A : D’un pirate aux bulles de savon.

Et moi qui dis que vous rêvez, je suis aussi en rêve. Les yeux ouverts ou fermés, le cœur battant ou l’esprit clair, je ne puis m’empêcher de laisser mes songes m’emporter sans me faire dériver. Ahhhh ! Mais si certains d’entre vous rêvent de grandeur et de gloire, moi ce qui déferle sans contrôle, c’est la découverte, le fantastique, sous le regard. J’ai beau essayer de tirer les rennes, de prendre la barre mais rien y fait, je n’ai aucun contrôle, juste le cœur pour profiter et les yeux, pourrais-je dire, pour voir.

J’ai d’ordinaire les idées un peu étranges, à la dérive, saugrenues, et aux rencontres le plus souvent inattendues, un peu tirées par les cheveux, voir farfelues. C’est pourtant bien ma tête, je vous le dis, mais mon esprit se joue toujours de moi, me fait des tours, me rend chèvre jusqu’à en perdre le nord, au-delà de toute logique et me faire croire, après tout, que tout vient de moi. Comme je l’ai dit, mon esprit est sans contrôle, rien n’y fait, c’est lui qui dicte, dirige et se marre.

Que voulez-vous ? Mes pensées n’en font qu’à leur tête. Du spectateur, je passe au héros, au prédicateur, qu’importent les lieux, les époques, les conditions. La nuit dernière, un t-rex était mon animal de compagnie et celle d’avant, j’étais un philosophe prédisant des catastrophes. Je me suis aussi retrouvé entouré de mort-vivants qui en voulaient à ma chair ou pourchassé par Dracula ne désirant que mon sang ! Heureusement, chaque nuit est sans pareille et l’une d’elle, dernièrement est celle que je préfère.

Maître de bord, suivant l’horizon, cheveux aux vents, je naviguais sur un bâtiment au nom ronflant : le Calme Terrifiant. Cela reste un rêve mais sous mes voiles, petites et grandes, mon destrier aux plusieurs mâts me faisait goûter à la liberté, à l’air marin, aux embruns. Cela fait plusieurs fois déjà que, grâce à lui, je me rends maître des vagues, que je navigue par delà les océans, aux confins du monde tant que le rhum coule à flots et que de mes cales il s’en écoule sans que mes stock ne prennent fin.

J’aime rêver sauver ma reine d’un pirate autre que moi, sabordant son misérable navire qui après tout ne fait pas le poids. La délivrer des mains du Kraken ou m’attendant nageant au sein des sirènes, toujours je l’espère à m’attendre, il n’y a qu’elle qui compte pour moi. Et quand la voilà dans mes bras, soulagée, délivrée de ces brigands sans fois ni lois ou d’un danger quel qu’il soit, je ne peux lui refuser qu’elle me serre et m’embrasse, cheveux aux vents et barre sous nos doigts.

Entre temps, je barre sur des eaux calmes. Je me risque sur les fortes houles. Je défie les tempêtes aux creux de dix mètres et je rouspète aux marins qui me tiennent tête. C’est moi le capitaine, le maître à bord et si ce n’est les caprices de mes rêves, c’est moi qui dirige et qui décide. Nous appareillons, nous abordons mais quand critique devient la situation, je me laisse bercer par mes pensées et je parviens, le temps d’un instant à m’échapper de ces moments peu triomphants pour venir prendre la barre d’une gondole sur un canal vénitien.

De grand capitaine me voila marin d’eau douce. Ce n’est guère une punition ou une tare que de rompre les amarres pour une barque, loin du tumulte de la grande mer, pour des cœurs s’unissant. Je les promène alors, fredonnant sur cette huile entourée de ruelles et de ponts, de palais, de maisons et naguère d’intrigues, de frissons. Les amoureux s’enchaînent jusqu’à ce que ma belle, enfin, apparaisse à nouveau, ne revienne mettre pieds dans mon embarcation, ce si petit bâtiment. Et rien que pour elle, je rame, je navigue au grès du faible courant et de douces chansons.

Je chantonne, je joue des mélodies sous des bulles de savon où dans chacune résonnent des notes que nous sommes seuls à entendre. Pourtant bien avancé, dans ce rêve, le jour peine encore à se coucher mais les étoiles naissantes, comme un spectacle nous étant réservé, étincellent dans le ciel à chacun de nos baisers. Il est des rêves qu’on aimerait guère s’arrêter mais il en va ainsi, c’est normal, sinon comment les apprécier. Et à chaque réveil, lorsque la nuit s’achève et que l’on découvre et savoure la présence de notre belle encore endormie à nos côtés, ce n’est qu’un autre rêve, celui-là bien réel, qui nous anime et sourit.