A- rendre visible l’invisible
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A- rendre visible l’invisible
Je ne sais ni son nom ni son prénom. Ni même son âge.
Elle vit à la campagne, dans une maison remplie de souvenirs et d’objets amassés au fil des années. Elle se dit heureuse, bien que, précise-t-elle, le bonheur ça n’existe pas vraiment. Ce sont juste des instants fugaces qu’il faut attraper à la volée au cours d’une journée. Une fleur que l’on cueille, la fraîcheur de l’eau du puits, un chant d’oiseau, l’odeur des feuilles séchées, le bruit qu’elles font lorsqu’on marche dessus. Un cheval curieux qui s’approche tout au bord du pré, une coccinelle qui vient se poser sur sa main.
La tendresse elle la trouve auprès des peluches sagement alignées sur un canapé. Ils ont les yeux si doux que les presser un moment dans ses bras lui font oublier qu’elle n’est qu’une pierre qui roule d’un côté de la vie à l’autre.
Son fils vient la visiter une fois par semaine. Il mange en silence sur la table de la salle à manger désencombrée le temps du repas. Il mange en silence pendant qu’elle monologue. Elle a besoin de parler. Elle dit que ce n’est pas grave s’il ne l’écoute pas, sa présence seule lui suffit et elle n’a pas l’impression de parler dans le vide. Après le repas il l’amène faire ses courses. Elle ne conduit pas et vit loin du village.
Lorsque son fils s’en va, elle le regarde s’éloigner par la fenêtre en lui faisant un signe de la main. Il ne se retourne jamais mais elle le fait quand même au cas où un jour il s’arrête et se tourne enfin pour lui faire à son tour un signe de la main.
Elle faisait ainsi lorsque sa mère partait faire des courses, la laissant au milieu de ses poupées pour quelques heures. Son père n’était jamais bien loin, dans la remise à réparer le tracteur, ou dans le champ tout proche à soigner les vaches.
Elle le faisait aussi lorsque son mari partait au travail, puis lorsque ses enfants prenaient le chemin de l’école.
Ella a vu mourir l’un de ses fils, soulagée qu’enfin cesse ses souffrances. Elle ne croit pas en Dieu alors elle n’a pas prié pour qu’il s’en aille, elle a juste espéré que le calvaire cesse et il a cessé. Elle l’a regardé fermer les yeux et s’endormir à jamais en lui tenant fermement la main pour qu’il ait moins peur puis elle a essayé de retenir ses larmes, pour ne pas inquiéter son autre fils qui attendait dans la pièce d’à côté.
Depuis la mort de son aîné, rien n’a bougé dans cette chambre où il a passé sa dernière nuit. Et chaque jour elle vient ouvrir et fermer les volets comme si la vie ne s’était pas arrêtée cette nuit-là. Et ça fera bientôt quinze ans.
Elle n’est pas seule dit-elle, elle a accumulé tant de souvenirs qu’il ne lui suffira pas d’une vie pour tous les faire revivre.
Et quand la solitude lui pèse vraiment, elle sort un cahier bien caché sous son matelas et elle écrit. Elle écrit comme elle parle. Elle écrit sur tout et sur rien, sur le temps qu’il fait, sur le bois à rentrer, le repas à prévoir le jour où son fils viendra la visiter.
Elle écrit sur ce cahier comme elle parle et l’espace d’un moment il devient son confident.
Je ne sais ni son nom ni son prénom ni même son âge.
Elle vit à la campagne, dans une maison remplie de souvenirs, entourée des fantômes du passé. Elle se dit presqu’heureuse et parfois je la crois.
—————————-
Ce texte a été écrit à la fin de mon marathon qui fut, comme chaque année intense et libérateur.
Je n’ai pas terminé de lire et de commenter les autres marathons mais il en ressort que je prends beaucoup de plaisir à retrouver des participants qui ne viennent plus que rarement ici. Et j’ai lu des choses formidables, des textes poignants, tendres, sincères . Bref si le,marathon n’existait pas, il faudrait l’inventer
Elle vit à la campagne, dans une maison remplie de souvenirs et d’objets amassés au fil des années. Elle se dit heureuse, bien que, précise-t-elle, le bonheur ça n’existe pas vraiment. Ce sont juste des instants fugaces qu’il faut attraper à la volée au cours d’une journée. Une fleur que l’on cueille, la fraîcheur de l’eau du puits, un chant d’oiseau, l’odeur des feuilles séchées, le bruit qu’elles font lorsqu’on marche dessus. Un cheval curieux qui s’approche tout au bord du pré, une coccinelle qui vient se poser sur sa main.
