avait posé un joli bonnet en dentelles sur la tête.
L'officier de l'état civil a voulu constater qu'il s'agissait bien d'un enfant mort-né. Il m'a semblé qu'il regardait le petit visage d'un air dégoûté. Il a accepté qu'on n' enlève pas les langes.
Nous n'avons pas pu enterrer le petit corps dans le cimetière : le bébé n'avait pas été baptisé et n'avait pas droit à une sépulture chrétienne. On l'a enterré dans une fosse commune.
Est-ce bien normal, Catherine?
Le Bon Dieu, il est comme ça? Il ne voulait pas d'une petite fille morte-née dans son paradis?
Je n'ai rien dit, j'étais résigné...
***************************************
Ainsi s'achève le premier chapître de l'histoire de Gilles. Il connaitra beaucoup de changements dans sa vie. J'en raconte les détails dans les chapîtres suivants.
Il aura 9 enfants de 3 mariages. 7 sont morts peu de temps après la naissance et une fille à l'âge de 13 ans;
Un des deux enfants vivants, Mathieu, est le quadrisaïeul de mon mari.
Le 14 juin 1832, Gilles est décédé chez Catherine Polidor, seul abandonné de tous.
Un témoin signera l'acte de décès déclarant GillesD. pâtre, célibataire (!!!)...
La famille, dont son fils Mathieu, ne sera informée de son décès qu'un an plus tard.
La vie de cet homme m'a tellement émue que grâce à quelques recherches complémentaires, j'ai voulu raconter sa pauvre histoire dans un recueil d'une centaine de pages.
Je vous fait ici part du début de l'histoire.
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PALISEUL 1832.
Je m'appelle Catherine Polidor. Assise au chevet de Gilles D., pâtre de la commune que j'ai hébergé il y a 6 ans, j'observe le pauvre bougre qui est maintenant gravement malade. Il a 56 ans et semble seul au monde.
Quand je lui demande s'il veut que je le laisse se reposer, il me répond :
- Non Catherine, si vous le permettez, je voudrais vous raconter mon histoire... Je vous préviens, elle n'est pas toute simple!
C'est ainsi que j'entends le récit de ce pauvre homme et je vais de surprises en surprises.
- Je suis né à Verviers en 1776 et dès mon adolescence, mon père m'a appris le métier de tisserand qu'il exerçe depuis toujours.
J'ai 5 frères et soeurs qui travaillent chez nous avec deux ouvrières et deux ouvriers. C'est au rez-de-chaussée humide de la maison familiale que nous passons nos journées, penchés sur les métiers à bras. Nous transformons le lin et le chanvre en étoffes que les femmes découpent en pièces de tissu.
Nous travaillons entre 14 et 16 heures par jour.
Au premier et au deuxième étage, des chambres assez petites permettent de loger la famille et les ouvriers et sous le toit une mansarde héberge la servante.
En 1800, j'ai 24 ans et mon père vient d'engager une nouvelle ouvrière. Elle s'appelle Jeanne, elle a 36 ans. Timide, elle rougit quand je croise son regard.
Un soir après le repas mon père me demande de rester près de lui et me dit :
- Gilles, tu as 24 ans, ne penses-tu pas à te marier? Notre nouvelle ouvrière n'a d'yeux que pour toi! Elle est jolie et travailleuse et avec ses larges hanches, elle nous ferait de beaux petits!
- Mais papa, elle a 12 ans de plus que moi!
- Quelle importance! Réfléchis mais ne traîne pas.
Je n'ai pas hésité longtemps. J'ai approché Jeanne avec mon plus beau sourire et je lui ai parlé mariage. Elle a de suite été d'accord, elle a seulement dit :
- Tu sais Gilles, je suis bien plus âgée que toi!
- Ca ne me dérange pas, j'ai répondu.
On a fixé la date du mariage, les bans ont été publiés sur la porte de la maison communale.
Le 28 janvier 1801, Jeanne serrait mon bras, elle était belle dans sa jolie robe blanche. Moi, je me tenais très droit dans mon beau nouveau costume et nous avons déclaré vouloir nous prendre mutuellement pour époux. L'officier de l'état civil nous a demandé de signer en bas de la page de l'acte qui nous déclarait mari et femme.
Jeanne a dit qu'elle ne savait pas écrire. Moi j'avais appris avec ma soeur chez le curé de la paroisse mais quand mon tour est venu de signer, je n'ai pas voulu vexer ma toute nouvelle femme et j'ai tracé une croix au bas de la page...
En 1806, tout le monde s'impatiente, nous sommes mariés depuis 5 ans et Jeanne n'est toujours pas enceinte. Au café du coin, les copains me demandent si je sais comment on fait les enfants!
