A - Zelda, Miette et la chatte jalouse

L’un et l’autre  ne sauraient  expliquer comment était née  leur relation soutenue.  Le piaf  allait et venait, vaquant à ses occupations d’oiseau fureteur. Grattant ici et  là, recherchant quelque succulent  vermisseau ou graine comestible, ne négligeant point à la saison  de grignoter  quelque cerise  ou picorer une figue ceci en concurrence  avec le frelon. La concurrence n’était pas déloyale parce qu’ils avaient organisé  un tour de garde du figuier qui, pas pingre pour deux sous, mettait  sa production à disposition  de toutes et tous  les amateurs.

Parmi ceux-ci, il y  avait, cette année-là, Yvette qui s’était  baptisée d’un deuxième prénom lui paraissant  moins désuet. Pour ses  proches, elle était Miette. Miette l’insouciante, qui aimait se poser  sur la marche d’escalier  de la resserre  dans laquelle  Anselme, maître des lieux, enfermait  les fruits et légumes tirés  de son  jardin où voisinaient pèle-mêle fraisiers, pruniers et autres pommiers.  Le figuier quant à lui, à cause de  son imposante envergure, avait été   relégué  sur le talus où  son branchage  anarchique  pouvait  s’étaler sans  encombre.

Parce qu’elle  adorait surfer  sur The Wind Waker, son jeu vidéo préféré, Miette  surnommait   son piaf préféré du sobriquet de  Zelda.  Le piaf avait déduit des séjours fréquents  de Miette sur la marche d’escalier qu’il y  avait certainement  quelques miettes à gratter de ce côté-là.  S’enhardissant, par sautillements prudents, il se rapprocha de Miette, sa tasse fumante de chocolat chaud et sa réserve de madeleines.  Parce que dans sa tête de piaf, Zelda  devinait que la friabilité de la madeleine se traduirait par la chute de quelques miettes dont il se régalerait.

Miette, généreuse et compatissante à souhait, interpréta le message  exigeant d’un partage plus équitable. De la resserre de l’Anselme, elle extirpa une mini tablette  susceptible  d’accueillir un bol  lui-même enchanté de contenir une madeleine émiettée dont  le Zelda  se délecterait.

C’est ainsi que naquit la relation soutenue Miette  Zelda , chacune et chacun   jouant de sa partition
Zelda  et  ses trilles *  ravissait Miette, ainsi récompensée de sa générosité.

Hélas, il en était  une qui n’appréciait  pas cette idylle  dont  on l’excluait sans vergogne.  Ophélia, la chatte  du logis, peu  partageuse s’il en est,  voyait en Zelda  un rival lui disputant l’amour de Miette dont elle considérait avoir droit  à l’exclusivité.  

Attendant son heure, tapie sous le figuier, Ophélia   se pourléchait déjà  du déjeuner  qui l’attendait. Le piaf, alourdi par l’excès  de miettes de madeleines, n’échapperait  pas à son adroit coup de patte.

Tout n’était cependant pas écrit d’avance … Fut-ce en raison  de l’épuisement du stock de madeleines, de la lassitude de Miette pour ses pauses escalier, à moins que  Zelda  eut enfin cédé aux avances  de Minot, piaf du voisinage et convolé en justes noces ? Toujours est-il que le mini guéridon regagna ses pénates, le bol son placard et  ce fut la fin des rencontres Miette Zelda au grand dam d’Ophélia  voyant ainsi  disparaître un si bon déjeuner, mais en compensation retrouvant les genoux de sa maîtresse sur lesquels il faisait si bon ronronner.