A. Jeunesse retrouvée
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automne
Amanda
Sherkane
Myrte
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A. Jeunesse retrouvée
J’ai travaillé pendant toute ma vie à l’atelier de confection, rue des chapeliers. Nous étions une vingtaine de petites mains, assises à notre table, la tête penchée sur l’ouvrage devant notre machine avec, chacune, notre spécialité. Moi, j’étais couturière au poste des bonnets pour soutiens-gorges. J’ai appris mon métier toute jeune sur le tas. On entendait, toute la journée, le ronron des machines à coudre. A la fin de la journée, lorsqu’elles s’arrêtaient, je gardais leur bourdonnement dans les oreilles. On se retrouvaient, quelques-une au café chez Momo, celles qui n’avaient pas de mari ni d’enfants qui les attendaient à la maison comme moi. On n’avait pas envie de rentrer chez nous tout de suite. On se racontait nos soucis devant un verre avant de prendre notre bus. Momo nous aimait bien. Souvent, il venait s’asseoir avec nous et nous racontait des blagues qui nous faisaient rire.
Maintenant, je suis à la retraite. L’atelier a fermé. Son rideau est définitivement baissé. La rue des chapeliers n’est qu’un alignement de rideaux baissés. Certains ont rouillé, la plupart sont targués. Y a-t-il eu un jour des chapeliers ? Je ne les ai jamais connus.
Je continue à prendre tous les jours le bus numéro huit et je vais chez Momo. J’en ai besoin, sinon je ne vois personne. J’y retrouve les gens du quartier qui me sont familiers et Momo, toujours là, fidèle au poste, devant son percolateur, le torchon sur l’épaule, à servir des petits blancs ou des petits rouges. Il dit depuis longtemps qu’il va s’arrêter lui aussi, baisser son rideau et qu’on pourra appeler la rue : rue des rideaux baissés, mais chaque matin, la première chose qu’il fait c’est de lever ce foutu rideau qui grince et la vie continue. Il dit que s’il s’arrête, il va mourir. Il n’a jamais rien fait d’autre. Pourtant il a des rêves, il aurait aimé voyager. Il a même un vieux scooter qui prend la poussière dans son garage. Il me demande si je partirais avec lui.
- Pourquoi pas ? Je lui dis, je ne suis jamais partie en voyage moi non plus.
Alors Momo me propose de faire un tour dimanche prochain et je dis oui.
Je l’ai rejoint très tôt le matin. Il a sorti le scooter qu’il avait astiqué.
- Tu as un casque pour moi ? je lui demande.
Il me répond : - je n’en ai pas pour moi.
On est monté sur l’engin et il a démarré. Le moteur faisait un bruit de vieilles casseroles et avançait poussivement. Ça sentait la vieille huile. Les rues étaient désertes, j’ai pensé qu’on allait réveiller tout le quartier. Momo est sorti de la ville, on a longé la voix ferrée et là, le moteur a eu l’air de se débrider. Le scooter semblait s’envoler, Momo tenait son béret sur sa tête. La vitesse nous grisait, nous avions rajeuni. J’avais les cheveux dressés dans le vent et c’était bon. Quelques passants s’arrêtaient interloqués pour nous regarder et ça nous faisait rire. Je les saluais de la main. J’entendais une petite voix dans ma tête qui me disait : Vous êtes fous à votre âge ! Et je lui répondais : et alors ?
Momo m’a crié : Allez je t’amène à Marseille, nous y mangerons une bouillabaisse !
Je lui ai répondu : Chiche !
Et la petite voix a dit : De toute façon vous n’en sortirez pas vivants.
Maintenant, je suis à la retraite. L’atelier a fermé. Son rideau est définitivement baissé. La rue des chapeliers n’est qu’un alignement de rideaux baissés. Certains ont rouillé, la plupart sont targués. Y a-t-il eu un jour des chapeliers ? Je ne les ai jamais connus.
Je continue à prendre tous les jours le bus numéro huit et je vais chez Momo. J’en ai besoin, sinon je ne vois personne. J’y retrouve les gens du quartier qui me sont familiers et Momo, toujours là, fidèle au poste, devant son percolateur, le torchon sur l’épaule, à servir des petits blancs ou des petits rouges. Il dit depuis longtemps qu’il va s’arrêter lui aussi, baisser son rideau et qu’on pourra appeler la rue : rue des rideaux baissés, mais chaque matin, la première chose qu’il fait c’est de lever ce foutu rideau qui grince et la vie continue. Il dit que s’il s’arrête, il va mourir. Il n’a jamais rien fait d’autre. Pourtant il a des rêves, il aurait aimé voyager. Il a même un vieux scooter qui prend la poussière dans son garage. Il me demande si je partirais avec lui.