La tendresse elle la trouve auprès des peluches sagement alignées sur un canapé. Ils ont les yeux si doux que les presser un moment dans ses bras lui font oublier qu’elle n’est qu’une pierre qui roule d’un côté de la vie à l’autre.
Son fils vient la visiter une fois par semaine. Il mange en silence sur la table de la salle à manger désencombrée le temps du repas. Il mange en silence pendant qu’elle monologue. Elle a besoin de parler. Elle dit que ce n’est pas grave s’il ne l’écoute pas, sa présence seule lui suffit et elle n’a pas l’impression de parler dans le vide. Après le repas il l’amène faire ses courses. Elle ne conduit pas et vit loin du village.
Lorsque son fils s’en va, elle le regarde s’éloigner par la fenêtre en lui faisant un signe de la main. Il ne se retourne jamais mais elle le fait quand même au cas où un jour il s’arrête et se tourne enfin pour lui faire à son tour un signe de la main.
Elle faisait ainsi lorsque sa mère partait faire des courses, la laissant au milieu de ses poupées pour quelques heures. Son père n’était jamais bien loin, dans la remise à réparer le tracteur, ou dans le champ tout proche à soigner les vaches.
Elle le faisait aussi lorsque son mari partait au travail, puis lorsque ses enfants prenaient le chemin de l’école.
Ella a vu mourir l’un de ses fils, soulagée qu’enfin cesse ses souffrances. Elle ne croit pas en Dieu alors elle n’a pas prié pour qu’il s’en aille, elle a juste espéré que le calvaire cesse et il a cessé. Elle l’a regardé fermer les yeux et s’endormir à jamais en lui tenant fermement la main pour qu’il ait moins peur puis elle a essayé de retenir ses larmes, pour ne pas inquiéter son autre fils qui attendait dans la pièce d’à côté.
Depuis la mort de son aîné, rien n’a bougé dans cette chambre où il a passé sa dernière nuit. Et chaque jour elle vient ouvrir et fermer les volets comme si la vie ne s’était pas arrêtée cette nuit-là. Et ça fera bientôt quinze ans.
Elle n’est pas seule dit-elle, elle a accumulé tant de souvenirs qu’il ne lui suffira pas d’une vie pour tous les faire revivre.
Et quand la solitude lui pèse vraiment, elle sort un cahier bien caché sous son matelas et elle écrit. Elle écrit comme elle parle. Elle écrit sur tout et sur rien, sur le temps qu’il fait, sur le bois à rentrer, le repas à prévoir le jour où son fils viendra la visiter.
Elle écrit sur ce cahier comme elle parle et l’espace d’un moment il devient son confident.
Je ne sais ni son nom ni son prénom ni même son âge.
Elle vit à la campagne, dans une maison remplie de souvenirs, entourée des fantômes du passé. Elle se dit presqu’heureuse et parfois je la crois.
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Ce texte a été écrit à la fin de mon marathon qui fut, comme chaque année intense et libérateur.
Je n’ai pas terminé de lire et de commenter les autres marathons mais il en ressort que je prends beaucoup de plaisir à retrouver des participants qui ne viennent plus que rarement ici. Et j’ai lu des choses formidables, des textes poignants, tendres, sincères . Bref si le,marathon n’existait pas, il faudrait l’inventer
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Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A- rendre visible l’invisible
Une vie tellement bien décrite. ..
Âgée et seule cette dame s' entoure de souvenirs et comme tu le dis de fantômes qui l'aident à vivre.
Spécialement en cette période difficile, il y a de quoi réfléchir à la condition de certaines personnes qui se disent "presqu'heureuses".
Vraiment un très beau texte!
Âgée et seule cette dame s' entoure de souvenirs et comme tu le dis de fantômes qui l'aident à vivre.
Spécialement en cette période difficile, il y a de quoi réfléchir à la condition de certaines personnes qui se disent "presqu'heureuses".
Vraiment un très beau texte!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A- rendre visible l’invisible
Beaucoup de tendresse pour une dame chez qui les souvenirs, l'écriture et un certain regard sur la vie offrent une certaine sérénité. Comme si elle admettait sa vieillesse mais sans capituler. Un beau texte.
Virgul- Humeur : Optimiste
Re: A- rendre visible l’invisible
Voilà un autre aspect du bonheur tel que tu le décris !
J'ai lu ton marathon, cette année tu as fait un melting pot de textes personnels et d'autres comme celui-ci .
Mais toujours, toujours ton marathon est intéressant et touchant !
J'ai lu ton marathon, cette année tu as fait un melting pot de textes personnels et d'autres comme celui-ci .
Mais toujours, toujours ton marathon est intéressant et touchant !
Amanda- Humeur : positivement drôle
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