A. Épisodes de vie

Épisodes de vie

C'est le jour du départ. La route sera longue lui a-t-on dit, mais elle préfère ne pas écouter les décourageants de service. Parce que ceux qui disent ça, ce sont des vieux, des gens qui ont au moins 40 ans. Ils ont ce ton condescendant des personnes qui croient tout connaître dans tous les domaines, mais ils ont à peine la connaissance d'une fourmi dans l'univers. Alors, leurs mises en garde, la petite, elle s'en moque totalement. D'ailleurs elle espère bien que la route sera longue. C'est plutôt bon signe. Elle est au début de son âge. La vie ne fait que commencer et elle en bénéficiera de toutes les surprises.


C'est le jour du départ. Le jour de naissance, pas celui où elle est sortie du ventre d'une femme inconnue vis-à-vis de laquelle elle sera toujours reconnaissante, mais le jour où elle décide que sa vie sera sa vie, pas celle d'une autre. Uniquement la sienne pour toujours. C'est ce matin-là qu'elle a surgi à l'existence, lorsqu'il a été question de s'en aller vers ailleurs. De prendre ses modestes affaires, sa boîte de sparadrap pour les écorchures inévitables, son baluchon dans lequel elle avait mis son désir de vivre.

C'est le jour du départ. L'avenir est ouvert, même à la petite orpheline lâchement abandonnée qui a très vite appris à se débrouiller par elle-même. Aussi la voilà avec une confiance inébranlable. Du moins le croit-t-elle en cet instant.

C'est le jour de l'arrivée. Il y a toujours un moment où il faut arriver quelque part. Et là tout à coup une immense déception l'envahit à lui couper le souffle.  Respire petite, ce n’est qu’un chapitre, ce n’est pas toute ton histoire.
Elle croyait être reçue bras ouverts. Au long de la route elle avait imaginé un monde qu'elle avait construit savamment dans sa petite tête d'optimiste. Un monde merveilleux, accueillant. Là-bas il y avait certainement quelqu'un qui l'attendait. Elle en avait la certitude intérieure. N'avait-elle pas ramassé en chemin ce cailloux blanc qui à présent ne quittait pas le fond de sa poche, qu'elle serrait dans son petit poing. Comme un talisman.


C'est le jour du souvenir. Elle vient de fêter ses 40 ans. Elle regarde par la fenêtre de son immense bureau de direction au 42e étage de cette tour imposante qui domine le quartier d'affaires. Elle parle au téléphone avec le PDG d'une multinationale. C'est du sérieux, le contrat porte sur 26 millions de dollars. Elle vient de commencer un nouveau chapitre de sa vie. Finalement ils n'avaient pas tort, la route a été longue, mais la voici au sommet. Sur son bureau, conçu spécialement pour elle par un célèbre designer, une petite boîte de sparadrap et un caillou blanc. Souvent on lui demande de quoi il s'agit. « Souvenirs personnels » répond-elle énigmatique. Et sur l'autre coin du bureau un exemplaire de « Forbes ». Elle y figure en couverture, large sourire sur des dents éclatantes. « La manager de l'année ».

Ce n'est toujours qu'un chapitre pense-t-elle, ce n'est pas toute mon histoire.

Le caillou et le sparadrap comme porte bonheur sont les fils conducteurs de ces tranches de vie
Deux parties en contraste, le lecteur doit deviner le reste
Bien amené ce texte ouvert
Pour une fois aussi une belle histoire à la Marc Levy ou Guillaume Musso. Mais les vacances sont là tu as le droit !

A part le dernier paragraphe, j'ai pense a Le Cleziot. Il est tout tendre ce texte.

A chaque épisode du déroulement de cette vie on devine une petite fille prête à mordre la vie à pleine dents, puis la jeune fille avec ses désillusions, la jeune femme qui garde la tête froide et sa lucidité et toutes ces épreuves qui ont forgé son caractère et l'ont menée à la réussite. Un joli parcours raconté avec pudeur.

Bravo Alain pour cette histoire d'enfant qui s'en va vers demain , qui réussit professionnellement mais veut toujours aller plus haut, un bel exemple .