A - Création du monde, un conte de Pépé Athanase

C’est soirée conte chez Mémé Célestine et Pépé Athanase.

Tandis que Pépé Athanase s’occupe d’allumer la cheminée, pas de soirée conte sans une bonne flambée, Mémé Célestine prépare des chocolats chauds aux guimauves pour tout le monde.

Les enfants, quant à eux, installent de gros coussins pour s’asseoir confortablement aux pieds du patriarche.

Mémé Célestine, tout en distribuant les boissons chaudes, interroge.

« Savez-vous comment le monde a été créé ? »

Les réponses fusent, des plus scientifiques à base de big-bang aux plus extravagantes comme un œuf ou un serpent géant.

Pépé Athanase écoute avec intérêt. Manifestement, certains de ses descendants ont une belle imagination. Il se dit avec plaisir que la relève est assurée.

Il attend patiemment que le brouhaha se calme.

« Tout ceci est fort intéressant, mais en ce qui me concerne, je vais vous raconter la véritable histoire, telle qu’elle m’a été transmise par mon arrière-grand-mère. »

« Oh là là » s’exclame l’un des petits « Ton arrière-grand-mère devait vivre au Moyen Âge ! »

« Pas tout à fait, pas tout à fait », rigole Mémé Célestine « mais presque. »

Cette remarque lui vaut un coup d’œil ombrageux de la part de son cher époux.

« Pas tant que ça » réplique-t-il « juste deux siècles. »

Cette réponse laisse les enfants bouche bée devant cet incroyable bond dans le passé.

Avant qu’un nouveau débat passionné ne soit lancé, Pépé Athanase reprend.

« Alors, elle vous intéresse ou pas mon histoire ? »

Le silence religieux qui s’installe suffit à l’assurer de la pleine et entière attention de son auditoire.

« En ce temps-là, notre planète n’était qu’une grosse boule d’eau. Rien ne semblait y vivre. Il n’y avait pas un seul mouvement. »

« Même pas un poisson » interroge le curieux de service.

« Non pas même un poisson, mais autre chose, j’y reviendrai un peu plus tard. Vous vous imaginez une mer sans fin bleue, verte et grise ? »

« Comme une de mes billes ? » demande un autre enfant.

« Oui, un peu comme ça en effet. Cette boule d’eau brillait dans le noir de l’espace et elle ressemblait à une belle perle toute scintillante comme une énorme goutte de rosée. »

« Qu’est-ce que ça devait être magnifique » soupire une des fillettes.

« Effectivement et cela a attiré une très étrange créature. »

Pépé Athanase, en bon professionnel du conte, arrête son récit, le temps d’avaler une gorgée de son chocolat, sous l’œil goguenard de Mémé Célestine et les regards impatients des petits spectateurs qui commencent à se trémousser.

« C’était qui cette créature » tente une autre demoiselle.

« J’y arrive, j’y arrive » Pépé Athanase prend le temps d’essuyer consciencieusement sa moustache.

« Donc, la beauté de la perle d’eau captiva une Errante. »

« C’est quoi une Errante ? » coupe l’un des plus petits, ce qui lui vaut un coup de coude de son voisin.

« Une Errante, c’est comme une promeneuse qui ne sait pas réellement où elle va », explique Pépé Athanase.

« C’est bête ça de ne pas savoir où on va, on risque de se perdre », risque un des enfants qui se fait aussitôt reprendre par un de ses cousins.

« Mais non, idiot, si tu ne sais pas où tu vas, tu ne peux pas te perdre », devant cette logique imparable, Mémé Célestine et Pépé Athanase échangent un regard complice.

« Bon, je raconte ou pas ? » fait-il faussement sévère.

À nouveau l’assemblée se tait.

« Donc le regard de l’Errante fut attiré par le monde d’eau. En ce temps très lointain, elles étaient nombreuses à parcourir l’univers à la recherche de merveilles. Celle-ci sut tout de suite qu’elle était arrivée à destination.

D’un mouvement léger, elle enveloppa la boule. Pour la première fois l’eau se mit à bouger, l’Errante amenait le vent et des vagues parcoururent les flots, créant un semblant de vie.

Elle soupira, ce mouvement était bien beau et l’eau était maintenant animé de scintillements vivants.

Mais, ce n’était pas encore assez pour que ce monde suspendu soit vraiment parfait. Elle souffla un peu plus fort, les vagues se firent immenses. Elles se mirent à brasser l’eau éveillant l’être caché dans les profondeurs.

Tout surpris d’être ainsi tiré du sommeil, le Dormeur fendit les flots pour remonter à la surface et se retrouva face à l’Errante.

Celle-ci se condensa pour lui ressembler le plus possible.

Les deux êtres tendirent ce qui ressemblait à un bras, un fil se mit à frémir, les réunissant. L’Errante se dit que la vie ne tenait qu’à un fil, un fil qui les reliait, à présent.

Ce fil de vie se fit puissant, et, peu à peu, des terres émergèrent et se couvrirent de végétation pour accueillir ceux qui allaient être le premier couple, la Mère et le Père de l’humanité.

L’Errante abandonna la légèreté de l’air, le Dormeur renonça à la fluidité de l’eau et tous deux s’enracinèrent sur la terre prêts à se lancer dans l’aventure de la vie. »

Pépé Athanase laisse les crépitements du feu prendre possession du salon, tandis que les enfants, les yeux perdus dans le vide, imaginent les débuts du monde.