- Pourquoi pas ? Je lui dis, je ne suis jamais partie en voyage moi non plus.
Alors Momo me propose de faire un tour dimanche prochain et je dis oui.
Je l’ai rejoint très tôt le matin. Il a sorti le scooter qu’il avait astiqué.
- Tu as un casque pour moi ? je lui demande.
Il me répond : - je n’en ai pas pour moi.
On est monté sur l’engin et il a démarré. Le moteur faisait un bruit de vieilles casseroles et avançait poussivement. Ça sentait la vieille huile. Les rues étaient désertes, j’ai pensé qu’on allait réveiller tout le quartier. Momo est sorti de la ville, on a longé la voix ferrée et là, le moteur a eu l’air de se débrider. Le scooter semblait s’envoler, Momo tenait son béret sur sa tête. La vitesse nous grisait, nous avions rajeuni. J’avais les cheveux dressés dans le vent et c’était bon. Quelques passants s’arrêtaient interloqués pour nous regarder et ça nous faisait rire. Je les saluais de la main. J’entendais une petite voix dans ma tête qui me disait : Vous êtes fous à votre âge ! Et je lui répondais : et alors ?
Momo m’a crié : Allez je t’amène à Marseille, nous y mangerons une bouillabaisse !
Je lui ai répondu : Chiche !
Et la petite voix a dit : De toute façon vous n’en sortirez pas vivants.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Jeunesse retrouvée
Beaucoup aimé ton texte! La vie n'attend pas et Momo et la narratrice ont raison d'enfin oser prendre le vent et s'amuser. Dommage qu'ils ne l'aient pas fait avant
Sherkane
Re: A. Jeunesse retrouvée
Ici pas un acte manqué, mais presque toute une vie, quel dommage ! Ils ont eu leur moment de " Carpe Diem".
L'excipit enlève tout le charme de cette belle histoire. C'est la raison ( @Sherkane notamment) pour laquelle je n'aime pas les excipits.
On va en reparler...
L'excipit enlève tout le charme de cette belle histoire. C'est la raison ( @Sherkane notamment) pour laquelle je n'aime pas les excipits.
On va en reparler...
Amanda- Humeur : positivement drôle
RE A : Jeunesse retrouvée
Bravo Myrte ; c'est vrai pour cette consigne que l'excipit assombrit la fin de l'histoire , comme si cette folie ne pouvait que mal finir pour eux .
automne- Humeur : égale
Re: A. Jeunesse retrouvée
J'ai bien aimé cette histoire qui nous dit qu'il n'est jamais trop tard pour profiter de la vie !
En réalité tout commence toujours aujourd'hui !
Ça rappelle cette exhortation bien connue : « aujourd'hui est le premier jour du reste de ta vie ! »
Je ne trouve pas que l'excipit assombri. Au contraire. La narratrice refuse d'écouter cette petite voix qui raconte des conneries.
Enfin la voilà libre de tout ce qu'autrui peut penser ! (Y compris la mauvaise petite voix qui n'est jamais que l'expression des surmois)
un texte à lire plusieurs degrés.
En réalité tout commence toujours aujourd'hui !
Ça rappelle cette exhortation bien connue : « aujourd'hui est le premier jour du reste de ta vie ! »
Je ne trouve pas que l'excipit assombri. Au contraire. La narratrice refuse d'écouter cette petite voix qui raconte des conneries.
Enfin la voilà libre de tout ce qu'autrui peut penser ! (Y compris la mauvaise petite voix qui n'est jamais que l'expression des surmois)
un texte à lire plusieurs degrés.
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"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Jeunesse retrouvée
J'aime beaucoup cette idée qu'il n'est jamais trop tard pour se faire plaisir.
En prime un texte très agréable à lire.
En prime un texte très agréable à lire.
madeleinedeproust- Humeur : littéraire...
Re: A. Jeunesse retrouvée
J'ai beaucoup aimé cette manière de lancer son bonnet par-dessus les moulins de ces deux anciens. Ça contraste bien avec le côté déprimant de cette rue aux rideaux fermés.
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Martine27
Martine27- Humeur : Carpe diem ou Souris quand même
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