Enfin! Au printemps, le ventre de Jeanne s'arrondit et toute la famille est dans la joie.
La grossesse se déroule bien. Je suis là en observateur, mal à l'aise à me demander ce que je dois faire...
Et puis...
Je n'oublierai jamais ce 11 décembre. Il était 5 heures du matin, j'étais déjà à l'atelier quand j'ai entendu Jeanne appeler depuis l'étage.
- Les eaux! Je suis en train de perdre les eaux!
J'ai crié à la servante d'aller chercher la sage-femme.
Le temps que celle-ci arrive, j'ai demandé à Jeanne si elle voulait que je reste près d'elle. Elle pleurait accroupie, regardant horrifiée le liquide verdâtre et épais qui se déversait sur le carrelage.
- C'est pas normal, Gilles, c'est pas normal, c'est beaucoup trop tôt! Répétait-elle en pleurant.
La sage-femme n'a pu que constater les dégâts car bientôt, l'enfant tout petit, le teint grisâtre est sorti du ventre de ma femme.
L'accoucheuse a pris le bébé et l'a dissimulé tant bien que mal.
Jeanne avait compris...
- Il est mort, je sais qu'il est mort, a t'elle crié.
- Elle est morte, Jeanne, c'était une petite fille.
J'ai pris ma femme dans mes bras mais elle m'a repoussé en disant :
- Eloigne toi, Gilles! J'ai pas donné la vie, j'ai donné la mort!
Puis elle m'a tourné le dos et je ne trouvais pas les mots pour la réconforter...
Catherine, comment dit-on à sa femme qu'on est perdu, comment dit-on qu'on n'était pas préparé à un tel malheur?
Plus tard, je suis allé à la maison communale pour présenter le bébé comme le veut la loi avec un ouvrier de papa comme témoin. Il avait gelé, je tenais ma fille dans les bras. Elle était emmaillotée et enroulée dans une couverture. Maman lui avait posé un joli bonnet en dentelles sur la tête.
L'officier de l'état civil a voulu constater qu'il s'agissait bien d'un enfant mort-né. Il m'a semblé qu'il regardait le petit visage d'un air dégoûté. Il a accepté qu'on n' enlève pas les langes.
Nous n'avons pas pu enterrer le petit corps dans le cimetière : le bébé n'avait pas été baptisé et n'avait pas droit à une sépulture chrétienne. On l'a enterré dans une fosse commune.
Est-ce bien normal, Catherine?
Le Bon Dieu, il est comme ça? Il ne voulait pas d'une petite fille morte-née dans son paradis?
Je n'ai rien dit, j'étais résigné...
***************************************
Ainsi s'achève le premier chapître de l'histoire de Gilles. Il connaitra beaucoup de changements dans sa vie. J'en raconte les détails dans les chapîtres suivants.
Il aura 9 enfants de 3 mariages. 7 sont morts peu de temps après la naissance et une fille à l'âge de 13 ans;
Un des deux enfants vivants, Mathieu, est le quadrisaïeul de mon mari.
Le 14 juin 1832, Gilles est décédé chez Catherine Polidor, seul abandonné de tous.
Un témoin signera l'acte de décès déclarant GillesD. pâtre, célibataire (!!!)...
La famille, dont son fils Mathieu, ne sera informée de son décès qu'un an plus tard.
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
Captivant ton récit ! A peine croyable de nos jours !
Tu me laisseras lire la suite ?
Tu me laisseras lire la suite ?
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
Merci Amanda, je te passerai le petit livret quand tu n'auras vraiment plus rien à lire d'autre!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
Mais tu passes avant sur ma pile !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
Quel récit émouvant surtout quand on sait qu'il est réel. Quelle chance d'avoir autant de détails dans une généalogie! J'ai beaucoup aimé te lire.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
Captivant et émouvant retour dans le passé. Une vie, un destin, tumultueux et dramatique qui forge ton ancêtre en vrai personnage. Passionnant à lire.
Virgul- Humeur : Optimiste
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
La fosse commune parce que pas baptisé, mais quelle horreur !
Je vois que tu as plein de matière pour écrire encore et encore, alors ne te décourage pas, c’est vraiment bien ce que je lis la
Je vois que tu as plein de matière pour écrire encore et encore, alors ne te décourage pas, c’est vraiment bien ce que je lis la
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Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A..Gilles, une histoire hors du commun...
Monstrueux le sort réservé à ces enfants morts-nés, comme s'ils n'étaient pas innocents de tout ! Magnifiquement racontée ce moment de vie de ton ancêtre.
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Martine27
Martine27- Humeur : Carpe diem ou Souris quand même
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